Mes souvenirs

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Des cris, des hurlements, de la terreur. Tout ceci m'emplit la tête, de plus en plus, m'étouffe presque. Je me mets à genoux, je me roule par terre, je crie par-dessus, je me bouche les oreilles, mais rien n'y fait. Je sens la main réconfortante de ma mère sur mes épaules. Elle est inquiète, il y a quelques secondes à peine, nous nous promenions dans la forêt sans aucune idée de ce qui allait arriver. Tout à coup, ma mère m'a serrée contre elle,  m'a chuchoté des mots pour me rassurer, mais je ne comprends pas. Je ne veux pas comprendre. Une brume envahit les lieux, elle s'épaissit, si bien qu'une fumée meurtrière n'aurait pas fait mieux. Petit à petit, j'ai du mal à respirer. Et ma mère qui me crie par-dessus les cris :

- Sauve toi, Juliana ! Reste forte, et cours ! Je t'aimerais toujours ! Ne t'inquiète pas, enfuis-toi ! Viiite !

L'urgence tremble dans sa voix. Je ne sais que faire, la laisser seule et en danger ou sauver ma peau comme elle me supplie de le faire ? La peur est trop grande, et je cours, le plus vite que je le peux. Seulement, j'ai trop hésité, et j'entends un long hurlement aigu. Avec ma petite tête d'enfant, je suis capable de comprendre que ma maman a de gros problèmes.

Si ça avait été moi, elle aurait fait demi-tour.

Alors, je décide d'y retourner, et d'aider l'être chéri. Mais trop tard, j'aperçois avec horreur une forme penchée sur elle, semblant aspirer quelque chose sur sa tête. Je hurle, avec toute la force de mes poumons, je crie mon effroi, ma terreur, et surtout, ma haine envers cet être dégoûtant. La chose, ou plutôt la personne se retourne vers moi, surprise, et je vois au travers de l'épaisse fumée des yeux rouges qui me fixent, sans ciller. Je sens alors un mal de crâne soudain me donner des vertiges, je tousse à cause de la fumée, et la chose s'approche. J'ai envie de la repousser, de la menacer d'appeler la police, ou même de courir. Mais je ne peux rien faire. Je suis paralysée. Je ne peux que regarder avec horreur cette effroyable femme me prendre les épaules, un sourire mauvais sur les lèvres, et se pencher vers mon front. La douleur s'intensifie, j'ai peur. Je ne peux même plus trembler ! Les cheveux de mon agresseur flottent autour d'elle, elle ne me semble plus humaine. La haine, le désir de faire souffrir émanent d'elle. Alors que ses lèvres sont à quelques centimètres de mon front, et que mes yeux se révulsent, j'ai juste le temps d'apercevoir un homme et une femme empoigner la criminelle. Dans ces ténèbres, et alors que je perds connaissance, ils me semblent lumineux et bons, gentils, mais je ressens une pointe de familiarité chez la femme avec la chose qui m'a agressée. Une pointe de... Cruauté. Et je pense à la mort de ma chère maman. Il y a quelque chose dans tout ceci qui n'aurait pas dû arriver. Quelque chose de surnaturel. Pourquoi n'ai-je jamais croisé la dame blonde accompagnée du monsieur ? Que font ils au fin fond de la forêt ? Nous habitons une petite ville, je devrais les connaître. Alors, ce sont des étrangers. Je sombre dans l'inconscience sur ces questions futiles mais réfléchies, dont je ne me souviendrai plus au réveil. A vrai dire, mon réveil se ferait sans aucun souvenir de ces évènements.

Je tremble. L'image des yeux rouges me transperçant l'esprit est restée gravée sur ma rétine. Je suis allongée sur un canapé, toujours dans le Grand Salon. Artémise me caresse le front, et mon cœur est affolé dans ma poitrine. Etait-ce mes souvenirs ? Pas étonnant qu'elle ait voulu les supprimer. Cela devait être un véritable traumatisme pour une enfant de douze ans ! Je cherche le regard de mon hôte. Des souvenirs, c'est bien, mais des explications, c'est mieux. Elle semble comprendre ce qui passe dans mon regard, cette appréhension, puisqu'elle dit :

- Ces souvenirs étaient nécessaires avant de te dire ce qui va suivre. Mais, c'est très choquant, et j'ai l'impression que tu es fatiguée. Peut-être trouveras-tu le sommeil sans connaître la suite, du moins pour le moment ? C'est à dire que ce sont vraiment des secrets que tu ne devrais pas connaître, et tu risque d'avoir des séquelles après. Mais, que veux tu ? Je te dois la vérité.   

- Je n'arriverai jamais à trouver le sommeil à cause de ces yeux rouges qui me transpercent le crâne, alors oui, continue s'il-te-plaît.  Je suis prête.

Elle inspire, expire, je la vois presque telle une amie chère qui a tout perdu, ou qui a fait une grosse erreur et doit l'avouer. Malgré mon immense fatigue, je veux écouter la suite. Cette dernière arrive d'ailleurs sans tarder :

- Tu dois savoir quelque chose sur moi. En réalité, je t'ai enlevée à l'aide du rituel pour te faire du mal. Je savais que ma sœur avait repéré quelqu'un, une âme pure qui réclamait son attention. Je l'ai su grâce à Karl qui la surveille jour et nuit. Alors, j'ai suivi le Marquage de ma sœur, qui consiste en regarder le fin fond de l'âme de sa victime. Et tu sais ce que font les personnes comme ma sœur et moi ? Nous modifions les âmes. Puis nous les détruisons, en faisant souffrir leur propriétaire. C'est pour ça qu'il faut le rituel, pour conserver l'apparence physique. Alors, pour continuer mon combat contre ma sœur, je l'ai devancée. Je ne t'ai reconnue qu'après, toi la jeune fille que j'ai sauvée des griffes de ma sœur, toi la descendante, toi qui me remplaceras. Mais j'ai été entraînée par mes pouvoirs, ma rage, et j'ai accompli le rituel. Ce qui a tout bouleversé.

Je ne suis pas sûre de tout comprendre. J'ai subi le rituel comme une victime banale, juste parce qu'Artémise souhaitait se venger de sa sœur en lui volant une victime ? Alors qu'en vérité, sa sœur avait enfin retrouvé l'âme pure qui remplacerait Artémise ! Elle souhaitait saboter les plans en me tuant. Tout simplement. Ou alors... Modifier mon âme ? Tout me paraît flou, mais je veux la suite ! Ce que je demande immédiatement.

- Quand  tu t'es réveillée, je n'ai pas voulu te dire la vérité. Tu pouvais toujours accéder à mon poste. Mais dernièrement, j'ai découvert autre chose à l'aide de Karl : ma sœur Laurélia a eu le temps de voler une partie de ton âme et de la cacher avec celle de ta mère. Car ta mère a été tuée selon un autre rituel : celui d'urgence. Il faut arracher le cœur de la victime, et le manger. Ta mère ne pourra plus réintégrer son corps complètement, même si tu lui rends son âme. Et toi, tu ne pourras pas être Dame des Morts sans ton âme complète. Que c'est compliqué !

Oui, en effet. Alors, il me faut établir une liste des priorités : d'abord, rechercher l'autre partie de mon âme. Ensuite, rechercher celle de ma mère ! Mais Artémise reprend la parole :

- Mais voilà. Finalement, je n'ai pas voulu modifier ton âme, ni te faire plus souffrir, ni te tuer. Ton âme est trop précieuse. Au fait, Albert est une de mes anciennes victimes. J'ai modifié son âme pour qu'il me soit loyal et fidèle. Impressionnant, n'est-ce pas ? Tu pourras faire ça aussi.

Quoi ? N'importe quoi ! Moi, je ne veux pas tuer, ni modifier l'âme des gens, ni faire quoi que ce soit ! Je veux juste sauver mon âme à moi et celle de ma mère,  c'est tout ! Je préviens mon hôte qu'il est hors de question que j'accomplisse ces méfaits :

- Il n'en est pas question ! Je ne tuerai personne, et ne modifierai personne. Un point, c'est tout ! Je ne veux pas être Dame des Morts.

Artémise semble profondément choquée par mes propos. Puis, elle sourit à nouveau de son sourire cruel, et annonce de sa voix froide :

- Albert ! Mon invitée se montre réticente... Veux tu bien lui passer le collier autour du cou et l'accrocher dans sa chambre ? Une leçon de dressage et de modification s'impose ! Puis se tournant vers moi : Pas vrai, Anaëlle ? Maintenant, tu seras ma gentille petite fifille. Et tu deviendras une grande Dame des Morts, oui oui !

Je proteste, je me débats, mais Albert est plus fort que moi. Des larmes de rage coulent sur mes joues. Elle veut me dresser ? C'est ce qu'on va voir.

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*Extrait du chapitre suivant*

Je suis accrochée à un baldaquin de mon lit. J'ai dû sombrer dans l'inconscience après l'horrible coup que m'a infligé Artémise par le biais de ses yeux. Les siens sont oranges, ils semblent bruler l'âme de celui ou celle qui en est victime. Et je n'ai pas résisté à la douleur.

Le Monde du Dessous - La Dame des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant