Chapitre 23

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Le soleil commençait à baisser derrière la cime des arbres quand le jeune braconnier se tourna vers la forêt, l'air soucieux.

— Qu'y a-t-il ? lui demandai-je, relevant la tête de mon ouvrage.

— Odet devrait être rentré... Il met beaucoup de temps, je trouve...

À ce moment, des hurlements de loup retentirent non loin, surprenant tout le monde.

— Nous n'avons guère que nos poignards pour nous protéger de ces bêtes, remarqua Loeiz en frissonnant.

— Ne vous inquiétez pas, assurai-je avec applomb. En temps normal, les hommes ne font pas partie de leurs proies. J'ai grandi dans cette forêt, je connais bien ses pensionnaires. Moi et mes parents n'avons pratiquement jamais eu affaire aux loups : ils sont plutôt craintifs avec les humains, ils les évitent. La forêt leur procure tout ce qu'il faut en gibier. Mis à part, bien sûr, en temps de grande disette où ils s'aventurent près des chaumières. Dans ce cas, il n'y a plus qu'à se barricader dans sa cabane et attendre qu'ils s'en aillent... Mais c'est rare ! Ça nous est peu arrivé, ici, la forêt est suffisamment abondante. Nous avons plus à craindre des sangliers.

— Vous en avez déjà vus ? demanda Étienne en s'approchant. Des loups, je veux dire ?

— Oui, j'ai déjà aperçu la meute qui chasse par ici. Ils passent souvent au loin, en prenant garde de ne pas m'approcher. Mais j'ai fini par en reconnaître quelques uns...

— Vraiment ?

— Mais oui, fis-je avec un sourire. Il y a le couple dominant, la Mère et le Père, comme je les appelle. La Grise, au pelage plus clair que les autres, la Vieille, le Boiteux, le Lourd, le Fol, un jeune qui court toujours au devant, le Fort, et d'autres...

— Bon, je préfère cela ! sourit le valet.

— Par contre, repris-je, les chevaux, eux, figurent parmi leurs proies. Et la présence des humains n'est pas toujours suffisante pour les tenir à distance, surtout quand les temps sont durs. Le soir, je ramenais toujours ma Rousig à une auberge du village où elle était en pension. Pour les nôtres, nous devrons monter la garde, en espérant que cela suffise à les tenir à distance...

— Yanna ! Yanna !

Nous nous levâmes tous d'un bond en entendant ces cris venant du sentier. À notre grande surprise, le père Kiger apparut bientôt entre les arbres, brandissant un papier dans sa main. Toute la troupe se rassembla aussitôt devant la cabane, sur la défensive. Le curé parvint jusqu'à nous, le visage blême et l'air bouleversé. Nous fîmes aussitôt cercle autour de lui.

— Mon père ! Vous ici ! s'exclama Étienne. Comment avez-vous su...?

— Mon Dieu, mon Dieu ! gémit le curé. Je l'ai bien deviné, hélas !

— Mais qu'y a-t-il donc ? demandai-je, soudain prise d'angoisse.

— Un garde de dame Blanche vient de m'amener cela à mon église !

Il me tendit le morceau de papier, dont je m'emparai et lus :

« Je sais que tu es là, bâtarde ! Comment oses-tu mettre les pieds à Menezher ? Tu devrais cacher ta honte au plus profond d'un gouffre, au lieu de pavoiser à la cour ducale ! Et voici qu'en plus tu as le front de venir ici ? Toute bâtarde de la duchesse que tu sois, cela ne te protégera pas du sort que tu mérites ! Tant que tu vivras, tu seras une honte à nos yeux. Mes gens ont surpris un homme en train de braconner et s'en sont emparé. Sais-tu que, pour justifier sa présence, il a argué accompagner une « dame de Menezher » ? Je suis la seule à porter ce nom, catin ! Si tu tiens à le sauver, viens me trouver à l'instant !

La Dernière chevauchée d'un jeune prince, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant