Mais la jeune Constance avait bien besoin du soutien des siens...
Cela faisait alors dix années que le duché de Bretagne était sous la domination du roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt, et la jeune fille n'avait aucun moyen de s'y opposer. Elle héritait d'une situation provoquée autrefois par son père...
En 1166, le roi d'Angleterre Henri II obligea le père de Constance, Conan IV, à abdiquer en faveur du fils d'Henri, fiancé à Constance. Ce dernier n'ayant que neuf ans, Henri II se fit reconnaître gardien du duché en attendant que son fils ait atteint la majorité. Les Anglais s'y conduisirent alors en maîtres, saccageant et volant sans vergogne. Pendant les quinze ans que dura cette domination d'Henri II, on ne compta pas moins de huit rébellions, toutes réprimées dans le sang. À partir de cette époque, ces voisins d'outre-Manche furent unanimement haïs dans la péninsule.
À dix ans, Constance se retrouva orpheline de père, tandis que sa mère repassait la mer pour se remarier. La jeune fille grandit à la cour de sa future belle-mère, Aliénor d'Aquitaine, dans l'attente de son mariage qui devait assurer à Henri II la possession légitime du duché...
Constance avait récemment reçu l'autorisation de visiter son duché, escortée d'une troupe d'Anglais dévoués à leur roi, et de quelques dames aquitaines. La jeune fille trouva en Jean de Menezher un ami inattendu et lui voua d'emblée un attachement profond. Auquel se mêlait malgré elle une certaine tendresse qui l'attirait irrésistiblement vers le jeune homme...
***
Beaucoup de ses paysans s'étonnèrent ce jour-là de l'ardeur que mit leur maître à la chasse. Jamais le jeune homme n'avait été si impatient d'en découdre : il ne tenait pas en place, scrutait chaque fourré avec avidité, déçu quand une piste leur échappait, tant il ressentait le besoin de se distinguer aux yeux de son invitée.
Plus les heures passaient et plus les traits de la jeune fille imprimaient au cœur de Jean un trouble qu'il n'arrivait plus à réprimer. Toujours animé par cette même ardeur, il insista pour tuer un loup lui-même quand ils en acculèrent un. Il ordonna que l'on retînt les chiens, et affronta la bête avec un poignard pour seule arme. Constance s'alarma, protesta, en vain. Au contraire, plus elle le suppliait et plus montait en lui le désir de l'impressionner. Heureusement pour lui, le loup était épuisé par la battue, et il parvint, non sans mal et sans recueillir quelques méchants coups de griffes, à lui enfoncer son poignard dans la gorge. Mais Constance était blême.
Cependant, le grand sourire qu'il lui adressa ramena des couleurs sur son jeune visage, et une intense lueur d'admiration brilla dans ses yeux. Jean ne se tint plus de joie, mais évita de trop le montrer...
— En vérité, murmura la jeune duchesse à son intention, vous méritez bien votre nom de famille, messire Jean le Hardi !
Le sourire du jeune homme s'élargit encore plus si c'était possible, mais il déclara la battue close. En plus d'être las, il lui fallait soigner ses blessures. Sa tunique et ses braies étaient déchirées à maints endroits, mais c'était superficiel. Il avait eu beaucoup de chance.
Après le souper, la duchesse resta quelques temps à discuter avec sa suite, le jeune châtelain, dame Blanche et Bertrand. La troupe repartirait dès le lendemain, et déjà Jean envisagea de suivre sa duchesse dans son exil. Mais ce serait laisser Menezher sans surveillance, et cela il ne pouvait se le permettre, pas tant que dame Blanche aurait un souffle de vie. Pestant contre cette diablesse, il se prépara à se coucher, le cœur serré.
Alors qu'elle rejoignait également sa chambre, Constance croisa Bertrand dans le couloir. Il la salua respectueusement, mais la jeune fille ressentit un étrange malaise à sa vue. Il avait quitté la réunion plus tôt que les autres, et elle supposait qu'il s'était couché depuis... Que faisait-il là à rôder dans les couloirs, à cette heure, seul ?
Elle ne cessa d'y penser tandis que ses dames lui passaient sa chemise de nuit. Elles s'inclinèrent avant de se retirer, mais Constance ne fit guère attention à elles. Elle était toujours aussi préoccupée en se glissant entre ses draps.
Et puis, soudain, elle n'y tint plus. Elle avait trop peur que ce Bertrand ne manigançât quelque chose. Elle rejeta ses couvertures, enfila ses fins chaussons et sortit dans le couloir, sans autre vêtement que sa longue chemise de nuit.
Quand il vit sa porte s'ouvrir sur la jeune fille aussi légèrement vêtue, les cheveux tombant en cascade sur ses épaules, le cœur de Jean chavira. Il était lui-même vêtu de sa longue chemise de nuit, prêt à se coucher, et tenait encore à la main la bougie qu'il s'apprêtait à souffler. Il la déposa sur une petite table, tandis que Constance s'approchait vivement de lui.
— Messire, dit-elle, j'ai aperçu messire Bertrand dans le couloir, tout à l'heure...
— Vous a-t-il fait peur, Madame ? demanda-t-il, encore sous le coup de la surprise.
— Je crains qu'il ne prépare quelque mauvais coup. Je ne suis point tranquille quant à votre sûreté, Jean... Nous les avons très peu vu, lui et sa mère, aujourd'hui, si ce n'est au souper.
— Madame, dit-il doucement, il n'y a pas sujet à s'alarmer...
Le regard suppliant de la jeune fille lui alla droit au cœur.
— Ce château possède quelques secrets qui peuvent parfois sauver une vie, assura-t-il.
— Vraiment ?
— Nombre de ses ressources sont inconnues de dame Blanche, confia Jean en baissant la voix, bien qu'ils fussent seuls. Certains souterrains, notamment. Mon père me les avait révélés il y a quelques années.
— Mais peuvent-ils garantir d'un poison ?
— Non, mais ils peuvent surprendre nombre de secrets, et permettre de disparaître bien à propos !
Constance n'était guère convaincue et affichait une mine inquiète.
— Je vais vous montrer, décida-t-il.
Il s'approcha de la vaste cheminée située contre le mur opposé à la porte, de l'autre côté du lit. Il passa lentement la main derrière le linteau de droite, et un léger crissement se fit entendre. Stupéfaite, Constance vit le côté intérieur du linteau s'ouvrir, dégageant un espace juste suffisant pour une personne.
— Il donne sur des souterrains qui parcourent une partie du château, expliqua le jeune homme. Certains sont percés de trous pour voir discrètement dans quelques pièces... Non point dans la vôtre, rassurez-vous !
Ils échangèrent un sourire, et Constance se détendit un peu.
— Mais je ne suis toujours pas certaine, dit-elle, que cela vous sauve du poison !
— Constance, murmura-t-il, la porte de mon père n'était pas fermée la nuit où il est mort. Or la mienne l'est toujours, de l'intérieur. Personne ne peut rentrer, et personne non plus à par moi ne connaît ces souterrains. Mon père ne semblait guère faire confiance à dame Blanche et ne lui a rien révélé... Enfin, nous avons tous mangé des mêmes mets ce soir, dans des plats communs. À moins qu'elle n'ait le projet d'empoisonner toute la maisonnée, il n'y a aucun risque.
— J'aimerais en être aussi sûre, Jean...
Le jeune homme referma le passage secret, ce qui provoqua un léger courant d'air. Constance frissonna.
— Vous avez froid ? dit-il vivement.
— Non, ce n'est rien...
— Attendez.
Jean alla chercher son manteau étalé sur un coffre et vint lui poser sur le dos. Placé derrière elle, il lui frictionna doucement les épaules. Ils ne soufflèrent mot. Puis, petit à petit, les gestes du jeune homme se firent plus lents, plus appuyés. La jeune fille sentit malgré elle son cœur s'emballer. Une telle proximité avec un homme était inédite pour elle. Mais loin d'être désagréable... Un trouble délicieux la prit en sentant son souffle chaud sur la peau délicate de son cou. Elle se sentit rougir intensément, mais se garda bien de bouger. Malgré l'inconvenance éhontée de la situation, pour rien au monde elle n'y aurait mis fin...
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La Dernière chevauchée d'un jeune prince, Tome 1
Historical FictionDuché de Bretagne, 1196. Après des années passées à vivre parmi les gens du peuple, la jeune Yanna se retrouve convoquée un beau jour de 1196 par la duchesse Constance de Bretagne. Elle apprend soudain non seulement que la duchesse est sa mère, mais...