Mes poumons se gonflent d'un seul coup, ils doublent, triplent de volume, jusqu'à me faire mal. Mon dos se décolle de la surface sur laquelle je suis couchée afin de permettre à mon ventre de se tendre le plus possible vers le ciel. J'ouvre subitement mes yeux, ils sont écarquillés de terreur et de douleur. Je tousse, je crache, mais rien n'y fait, ma gorge est sèche et j'ai la sensation de bruler de l'intérieur à chaque inspiration. A cet instant, je voudrais ne plus devoir respirer. C'est tellement douloureux qu'un bain d'acide m'aurait fait le même effet. Cette fois-ci, malgré l'impression persistante que c'est la première fois que je respire depuis un moment, je me doute qu'elle est vraie. Mes mains tremblent, et je roule sur le côté pour constater l'ampleur des dégâts de mon saut dans ce ciel sans fond. Où suis-je ? Heureusement, la Dame des Morts ne m'a pas retrouvée. Je ne veux pas la revoir, malgré le mystère qui se cache derrière tout ça. Mes cheveux sont collés de transpiration, je porte toujours les mêmes vêtements, et j'ai toujours aussi mal au cou. En réalité, je saigne encore. Ma peau est extrêmement claire, presque bleue. Terrorisée, égarée, je me relève. J'étais allongée sur la tombe de ma mère. Comme si... Comme si mon corps était bien mort et mon esprit seul était allé dans le monde du Dessous. C'est peut-être ce qui s'est passé. En tout cas, si mon esprit est revenu dans mon corps, ça veut dire que je vis toujours, mais que je peux maintenant succomber à mes blessures. Il faut que je sorte de ce cimetière. Je vois le portail, là-bas, au loin. Je tente de m'en approcher en titubant. Mes côtes ont l'air toujours endommagées, mais je peux toujours me déplacer. Je m'écroule régulièrement, me faisant encore plus mal. Ma vue se brouille par moments, si bien que je dois faire de nombreuses pauses pour ne pas risquer de mourir à nouveau. C'est très bizarre, puisque ma blessure me permettant à peine de garder la tête sur les épaules, je devrais bel et bien ne plus être de ce monde. Mais mon corps abrite quand même mon esprit, et il est bien obligé de tenir bon. Le temps me paraît être distendu, étant donné que je mets beaucoup de temps à atteindre ce fichu portail. Mais enfin, à bout de force, j'y suis. Je vois une jeune dame que je connais bien, elle habite dans le même village que moi et je la croisais souvent à la boulangerie. Elle est choquée, ce qui est normal vu mon état de mort-vivante, pousse un cri, et au lieu de s'enfuir elle sort fébrilement son téléphone. Je l'entends parler de loin, elle fait les tests que lui demandent les personnes à l'autre bout du fil. Ma tête repose sur ses genoux, salit son jean de mon sang. J'ai peur, mais je suis rassurée de la savoir auprès de moi. Je chuchote un « merci » rempli d'émotion, puis je ferme les paupières, rendant les armes, en entendant les questions des ambulanciers rester sans réponse. La femme est silencieuse, elle me tient les joues, me donne des petites claques, elle ne veut pas me voir partir comme ça, dans ses bras, si près d'être sauvée. La panique se lit dans son regard, elle pleure, elle me supplie de m'accrocher. Mais moi, je n'en peux plus. Je ne veux plus avoir à subir cette douleur plus longtemps. La mort me paraît tellement facile... J'y suis presque même habituée maintenant. Peut-être que cette fois-ci sera la bonne ? Je constate que l'ambulance arrive dans le dos de ma sauveuse. Je souris faiblement, et cette fois-ci je pars vraiment, ne laissant qu'une enveloppe charnelle vide aux ambulanciers. Une belle lumière, une sensation douce, de paix m'envahit, et c'est en souriant que je m'éteins.
Pas encore elle ! Non, pitié, pas la Dame des Morts. Je n'en peux plus de la voir ! Je suis placée sur un fauteuil, au milieu de ce qui ressemble à un amphithéâtre, en plus petit. Je me doute que c'est dans ce genre d'endroit que les personnes sont jugées, d'après les quelques films que j'ai vus. Il fait froid, un goût métallique m'emplit toujours la bouche, et je suis fatiguée.
Laissez-moi dormir !
La Dame des Morts semble amusée. Elle remet une mèche blonde derrière une oreille. Ses yeux bleus, froids et profonds me fixent. Elle tourne autour de mon siège, me caresse les épaules, le haut de la tête du bout de ses doigts fins. Sa robe blanche traîne derrière elle, et ses talons font clac clac sur le carrelage en damiers de la pièce. Je la fusille du regard, ce qui lui donne la certitude que je suis bien là, qu'elle peut me parler. Même si je ne veux pas l'écouter. Sa voix, sèche et chantante, s'élève, faisant taire l'assemblée composée de personnes indifférentes.
- Je te trouve vraiment fascinante. J'ai déjà dû te le dire ? Je ne pensais pas qu'en te laissant la liberté, tu saurais retrouver le chemin de ton monde. Même si la solution est soufflée à toute personne en transition comme toi, je ne pensais pas que tu aurais ce courage, ni cette bêtise d'ailleurs. Maintenant, nous sommes dans une situation bien délicate honey. Je suis ta juge !
Elle éclate de rire, semblant sincèrement heureuse de cette situation si bizarre à mes yeux. Elle continue, lisant l'incompréhension sur mon visage :
- En réalité, ma fonction exige que je guide les âmes égarées vers le monde du Dessous ou d'en Haut. Ce sont des âmes qui, comme toi, sont perdues, ou entre les deux, ou alors n'ont rien à faire ici. Si c'est le cas nous les envoyons dans cette pièce blanche où tu étais un peu plus tôt, puis les renvoyons chez elles. Si elles sont perdues, nous jugeons leur vie, leurs actes, puis décidons de leur destination. C'est aussi simple que ça !
- Qu'allez-vous faire de moi ?
Elle est troublée par ma question. Elle pose un doigt sur son menton, et elle cherche la réponse au plafond. Du moins, c'est l'impression qu'elle donne. Elle reporte alors son attention sur moi, et prend la parole :
- C'est vrai que c'est compliqué. Au début, tu devais rester humaine, et je voulais t'aider à retrouver l'âme de ta mère. C'aurait été facile, puisque toi-même n'aurait été qu'une âme, ton corps serait resté dans le monde Mortel. Tout ça à cause de ma sœur... et maintenant, je dois décider de l'endroit où je dois t'envoyer, puisque tu as réussi à réintégrer ton corps puis tu l'as quitté à nouveau. Cette fois-ci, il n'y a pas eu de rituel, et tu ne peux pas rester telle quelle. Je dois faire quelque chose de toi, mais je ne sais pas encore si ce que je ferai sera annulable.
Je tente d'assimiler ses paroles, mais elles sont dures. Surtout que je n'ai pas tout compris : ma mère, enfin son âme, se promènerait quelque part dans ces mondes ? Et qui est cette sœur ? En tout cas, je trouve préoccupant de devoir choisir une nouvelle forme que je devrai sûrement garder toute ma vie !
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*Extrait du chapitre suivant*
- Tu prends un malin plaisir à voyager entre deux mondes, Calypso. Quoique, je n'ai plus le droit de t'appeler comme ça, tu as quitté ma tutelle puisque tu es retournée chez toi. Mes hommages, Juliana, tu es considérée comme majeure dans ce monde maintenant. J'aimerais pouvoir dire « débrouille-toi » mais je te dois mon aide, après ce rituel horrible, je te l'accorde.
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Le Monde du Dessous - La Dame des Morts
HorrorTout autour de moi est à la fois différent et familier. Toutes époques mélangées. Et moi, je suis là, ni morte ni vivante, ne pensant qu'à m'enfuir. Aujourd'hui plus que tout autre jour, mes racines me paraissent lointaines, comme l'autre rive d'un...