Mes résolutions

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La rage bout en moi. Artémise va me faire payer cette fuite, je le sais bien. Et elle sent que je suis dans un état émotionnel critique. J'ai envie de hurler, de me débattre, de faire payer à Lyanne, même si au fond de moi je la comprends. Et surtout, je veux faire ressentir ma haine à Artémise. Elle n'a pas le droit de disposer de ma vie comme ça, juste parce que la sienne a subi des erreurs. Je ne peux pas bouger, une force invisible qui provient d'Artémise m'en empêche. Nous sommes dans cette espèce de calèche, comme mon premier jour en tant qu'Anaëlle. Mais cette fois-ci, je suis assise droite comme un piquet sur mon siège, et je ne peux même pas tourner la tête pour regarder au-dehors. Les yeux posés sur la paroi en face de moi, je profite du fait que ma langue ne soit pas paralysée pour exprimer ma façon de penser :

- Artémise. Pourquoi ? Pourquoi me torturer ? Je ne te voulais pas de mal. Je veux juste rentrer chez moi, avec ma mère et vi...

Artémise me coupe la parole à l'aide d'une pression invisible sur la gorge, qu'elle matérialise avec sa main. Je me débats, j'essaie de parler mais je ne produis que des sons incompréhensibles. Cela a le don de m'énerver, je commence à vraiment sentir la colère remonter, et à l'instant où je crois que je vais exploser, une lumière jaillit de mes paumes inertes et exprime ma fureur. Je suis libérée, mais dans tous les cas je ne pourrai pas sortir de cette calèche. Alors, je continue à parler à Artémise :

- Mais tu sais bien que je n'ai pas le profil pour être Dame des Morts ! Je ne suis pas comme toi, je suis quelqu'un qui se soucie de la vie des autres !

- Mais que crois-tu ? Que j'ai choisi de le devenir aussi ? Mais réveille toi Anaëlle ! C'était ta mère qui devait me remplacer, parce que c'était une âme pure ! Elle aurait été meilleure que moi, c'est sûr, mais ton fichu lien ne peut même pas aider à la retrouver ! Tu crois que je veux que tu assures la sécurité dans ce monde ? Mais tu te trompes !

- Tu tortures des âmes, tu tues des innocents ! Tu es cruelle, même si c'est ton destin qui t'as rendue ainsi. Tu...

- A ton avis, comment se fait-on respecter ? En instaurant la peur. Je voulais te retrouver. Il a suffit que je menace une jeune fille douce pour qu'elle te trahisse. Je te conseille de prendre exemple sur moi, car à cette heure-ci j'ai rappelé Karl à la maison. Il cesse de chercher ta mère et de surveiller Laurélia. Il vient nous protéger, car maintenant tu es la priorité. Tu ne reverras pas l'extérieur avant longtemps !

- Non ! Laisse moi partir. Je t'en supplie... Je ne veux pas tout ça ! Je... Je sais où elle est ! Ma mère !

Artémise ne répond pas pendant quelques instants. Je sens son regard peser sur moi. Mais je réalise que je n'aurais jamais dû dire ça. Car maintenant, elle ne se soucie plus de moi, va peut-être me laisser mourir. Un plan nait dans mon esprit. Mais oui ! Il suffit que je prétende avoir dis savoir où ma mère se trouve seulement pour être libérée, sur le coup de la colère, et aller chercher l'âme de ma mère sans que personne ne soit au courant. Ensuite, je m'enfuis, et nous rentrons ensemble. Tout est bien qui finit bien ! Je décide de m'en tenir à ce plan. Je me mure dans le silence et ne réponds pas à Artémise jusqu'à notre arrivée.

Artémise n'exerce plus sa pression sur moi. Je la sens concentrée, elle ne cesse de se déplacer au travers de la pièce. Je suis assise sur un fauteuil, le même que j'avais occupé la dernière fois. Je me sens épuisée, vidée, mais déterminée. Je dois m'enfuir. Si je reste, je vais finir par me rendre sous le coup de la torture et donner la situation de l'âme de ma mère à Artémise. Et ça, je ne me le pardonnerai jamais. Je ne peux pas croire que ma mère ait souhaité devenir Dame des Morts. Et moi, j'ai le pouvoir de changer ça. Le pouvoir de me sacrifier, ainsi que de sauver celui qui est mon promis et ma mère. Je dois simplement m'enfuir, échapper à la vigilance d'Artémise et de Karl, simplement disparaître. Mais je ne sais pas comment. Atterrée, je m'enfonce de plus en plus dans mon fauteuil. Que faire ? Mon cerveau tourne à plein régime et je suis au bord de la panique. Je dois établir un ordre de priorités. Tout d'abord, découvrir à qui ou quoi est liée mon âme, où se trouve son autre partie, puis trouver le chemin vers l'Oubli. Là-bas, libérer ma mère, l'envoyer retrouver son corps sur Terre, ou la laisser monter au ciel. Et enfin, je pourrai revenir sous le joug d'Artémise. Mon heure sera venue de me sacrifier pour ceux que j'aime...

Je reprends conscience de la réalité lorsqu'un long cheveux blond effleure mon visage. Je tente de me redresser, mais mon corps est tout engourdi, je ne suis que spectatrice de la scène. Artémise est penchée sur moi, souriante, apparemment ravie de son petit manège. Derrière elle, adossé à la grande cheminée, se trouve un homme assez grand, mais qui lui ne paraît pas heureux de me voir ici. Il a presque l'air... désolé. Ce doit être Karl. Ses cheveux sont gris, mais son visage me semble jeune. J'entretiens l'espoir qu'il puisse résonner Artémise, et tente de crier à l'aide, de lui demander de me libérer, mais je ne suis capable d'aucun son. Artémise agite ses mains devant mon visage, tel un chat qui joue avec sa proie. Je lui lance un regard peu amène, l'incitant à en finir. Si elle veut que je souffre, autant commencer maintenant ! Mais elle recherche son propre plaisir, c'est évident. Soudain, je sens quelque chose me comprimer les poumons si fort que l'air en est subitement expulsé. Incapable de me rouler en boule ni même de me contorsionner, j'écarquille les yeux sous l'impression de vide qui m'envahit. Mes poumons comprimés régulièrement en une respiration forcée, je ne suis plus maître de mon corps. A cet instant, je comprends qu'Artémise souhaite me briser mentalement. Et je sais que je serai à elle, tôt ou tard. Mais avant, je veux accomplir mes derniers souhaits en tant que moi-même. Je ne veux pas que la perte de l'âme de ma mère soit additionnée à la mienne. C'est ma mère, ou moi. Pas les deux ! A l'instant où je sens que l'étau se resserre sur mes poumons et que je vais perdre connaissance, alors que j'essaie désespérément d'avaler une goulée d'air, j'entends un cri. Sorti de nulle part, à la fois ici et là-bas, la voix qui émet cet aveu de douleur profonde m'est familière. Sofia. Cette dernière vérité éclate à mes yeux alors que je sombre dans l'inconscience. Ma mère ressent les tortures que je subis, et elle communique avec moi. Je ne réaliserai jamais que le cri semblait être sorti de ma propre bouche.

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*Extrait du chapitre suivant*

Je reprends connaissance allongée sur mon lit. Le plafond m'apparaît flou à cause des larmes qui emplissent mes yeux. J'ai entendu la voix de ma mère. Son cri de douleur accordé au mien. Chaque torture que je vais devoir endurer, ma mère le devra aussi.

Le Monde du Dessous - La Dame des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant