Prologue 2/4

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— Madame, dit le jeune homme une fois seuls, je comptais organiser ce jour une battue aux loups. Y avez-vous déjà assisté ?

— Non, Messire.

Elle s'était assise dans un petit siège, lui restant debout à quelques pas.

— Mais est-ce vraiment un temps à organiser ce genre de choses ? demanda-t-elle.

— Madame, l'hiver est rigoureux, et les loups se sont déjà attaqués à plusieurs bêtes de mes gens. Il faut y mettre un terme au plus vite. En outre, je puis vous assurer que les paysans d'ici sont des plus robustes et ne craignent nullement les intempéries.

— En ce cas, vous avez raison, il n'y a pas à attendre. Serez-vous bien armés, au moins ?

— C'est-à-dire, ce seront nos armes habituelles : gourdins, fourches, ainsi que poignard pour moi. Sans compter les chiens, bien entendu.

— Un simple poignard, messire ? Mais ce n'est point là d'un grand secours face à un loup !

— Rassurez-vous, Madame, fit Jean en souriant à part lui de l'attention que lui portait la jeune fille, j'ai l'habitude de ce genre de chasse. Elles se répètent, hélas, à chaque hiver.

— Voilà qui est courageux, Messire..., murmura la duchesse avec une admiration non feinte.

Le sourire du jeune homme s'élargit.

— Madame, c'est que j'entends bien me montrer digne de mon nom !

— Votre nom ?

— Entendez-vous le breton, dame Constance ? demanda-t-il en se rapprochant hardiment.

— Je crains que non, dit-elle d'un ton d'excuse.

Menez, Madame, signifie « mont, montagne », et her « hardi, audacieux ». Le mont renvoie bien sûr à la colline sur laquelle le château est construit. Pour le reste, on ne sait au juste, mais une rumeur court sur son origine...

Il suspendit sa phrase à dessein, attendant qu'elle le relance. Ce qu'elle fit aussitôt.

— Une rumeur, messire ?

— Oui. Mon grand-père, défunt il y aura bientôt dix ans, me raconta un jour ce que l'on disait à ce sujet : au début du Xème siècle, le royaume de Bretagne se trouvait envahi par les Normands. Pratiquement toute la noblesse et le clergé s'étaient enfuis à l'étranger, en particulier en Angleterre. En 936, l'un de nos ancêtres revint en Bretagne dans le sillage du petit-fils du dernier roi, Alain Barbe-Torte, et l'aida à combattre et chasser les Normands. Il se montra l'un des plus audacieux et des plus téméraires des seigneurs bretons, et contribua largement par son courage à repousser ces envahisseurs. ! Une fois messire Alain couronné duc de Bretagne, notre ancêtre se fit construire ce château. Mais sa réputation de hardiesse était telle parmi ses gens qu'elle resta dans le nom du château. Ce n'est qu'une rumeur, bien sûr, acheva-t-il.

— Mais une bien belle rumeur, Messire, dit Constance. Elle gagnerait à être vraie.

— Nous ne le saurons sans doute jamais.

— Dame Blanche est-elle au courant de cette histoire ?

— J'en doute, fit Jean avec une moue de mépris. Il y a beaucoup de choses qu'elle ignore, ici.

Constance resta songeuse un instant.

— J'ai cru remarquer qu'elle ne vous portait guère de sympathie... Pourquoi cela, si ce n'est point indiscret ?

Jean soupira en regardant par la fenêtre.

— C'est une autre histoire, mais bien pénible celle-là...

Il s'arrêta, mais elle attendit la suite patiemment.

— Dame Blanche est la seconde épouse de feu mon père, Guillaume de Menezher, commença le jeune homme. Il y a un mois, mon père s'était avisé de me léguer son château et les quelques terres allant avec. Quand elle apprit cela, dame Blanche se mit dans une fureur à peine imaginable, hurlant qu'il dépossédait leur propre fils. Mon père répondit que Bertrand aurait déjà les biens hérités d'elle, qui n'étaient pas négligeables. Mais elle ne voulut rien entendre et continua à le harceler à ce sujet. Menezher n'est pourtant guère important, et ni moi ni lui ne comprenions pourquoi elle s'y accrochait autant. Enfin, il en eut assez et lui fit comprendre une fois pour toutes qu'il ne changerait pas d'avis. Il est mort il y a une semaine.

Jean marqua un temps d'arrêt, que Constance respecta.

— Il a été retrouvé mort dans son lit, un matin, le visage recouvert d'énormes boutons rouges. On pensa qu'il avait mangé la veille une viande provenant d'un animal malade... Mais nous avions tous mangé ensemble. On ne chercha pas plus loin. Pour ma part, je soupçonne davantage un empoisonnement. Cette femme possède quelques secrets sur les plantes, et je suis pratiquement certain qu'elle s'en est servi contre mon père. Le père Kiger, le curé du village, un ami en qui j'ai toute confiance et à qui je confiai mes soupçons, fut d'accord avec moi. Mais nous n'avions aucun moyen de nous en assurer, aussi nous ne pûmes que nous taire. Depuis quelques jours donc, je suis devenu propriétaire de Menezher, mais je me tiens sur mes gardes...

Constance frissonna.

— Mais c'est affreux ! fit-elle. Il n'y a rien à faire pour l'empêcher de nuire ?

— Rien, je le crains, à part découvrir où elle cache ses plantes... Croyez bien que je m'y suis employé, en vain.

— Il faudrait l'écarter de vous. Je peux la prendre à mon service comme dame de compagnie. Et son fils l'accompagnera, bien sûr.

— Peut-être, ce serait grande bonté de votre part. Cela pourrait la détourner de ce château. Je compte d'ailleurs me marier au plus tôt, afin d'avoir une descendance qui empêcherait toute revendication de sa part.

— Je vous le souhaite, Messire, dit songeusement la jeune fille. Et je vous souhaite également de trouver une femme qui vous agrée... et d'être heureux en cette union...

Jean se rapprocha à un pas d'elle. Il la considéra avec un pincement au cœur.

— Cet Anglais sera peut-être un bon époux, dame Constance, il ne faut point s'affliger avant de savoir...

— Le fils de celui qui combattit mon père et le força à abdiquer..., soupira-t-elle. Comment pourrais-je le supporter ? Ce roi d'Angleterre m'impose son fils pour mieux s'assurer la possession du duché...

Ému, Jean mit un genou à terre et osa prendre la main de la jeune fille. Elle rougit mais ne la retira pas.

— Quoi qu'il arrive, Madame, vous pourrez toujours compter sur mon dévouement, je vous le promets.

Elle fut touchée de cette marque d'affection, plus sans doute qu'elle n'aurait dû.


La Dernière chevauchée d'un jeune prince, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant