Je préférai ne rien révéler de mes origines à Loeiz. Mon ami étant toujours un peu impressionné par la cour et sa duchesse, je craignais que ma haute naissance ne dressât une barrière inconsciente entre nous. S'appeler Menezher avait déjà tendance à l'impressionner... Je le laissai donc s'imaginer que j'étais la fille d'une quelconque paysanne séduite par son seigneur.
J'occupai le restant de la journée à visiter le château en compagnie de Claudine. La jeune fille vive et enjouée avait le don de raconter la moindre anecdote comme s'il s'agissait d'un fait exceptionnel, captivant son auditoire complaisant. Ses longs cheveux blond foncé étaient retenus par sa coiffe de domestique, un bonnet qui laissait voir la racine et quelques mèches folles qui s'échappaient sur les côtés. De grands yeux noisette, rieurs, surmontaient un petit nez frondeur et des lèvres gourmandes. Elle était vraiment jolie, pensai-je avec un sourire, et devait certainement attirer les regards des hommes. D'autant plus qu'elle prenait un malin plaisir à échancrer le plus possible son corsage, montrant presque ses épaules !
Sa gaîté, son humour, ainsi que sa tendance à se montrer quelque peu irrespectueuse envers l'aristocratie, réveillèrent en moi un besoin d'amitié, de camaraderie, que je n'avais guère pu partager jusqu'alors. Loeiz était mon seul ami proche, mais notre différence de sexe interdisait tout rapprochement excessif. Avec Claudine, j'avais pour la première fois le sentiment de pouvoir me confier entièrement à quelqu'un.
Pendant mes années écoulées au village, je n'avais pourtant jamais éprouvé le besoin de me rapprocher des autres enfants de mon âge, mais peut-être cela était-il dû à nos modes de vie trop différents. Si j'avais eu une sœur pour partager mon goût pour les escapades, je l'aurais accueillie à bras ouverts...
Il était bien tard pour s'en rendre compte, mais tout n'était peut-être pas perdu de ce côté-là. Il me sembla d'ailleurs que la jeune servante me vouait également une sincère sympathie... Je me promis d'approfondir cette relation.
Avant de nous séparer, Claudine me demanda :
— Auras-tu un peu de temps ce soir, après le souper ?
— Bien sûr.
— Alors tu pourras venir me voir dans les communs, on se racontera tout ! Malheureusement, là, je dois aller travailler, mais ce soir je serai libre.
— Je viendrai. Et je te présenterai un ami, venu avec moi. Il s'appelle Loeiz.
— Loeiz ? D'où ça sort ?
— C'est l'équivalent de Louis en breton.
— Très bien, alors venez tous les deux, je vous attendrai dès que j'aurai fini de nettoyer les casseroles !
Nous nous se séparâmes sur ces bonnes paroles. En regagnant ma chambre, je fus rejointe par Loeiz, Étienne et son fils, Josse. Ces derniers avaient visiblement veillé à l'occuper pendant que je vagabondais de mon côté. Je lui annonçai notre rendez-vous pour la soirée, sur quoi Étienne éclata de rire.
— Faites attention, Yanna, si vous voulez conserver votre ami !
— Pourquoi cela ? demandai-je, étonnée.
— Ma fille est très jolie et le sait. Elle aime séduire, et a déjà embrassé plus d'un imprudent... Elle sait bien sûr que cela ne doit jamais aller plus loin, mais elle a déjà fait tourner bien des cœurs.
— Oh, je ne m'inquiète pas pour Loeiz, nous ne sommes qu'amis, déclarai-je gaîment. Il est libre d'embrasser qui lui chante !
Le valet nous dévisagea tous les deux, et surprit l'air un peu gêné du jeune homme.
— J'ai beau l'avoir déjà sermonnée maintes fois à ce sujet, reprit-il, elle n'en fait qu'à sa tête et je ne peux pas toujours la surveiller. Je me fais du souci pour elle... Je crains qu'un jour elle ne cède à la tentation et commette l'irréparable. Elle risquerait alors de tomber enceinte, et si le rustre ne l'épouse pas cela compromettrait sérieusement son avenir...
— Vous n'avez jamais essayé de sévir ? demandai-je, bien consciente de la sévérité de nos mœurs.
— J'ai essayé... mais cette diablesse sait comment m'attendrir !
— Père a le cœur trop tendre pour se montrer vraiment sévère, glissa Josse en aparté.
Étienne agita la main, signifiant qu'il préférait changer de sujet. Je déclarai alors :
— Au fait, je vais bientôt vous quitter. Dès demain, je repars pour Menezher.
— Déjà ?! s'exclama Loeiz.
Je hochai gravement la tête
— Je dois à tout prix mettre la main sur ces poisons.
— Mais tu n'as rien trouvé jusqu'à présent, pourquoi en irait-il autrement... ?
— Je ne m'étais jamais éloignée des souterrains. Cette fois je fouillerai chaque pièce dans le moindre détail. Rassure-toi, ce ne sera pas si dangereux. À force d'observations, je connais toutes les habitudes de chaque occupant !
— La duchesse vous l'a demandé ? dit Étienne en fronçant les sourcils.
— J'ai son consentement. Elle et moi savons désormais qu'il n'y a plus d'autre choix si nous voulons toucher au but.
Mes compagnons me considérèrent en silence, l'air grave. Puis Loeiz déclara finalement :
— Je t'accompagne, naturellement. Il te faut quelqu'un pour surveiller tes arrières.
Je lui adressai un sourire reconnaissant. Non pas pour sa proposition de « protéger mes arrières », mais pour sa compagnie toujours bienvenue. Je ne l'avais pas entraîné jusqu'ici pour le laisser déjà...
— Merci Loeiz... Mais tu pourras rester à l'abri des souterrains...
— Nous verrons bien.
Je pouvais lire ses émotions sur son visage. Il sentait déjà l'appréhension le gagner, mais ne pouvait me laisser affronter seule les périls de ma quête. En conséquence de quoi, et bien qu'il lui en coûtât de refaire la route à peine arrivé, il se devait de m'accompagner pour me protéger. Certes il ne possédait aucune arme, mais ma foi, il n'était pas maladroit avec ses poings...
— Bien, prenez garde à vous, jeunes gens, soupira Étienne. Et que Dieu vous garde.
Je songeai qu'avec cette double bénédiction, rien ne pourrait nous arriver...
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La Dernière chevauchée d'un jeune prince, Tome 1
Historical FictionDuché de Bretagne, 1196. Après des années passées à vivre parmi les gens du peuple, la jeune Yanna se retrouve convoquée un beau jour de 1196 par la duchesse Constance de Bretagne. Elle apprend soudain non seulement que la duchesse est sa mère, mais...