Chapitre 16

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Cela faisait treize ans que je vivais une vie tranquille d'américain moyen et pendant que mes voisins et amis refaisaient le monde, je passais pour un sage à ne rien demander de plus au ciel qu'un jour de beau temps. Je commençais même à m'inquiéter des frais de scolarité pour la suite des études de Greig. Mon salaire de barman ne suffirait plus et si j'avais réussi à garder quelques réserves du pactole qu'Altara nous avait laissé, j'aurais dû mal à le justifier.

J'épargnais à Greig ces inquiétudes en lui disant de choisir les études qui lui plairaient, je me débrouillais. Il me lançait en général un sourire en coin avant de me redemander mon avis sur l'une de nos voisines célibataires. Depuis deux ans, ce petit malin s'était mis dans l'idée de me trouver une nouvelle compagne et il s'ingéniait à me mettre dans les situations les plus embarassantes possibles. Malheureusement, il ne trouvait que du soutien auprès de Flynn qui me répétait tous les quatre matins que ma femme n'aurait certainement pas voulu que je reste seul jusqu'à la fin de mes jours. La remarqua me faisait sourire sans que je ne donne d'explications. Altara nous avait foutu dehors sans nous demander notre avis, je me moquais de son avis sur la question de mon soi-disant veuvage. Je donnais sagement mon avis à Greig sur chaque prétendante et acceptais les invitations au restaurant sans aucun mal à décourager toute initiative trop téméraire. Le souvenir d'Altara était trop fort. Quand quiconque incitait en me disait que ma femme ne reviendrait pas, seule l'inquiétude qui lui soit vraiment arrivé quelque chose accaparait mes pensées. Je passais des nuits blanches à me retenir d'appeler Mark, le seul dont j'avais gardé en mémoire le numéro, pour avoir des nouvelles. Ce faisant, j'aurais mis Greig en danger et ça, je ne le pouvais pas. Je jouais donc patiemment le jeu.

Ce qui m'étonnait le plus chez Grieg, mis à part son incomparable facilité à être un jeune homme comme les autres malgré ses premières années difficiles, était qu'il avait toujours tenu sa langue alors que je ne lui avais jamais rien caché d'Altara. J'avais répondu à toutes ses questions et n'avais étrangement rien eu à lui dire pour se taire. Il avait passé des semaines entières à poser beaucoup de questions sur qui elle était lorsqu'il avait été en âge de comprendre mais il n'avait jamais dit un mot en public. La première fois que je l'avais entendu parler de la soi-disant mort de sa mère, j'avais dû faire un effort sur moi-même pour ne pas le dévisager. Il mentait déjà aussi bien qu'Altara ou moi-même. Il avait arrêté de demander quand elle nous rejoindrait, puisque c'était ce que je lui avais répété petit, depuis des années mais je surprenais de temps en temps son regard attentif vers la rue ou la porte d'entrée. Je n'espérais même plus. Depuis quelques temps, j'avais pris ma décision. D'ici quelques années, Greig serait indépendant. Je lui transmettrais alors le reste de notre assurance avant de repartir en Europe retrouver Altara. J'avais d'autant plus de facilité à repousser toute avance avec cet objectif en vue. Il ne restait plus qu'à trouver comment financer les études de notre fils.

C'était un jeudi après-midi. J'étais en train d'essuyer les verres après le coup de feu de midi. Les prochains clients ne viendraient pas avant deux bonnes heures. Je n'avais qu'à m'occuper d'un grand-père qui apprenait par coeur son journal tous les jours avant que sa fille vienne le sortir du café et de quelques touristes qui voulaient sortir des sentiers battus pour se mêler à la populasse. J'avais d'ailleurs dû me justifier auprès de Flynn après qu'il m'ait entendu parler au moins quatre langues. Il avait levé les yeux au ciel en me répétant pour la énième fois d'arrêter de prétendre être comme tout le monde et d'aller faire ma vie dans les grandes villes.

Je ne fis pas attention à la clochette de l'entrée. Je devais voir la banque le lendemain pour savoir combien je pourrais emprunter pour les études de Greig, ce qui nous avait valu une de nos rares disputes. Il avait réussi à me tirer les vers du nez pour comprendre mes plans. J'avais vu dans son regard qu'il ne l'entendait pas de cette oreille mais il dépendait encore de moi pour ce qui était de prendre un billet d'avion pour l'Europe.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 10, 2018 ⏰

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