Mon lien est ma lumière

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Je suis accrochée à un baldaquin de mon lit. J'ai dû sombrer dans l'inconscience après l'horrible coup que m'a infligé Artémise par le biais de ses yeux. Les siens sont oranges, ils semblent bruler l'âme de celui ou celle qui en est victime. Et je n'ai pas résisté à la douleur. Mais que vais-je devenir ? Si Artémise a décidé de me modifier, cela va forcément prendre un certain temps. Que je n'ai pas ! Il faut que je retrouve l'âme de ma mère, afin de la rendre à son corps pour qu'elle puisse partir en paix. Et cette partie de mon âme qui reste encore introuvable.. A cet instant, je me sens submergée de désespoir. Que faire ? Je ne peux pas m'enfuir. Je ne connais rien de ce monde. Et surtout, je ne veux pas souffrir. Mais le seul moyen de m'y soustraire, c'est d'obéir. Mais qu'est l'obéissance face à un principe selon lequel on m'a élevée ?

Je ne tuerai personne. Jamais.

Et si, pour atteindre nos âmes, à ma mère et moi, il fallait que je tue Artémise, Laurélia, Karl, et tous ceux qui se mettront en travers de mon chemin ? J'écarquille les yeux, surprise par cette pensée. Mais je comprends, au petit sourire d'Artémise qui vient d'entrer dans la pièce, qu'elle en est à l'origine. Si elle peut s'introduire dans mon esprit, je ne donne pas cher de ma peau. Mais quelle peau ? Mon corps est resté dans le monde Mortel. Ici, je ne suis qu'une âme. Soudain, une idée lumineuse traverse mon esprit. Et si le fait de n'être qu'une âme permet à une Dame des Morts de dresser plus facilement ? Alors, il me suffirait de retourner dans le monde Mortel pour me soustraire à son traitement. Mais comment y retourner ? Selon mes souvenirs, c'est assez facile : se laisser tenter. Je pense que, comme je ne suis pas complètement là, ici, dans le monde du Dessous, il y a quelque chose qui m'attire vers chez moi, là où je devrais être. Il faut simplement que je ressente cette envie. Ce que je m'empresse de faire. Je ferme les yeux, je respire à fond, je me relaxe. Dans les premières secondes, c'est assez compliqué, mais j'y parviens. Je pense à ma grand-mère, à ses techniques de relaxation acquises au vu d'années de pratique. Elle avait raison, elles fonctionnent. Je commence à ressentir un picotement dans mes doigts, mes yeux se révulsent sous mes paupières, et je commence inconsciemment à me griffer les poignets, semblant chercher une veine plus exposée que les autres. Il faut donc que je me suicide, c'est ça ? Que mon âme "meure" en ce monde ? Cela ne tient plus qu'à moi. Je me laisse guider par cette force inconnue qui a le total contrôle de mes membres. Malheureusement, Artémise s'en rend vite compte, et sa nature lunatique qui m'avait laissée tranquille jusqu'ici refait surface. Elle se jette sur moi, et de ses doigts fins aux ongles longs me soulève les paupières. Comme il ne faut pas réveiller un somnambule, il ne faut pas réveiller quelqu'un en transe. Seule la personne elle-même peut le faire. Mais trop tard : mes yeux me brûlent, je hurle à pleins poumons :

- Laisse moi tranquille ! Je veux juste vivre en paix avec ma famille ! Mais la tienne m'a tout pris !

Je reviens enfin complètement à moi. Artémise se recule, nullement apeurée, son sourire narquois toujours sur les lèvres. Puis, elle se penche à nouveau vers moi, et me chuchote à l'oreille :

- T'ai-je déjà dit que ton âme est pure ? Seule les âmes pures peuvent communiquer avec leurs ancêtres de la manière dont tu l'as fait. Ne t'inquiète pas, Anaëlle, je ne vais pas détruire ton esprit, simplement le modifier. Partage un peu avec moi, veux tu ? Quand on n'a pas ton don, on meurt affreusement seul. C'est ce qui m'est arrivé. Mais heureusement, dit-elle en se redressant, grâce à mon pouvoir de Dame des Morts, je peux utiliser ton âme pour jouir de certaines de tes capacités. J'ai quelques mots à dire à ta chère famille...

Horrifiée, je la regarde aspirer quelque chose de mon front, à l'aide de ses mains. Je me sens comme une coquille vide, je ne sais plus quoi faire, mes bras, mes jambes, plus rien ne m'obéit. J'ai peur. Mais bientôt, je ne ressens plus rien, je ne suis plus que spectatrice. Je regarde Artémise tomber en transe, et je l'écoute converser avec les êtres qui me sont chers.

- Dites moi où se trouve l'âme de Sofia, la mère de Juliana. Hmmm... Mais encore ? Celle d'Anaëlle, pardon, Juliana aussi ? Mais où est-ce ? Je...

Elle s'effondre sur le sol, et je me rends compte que je suis complètement liée à elle : je me vide de mes forces, progressivement, alors qu'elle les utilise pour se régénérer elle-même. Assise au sol, elle me regarde et me dit :

- Eh bien ! Ton grand-père a un sacré caractère ! Il m'a littéralement expulsée du lien qui vous unit, comme un vulgaire parasite.

Les paupières à demi fermées, je murmure :

- Où.. Où est l'âme... De Sofia ?

Rien qu'à l'évoquer semble déranger Artémise. Elle humidifie ses lèvres, et me cite ce qu'elle a entendu quelques secondes plus tôt :

- "Là où se jouent tes rêves les plus sombres se trouve le souffle de ta trouvaille". Si tu y comprends quelque chose, je t'ordonne de m'en faire part immédiatement. 

Je n'y ai rien compris, mais dans le cas contraire, je ne l'aurais pas dit. Une stratégie s'impose alors à moi : si je fais semblant de comprendre, elle ne souhaitera pas me modifier, ni me faire souffrir, mais me satisfaire pour accéder à la réponse ? Et au moment où elle réalisera que je ne l'ai jamais eue, je serai déjà loin. A cet instant, l'espoir me submergeait, et je n'ai pas pensé qu'elle pourrait tout aussi bien redoubler d'attention pour ne pas que je m'enfuie, à la recherche de la fameuse trouvaille. Mais, trop tard ! Il me fallait avancer selon un plan. Alors, j'ai attrapé mon collier, j'ai crié "Grand-père !" et j'ai tiré. Une lumière est alors sortie de mes paumes, a traversé le collier, l'a brûlé comme l'aurait fait une flamme sur une corde, puis je me suis trouvée libérée. Profitant de l'effet de surprise, j'attrape une veste posée sur mon lit et je me sauve en courant, utilisant toujours la même lumière pour verrouiller la porte après mon passage. A aucun moment je ne me pose de questions par rapport à la lumière. Sauf peut-être une fois que j'ai franchi la porte principale, sans me perdre, perdue devant l'immensité de ce monde encore inconnu et hostile.

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*Extrait du chapitre suivant*

Je ne dois pas nier que je suis perdue, à bout de forces, à cause de cette lumière sortie de mes paumes, cause de mon évasion. Mon cerveau tourne à plein régime. Il faut que je trouve l'origine de la lumière et la signification réelle de la phrase de grand-père.  

Le Monde du Dessous - La Dame des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant