Chapitre 31

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En deux jours, nous atteignîmes Brest sans avoir rencontré d'ennemis, ni Anglais ni bandits, grâce aux nombreux chemins de traverse dénichés par les deux braconniers. Nous pénétrâmes dans la forteresse maritime à la nuit tombée, éreintés et tout poussiéreux, juste avant la fermeture des portes. Nous retrouvâmes Arthur avec un vif soulagement, parvenu à bon port sain et sauf. Le gouverneur de la place, stupéfait par l'arrivée de son duc porté disparu, s'était empressé d'accueillir son hôte prestigieux en lui promettant la plus grande discrétion.

Aucun d'entre nous ne se faisait d'illusion sur le temps durant lequel un tel secret pourrait être conservé. À peine arrivé, Guéthénoc avait déjà repris la route de la France avec son escorte. Il ne nous restait plus qu'à attendre des nouvelles de l'évêque et de son ambassade. Nous prîmes donc nos aises dans la forteresse, en faisant attention de rester hors de vue autant que possible de ses hôtes et des citadins. Nous prenions nos repas dans la chambre d'Étienne et restions la plupart du temps entre nous. Seule concession, la salle d'arme : je mis à profit ce temps libre pour parfaire mon entraînement à l'épée. Les jours passant, je devins rapidement une bretteuse honorable !

Enfin, Guéthénoc revint quelques mois plus tard, porteur d'une heureuse nouvelle : bien que fort occupé à récupérer ses territoires tombés aux mains des Anglais, Philippe Auguste acceptait néanmoins de prendre le jeune Arthur sous sa protection. Guéthénoc se chargea aussitôt de l'emmener en France. Pour notre part, moi et mes compagnons d'aventure préférâmes regagner Menezher en attendant les nouvelles.

Ces dernières ne tardèrent pas. Philippe Auguste attaqua la ville normande d'Aumale, forçant ainsi Richard Cœur de Lion à accepter un compromis : le roi anglais accepta de libérer Constance contre l'hommage des barons bretons, et, surtout, la tutelle du jeune Arthur. Cependant, celle-ci resta toute théorique. En effet, édifié par ses récents forfaits, le clergé breton la lui refusa tout net ! Il semblait pour l'instant que les choses devaient en rester là...

***

— Eh bien, nous pouvons enfin nous mettre en route pour Nantes ! m'exclamai-je, radieuse pour la première fois depuis des semaines. J'ai tant hâte de revoir ma mère !

— Ne perdez pas de temps, dame Yanna, courrez-y ! sourit Odet, alors que nous déjeunions dans la grande salle du château en compagnie du jeune Thomas, seigneur des lieux en l'absence de son père.

— Vous ne voulez pas venir avec nous ? Connaître la cour, rencontrer la duchesse ? demandai-je avec surprise.

— Si, bien sûr... Mais nous aimerions avant tout rejoindre nos familles et les rassurer.

— Elles doivent bien s'inquiéter, c'est certain, ajouta Aubin. Mais après cela je crois bien que nous irons porter nos respects à Madame la duchesse.

Je lui souris aimablement, mais détournai vite mon attention. J'étais toujours aussi inexplicablement mal à l'aise devant ses grands yeux sombres au regard si direct. Et le souvenir, toujours présent dans ma mémoire, de sa colère contre moi dans la forêt n'arrangeait rien. Lui-même semblait ne plus y songer, mais le souvenir en restait néanmoins pénible.

À peine achevions-nous notre repas qu'Étienne fit irruption dans la salle.

— Ah, Étienne, te voilà ! m'exclamai-je. Nous avons commencé sans toi, pardonnes-nous...

— Vous êtes pardonnés ! sourit le valet en brandissant une lettre grande ouverte. Voici une heureuse nouvelle qui vient de nous parvenir !

— Madame la duchesse est-elle bien rentrée ? s'enquit Thomas. Comment va-t-elle ?

— Elle va bien, si bien qu'elle nous convie tous au festin donné en l'honneur de son retour, ainsi qu'aux festivités qui suivront ! Vous êtes naturellement invités à séjourner à la cour autant qu'il vous plaira, ajouta-t-il à l'adresse des braconniers.

La Dernière chevauchée d'un jeune prince, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant