Chapitre 9

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Étienne, avisant mon air renfermé, tenta de me changer les idées :

— Dîtes-nous un peu, Yanna, ce qui se passe au château. Dame Blanche vit-elle toujours ? N'ayez crainte, dame Berthe est courant de tout, ce qui inclut les souterrains.

— Vraiment ? répondis-je en redressant la tête. Eh bien oui, hélas, elle est toujours vive, bien qu'elle approche de la cinquantaine. Elle a un fils, Bertrand, mais je ne l'ai jamais vu. Il paraît qu'il vit en Angleterre, où il est entré dans les bonnes grâces du roi Richard.

— Celui que l'on appelle « Cœur de Lion » ! lança dame Berthe. Quelle vanité !

Étienne lui fit signe discrètement de ne pas m'interrompre.

— D'après ce que j'ai entendu depuis les souterrains, repris-je, Blanche est soulagée qu'il ait trouvé le moyen de rester en Angleterre au lieu de suivre le roi Richard en croisade. C'est d'ailleurs ainsi qu'il a pu approcher le frère du roi, Jean, qui avait pris la tête du gouvernement en son absence, vous vous souvenez ?

— Celui que l'on appelle « Jean sans Terre », compléta dame Berthe. Oui, oui, je me tais, messire le rustre !

— Apparemment, Bertrand fait plus ou moins partie de ses fidèles. Il est toujours resté là-bas, je n'ai vu que son fils, Thomas.

— Bertrand est marié ? releva Étienne avec surprise.

— Était. Sa femme est morte en couche. Son fils doit avoir dans les quatorze ans, je crois. Il a l'air d'un honnête jouvenceau, mais se heurte souvent à sa grand-mère. Cette Blanche est franchement acariâtre, il a du courage de la supporter !

Mes trois compagnons sourirent légèrement.

— Vous avez appris tout cela en espionnant par les souterrains ? demanda Berthe.

— De nombreux trous sont percés dans la muraille pour voir et entendre..., dis-je avec un petit sourire. Mais on ne peut pénétrer que dans quatre pièces : la chambre de mon père, les cuisines, la grande salle et la chambre de Bertrand, souvent inoccupée elle aussi.

— Vous avez déjà essayé d'y entrer ? demanda Étienne, soupçonneux.

— Oui, la nuit... Il n'y a pas beaucoup de gardes. J'ai pu explorer un peu l'intérieur en entrant par la chambre de mon père, mais je n'ai jamais rien trouvé sur une quelconque cache à poison...

— Il me semble pourtant que la duchesse vous avait interdit de prendre ce risque ? me reprocha le valet.

— Si je veux trouver des traces de poison, je suis bien obligée ! me défendis-je. Mais j'ai fait extrêmement attention, je vous assure.

— Bon, le principal est que vous ne vous soyez pas fait prendre, soupira-t-il.

Dame Berthe fronça à nouveaux les sourcils : en plus de faire montre d'un caractère peu docile, elle me trouvait un peu trop dotée d'une sérieuse propension pour l'aventure et les escapades interdites !

***

Deux jours plus tard, notre petite troupe arriva à Nantes, où la cour résidait au château du Bouffay. Nous traversâmes les faubourgs aux maisons rassemblées contre les remparts, pour arriver devant l'une des massives portes d'enceinte de la ville. Le garde en faction nous laissa passer sans nous interroger, mais sourcilla à la vue d'une femme vêtue de braies. Je l'ignorai royalement.

Une fois passés de l'autre côté, Loeiz et moi levâmes les yeux et regardâmes tout autour de nous, découvrant la ville-capitale pour la première fois de notre vie. Ses rues étroites grouillaient de passants affairés, de cavaliers agacés par la presse, de charrettes et de voitures qui se frayaient difficilement un chemin ou obstruaient le passage. Les maisons, hautes de deux ou trois étages, étaient toutes accolées les unes aux autres, parfois si proches qu'en tendant la main on pouvait toucher son voisin d'en face. Quelle différence avec notre petit village de Menezher !

Patiemment, Étienne poussa son cheval au milieu de la foule pour s'ouvrir un chemin, nous dans son sillage. Nous traversâmes un pont qui enjambait l'Erdre, l'autre fleuve de Nantes, et débouchâmes bientôt dans la cour du château du Bouffay, bordé par la Loire. Ce bâtiment rectangulaire, flanqué de tours à chaque coin, dominait en taille les maisons qui l'enserraient. Seule sa cour lui permettait de jouir d'un peu d'espace. En vérité, cette dernière était elle-même encombrée par de nombreux équipages en stationnement qui attendaient leurs maîtres, en visite ou résidant au château.

Arrivés en bas du large escalier qui menait à la porte d'entrée principale, nous confiâmes nos chevaux aux valets d'écurie, puis dame Berthe demanda à ce qu'on nous annonçât à la duchesse. Nous nous apprêtions à monter les marches à la suite du messager, quand une jeune fille se précipita vers Étienne et lui sauta au cou :

— Papa ! Enfin tu es de retour ! Où étais-tu cette fois ? Tu ne me l'as même pas dit !

— Doucement, Claudine, répondit le valet en se dégageant, je ne te l'ai pas dit car le secret devait être préservé, or je connais bien l'agilité de ta langue, demoiselle ! ajouta-t-il en riant.

— C'est faux ! assura la jeune fille avec une moue boudeuse. Mais je parie que cela avait un rapport avec elle ! dit-elle en me désignant du menton. D'où venez-vous, d'ailleurs, pour être habillée comme ça ? On ne vous a pas appris à mettre des robes, chez vous ? pouffa-t-elle, ravie de sa blague.

Loin de m'en offusquer, j'observai la demoiselle avec amusement, le sourire au coin des lèvres.

— Claudine, il suffit ! la tança Étienne. Il faudra revoir tes bonnes manières, jeune fille ! Tu t'adresses à dame Jeanne de Menezher !

Je lui lançai un regard surpris, tandis que Claudine rougissait soudain.

— Oh, pardon Madame, je ne savais pas..., s'excusa la demoiselle, confuse. Je vous prie de bien vouloir m'excuser...

— Ce n'est rien, murmurai-je, moi-même prise au dépourvu. C'est ainsi que vous me présenterez à la duchesse ?

— C'est votre nom, Yanna, acquiesça dame Berthe. Il faudra vous y habituer.

— Vous ne m'en voulez pas... ? reprit Claudine.

— Mais non, voyons. D'ailleurs, ajoutai-je pour la mettre à l'aise, je suppose que vous devez bien connaître les lieux ? Vous pourrez me faire visiter ?

— Avec joie ! Je travaille au château depuis mon enfance, j'en connais tous les recoins !

— Tu n'as pas du travail qui t'attend, justement ? coupa Étienne. Nous en reparlerons plus tard, pour l'heure nous sommes attendus par la duchesse.

— D'accord, à tout à l'heure alors !

La jeune fille, qui devait être un peu plus jeune que moi, tourna les talons et fila retourner à ses occupations. Nous pûmes enfin monter les marches et pénétrer dans le grand hall d'entrée, garni de larges tapisseries et de nombreux chandeliers accrochés aux murs. Le hall, puis les couloirs, étaient animés par une foule de belles personnes qui les arpentaient ou bien devisaient en petits groupes.

Un malaise sourd me gagna peu à peu. Je ne se sentais pas à ma place parmi l'aristocratie de la cour. J'étais habituée à la forêt, ses animaux, le village et ses gens simples... Tout ce faste affiché ne m'attirait absolument pas. Si j'avais accepté de venir, c'était pour avoir des réponses à mes questions. De même, rencontrer la duchesse ne m'émouvait pas outre mesure. Seules mes questions en suspens me poussaient en avant.

Loeiz, en revanche, regardait autour de lui avec des yeux écarquillés. Jamais il n'aurait imaginé un jour mettre les pieds au château de Nantes ! Il se faisait tout petit et tâchait de ne pas se laisser distancer.

Enfin, nous arrivâmes devant les appartements de la duchesse. Le messager qui nous précédait frappa, entra pour nous annoncer, puis nous tînt la porte ouverte.

La Dernière chevauchée d'un jeune prince, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant