Chapitre 22

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Je réveillai mes compagnons dès les premières lueurs de l'aube. Les yeux lourds de sommeil, nous nous remîmes péniblement en selle, Loeiz et Claudine titubant à moitié. Les deux braconniers montèrent en croupe d'Étienne et de Loeiz, en attendant la première ville où Étienne leur achèterait des montures.

Les cinq cavaliers étant passés à sept, je me demandai comment je ferai pour les loger tous dans ma cabane... Cette dernière ne comportait qu'une pièce commune, dont les dimensions suffisantes pour trois personnes allaient se révéler exigües pour sept. J'espérais en outre que Claudine ne serait pas trop pudique. Moi-même je pouvais m'accommoder de la présence d'hommes dans la même chambre, mais la jeune servante ?

Plusieurs heures durant, nous continuâmes à éviter villes et villages, s'arrêtant toujours loin des routes. L'unique exception fut faite pour pourvoir nos deux nouveaux compagnons en montures, de pesants chevaux de labour.

Le voyage se fit en silence, mais Arthur restait d'humeur morose. Le jeune prince ruminait sa mésaventure, arraché si brutalement à son confort, ses serviteurs, ses amis, pour se voir obligé de dormir à la belle étoile, de manger frugalement, d'endurer des heures de chevauchées aussi douloureuses que fatigantes. Et tout cela avec des roturiers pour seule escorte ! Moi seule étais noble, et encore, j'avais été élevée comme une bûcheronne. L'idée qu'un prince de son rang en fût réduit à ces conditions indignes l'assombrissait encore davantage...

La fin du voyage fut aussi éprouvante que le début, et ce fut avec un immense soulagement que nous arrivâmes en début de matinée dans la forêt de Menezher. Je retrouvai avec plaisir les hauts feuillages familiers, à la fois majestueux et rassurants, la densité des troncs qui figurait pour moi un rempart contre le monde, une cachette inextricable.

Je fis signe à la troupe de s'arrêter et mis pied à terre. Conduisant Rousig par la bride, j'empruntai un petit sentier qui partait du large chemin principal, suivie par mes compagnons qui avançaient lentement les uns derrière les autres. Après d'innombrables méandres encombrés de multiples branches qui débordaient sur le sentier, nous arrivâmes enfin à la cabane de mes parents adoptifs. Tous poussèrent en chœur des soupirs de soulagement, avant d'aller attacher leurs chevaux à quelques basses-branches.

Comme Arthur tenait la bride de son cheval sans bouger et commençait à froncer les sourcils, Étienne se précipita pour le débarrasser. Le jeune garçon lâcha un « enfin ! » agacé et suivit les autres dans la cabane. Il en ressortit presque aussitôt, fuyant le nuage de poussière qui avait envahi l'intérieur, soulevé par les balais et les chiffons !

L'espace était pour le moins exigu. Un grand lit recouvert de paille, une table massive, une armoire et une cheminée se partageaient l'unique pièce en terre battue. La couverture du lit empestait le moisi, chaque centimètre carré des meubles était recouvert de poussière. Loeiz, Claudine, Étienne et moi-même retroussâmes nos manches pour nous mettre au travail. Nous remîmes un peu d'ordre dans la cabane à l'abandon, tandis que les deux braconniers allaient poser leurs collets.

Quand nous nous retrouvâmes un peu plus tard autour d'un grand feu allumé devant l'entrée, nous fîmes cuire avec impatience les quelques lapins et petits gibiers attrapés.

— Savez-vous combien de temps vous devrez rester cachés ? demanda Aubin, après avoir découpé une part pour chacun.

— Non, avouai-je.

— Le plus sûr pour messire Arthur serait de trouver refuge à la cour de France, suggéra Étienne. Nous n'y avons pas réfléchi dans la précipitation...

— Mais c'est justement la route que les Anglais surveilleront le plus ! objectai-je.

— En se déguisant, on pourrait arriver à gagner la frontière. Il faudra bien le tenter, Yanna, nous ne pourrons pas rester indéfiniment ici. Tant que notre pauvre duchesse... Seul le roi de France peut forcer l'Anglais à la libérer...

La Dernière chevauchée d'un jeune prince, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant