La nuit de mon anniversaire

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Demain, c'est mon anniversaire. Ce n'est pas un jour comme les autres, et ce soir, avant d'aller dormir, je me sens spéciale. Je ne veux pas dormir d'un sommeil sans rêves, comme les autres soirs de l'année où je me bats contre mes cauchemars. Ce soir, je veux souffrir. Je veux me souvenir de cette nuit tragique, il y a trois ans, où l'être auquel je tenais le plus m'a quitté, emportant ma vie avec. Pour commémorer ce soir-là, je tiens dans mes mains tremblantes un simple carnet dont la couverture est illustrée d'un chien.

Futile illustration qu'un animal de ce type.

L'atmosphère de ma chambre me paraît différente tandis que je m'installe sur mon lit, le dos droit. L'air est épais, et glacé. J'ai du mal à respirer, ou peut-être est-ce cette boule au ventre qui m'en empêche. Il m'a fallu rassembler une grande quantité de courage pour me diriger vers ce vieux tiroir...

Comme tous les ans.

Le carnet semble m'attendre, impatient de se libérer d'une quantité impressionnante de poussière qui s'amoncelle pendant une année complète sur sa couverture, attendant simplement cette nuit de commémoration. Comme d'habitude, j'ouvre la fenêtre sur la nuit profonde, et je contemple l'église, juste en face de moi. Et son cimetière. Alors, je me réinstalle sur le lit, carnet en main, et je fais glisser les pages le long des mes doigts. Je sens leur odeur.

Et dire que tu as fait de même il y a cinq ans.

Maintenant, il est temps de l'ouvrir, et de le lire. Avant même d'avoir commencé, je sens mon nez qui me pique et ma vue se brouiller. Mais je n'ai pas le droit de pleurer avant que tout soit terminé. Je lis l'en-tête, composée de mon nom, dédicace de l'auteur. Juliana. Et la date. Le 11 octobre 2011.

Et tu dis m'aimer pour toujours.

Je tourne la page, doucement, comme pour allonger la durée de vie du carnet. Car tôt ou tard, il sera perdu. Avec le temps, tout m'est enlevé. Tout ce qui m'est cher disparaît.

Quel être éphémère que l'Homme.

La première page parle d'incertitude. L'auteur dit ne pas connaître l'issue. Mais qui la connaissait alors ? L'auteur espérait. C'est un bien grand mot, qui n'a jamais vraiment servi, surtout dans ce genre de cas. C'est en lisant le passage « Merci pour tout ce bonheur, avec mon amour éternel » et en touchant du bout des doigts la signature si familière que j'ai peur de craquer. Mais si ça arrive, alors tout sera perdu. Tout aura été vain. Alors je fais en sorte de tenir le coup, comme tous les ans. Ensuite, sur la page suivante, l'auteur dit avoir choisi un chien pour moi. Il lui évoque notre attachement à notre animal de compagnie.

Lui aussi nous a été enlevés.

L'auteur dit aussi que cet animal partage avec moi mon côté généreux, ainsi que mon côté artiste et poète.

Tout ce que j'étais avant.

Mais l'auteur rappelle que l'élève a dépassé le maître, que mes œuvres ont dépassé les siennes. Qui penserait ça ? J'étais simplement innocente et naïve, comme la plupart des enfants de dix ans. Et l'auteur qui en souhaitait un, pour ce changement de siècle et de millénaire. Moi.

Maman, pourquoi es-tu partie ?

Il y a quinze ans, tu partais à l'hôpital. Mais cette fois-là, tu es rentrée à la maison, bien vivante, avec moi dans les bras. Tu me disais tel un esquimau...

J'ai continué à lire en silence, m'empêchant de penser. Il ne faut surtout pas pleurer, pas encore. Ils ne peuvent pas encore voir ma faiblesse. Je tends mon bras pour attraper sous l'oreiller une photo de toi petite. C'est ce qui me permet de rester humaine au quotidien. Toi, tu disais avoir tendance à baisser les bras. Mais pourquoi ? Mon côté volcanique m'a toujours permis de survivre, et ma sensiblerie me permet de me souvenir qu'un jour, je partirais vraiment, et cette fois-là, je ne te rejoindrai pas.

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