Ma liberté

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Je me réveille à l'aube, fraîche et reposée. Je m'assois, je baille, et j'essaie de me frotter les yeux. Mais quelque chose m'empêche de le faire correctement... Mes mains sont liées par une corde qui me semble incassable. Maintenant parfaitement réveillée, je tente de me souvenir des évènements de la soirée dernière, mais rien ne vient. Tout est confus... Je me souviens d'une jeune fille, Lyanne, de nourriture et de bonnes nouvelles. Mais pas de danger... Alors pourquoi suis-je attachée dans ma chambre ? Je tourne vivement la tête vers la porte. J'entends des bruits de pas derrière, et au plus profond de moi j'ai toujours peur que cela ne soit Artémise. Tremblante, je souffle :

- Qui est là ? Montrez vous !

Personne ne répond. J'attends quelques secondes, et alors que je me souviens que je suis dans une auberge et que je ne suis sûrement pas la seule à loger ici, la porte s'ouvre subitement. Je sursaute et, dans mon mouvement, je chute du lit. N'ayant pas l'usage de mes mains pour me réceptionner, je tombe lourdement aux pieds de mon visiteur. Enfin, de ma visiteuse. Elle s'assoit au sol, à côté de moi. Je la reconnais, c'est Lyanne. Soulagée, car je la vois comme une amie, je relâche la pression dans mes muscles. Le remarquant, elle sourit en coin. Mais elle ne fait pas un geste pour m'aider. Je réussis, après quelques tentatives, à me redresser seule. Nous sommes maintenant face à face. Elle me semble tout à coup hostile, alors que je me souviens d'elle comme une personne chaleureuse. Que s'est-il passé pendant mon sommeil ? Je décide de lui poser des questions pour rassembler les informations qu'il me manque :

- Lyanne... Que t'est-il arrivé ? Tu sembles... Différente. Pourquoi donc ai-je les mains liées, ne veux tu pas m'aider ?

Elle sourit toujours, mais cette fois tristement. Elle secoue la tête de gauche à droite, mais décide tout de même de m'expliquer.

- Je suppose que je peux tout te raconter. Elle ne m'a pas donné de consigne contraire... Bien. Je tiens tout d'abord à te dire que ce qui t'arrive est regrettable. Je ne l'ai pas souhaité, mais tu comprends, je ne te connaissais pas. 

- Qu'as-tu fait ? Ne me dis pas que... Lyanne !

- Si. Mais tu comprends, quand j'ai pris mon service ce jour-là, j'ai trouvé cette lettre, et ce n'est pas courant de recevoir des ordres de notre Dame des Morts. Comment aurais-je pu réagir différemment ? Elle parlait d'une jeune fille qui se rendrait inconsciemment dans cette auberge et se retrouverait complètement déboussolée. Sans en parler à personne, je devrais l'accueillir chaleureusement, lui donner tout ce dont elle aurait besoin. Mais surtout, je devrais la retenir, stopper sa fuite. Il y avait un cachet officiel ! Et... J'avoue que j'ai hésité, en te voyant, car je t'apprécie. Mais elle a menacé de torturer les âmes de mes petits-frères... Je n'ai pas voulu laisser ça arriver. Alors, je t'ai saoulée au vin et j'ai fait prévenir Artémise que tu dormais paisiblement et que tu ne risquais pas de t'enfuir. Elle viendra te chercher dans la matinée.

Je détourne la tête de cette traître. J'ai la nausée, mal à la tête, et ce sentiment de trahison m'occupe l'esprit. N'aurai-je pas réagi de la même façon à sa place ? Des larmes amères coulent sur mes joues et s'échouent lamentablement sur mes mains liées. Le remarquant, Lyanne ressent le besoin d'ajouter :

- Anaëlle... Je suis désolée, je ne sais rien de toute cette histoire. Est-ce si horrible ? Tout le monde veut être favorisé par la Dame des Morts...

- Juliana ! Je m'appelle Juliana, n'en déplaise à Artémise ! Tu ne comprends pas... Je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas morte ! Je suis vivante, mais on m'a arraché ma vie pour que je répare des erreurs passées auxquelles je n'aurais pas dû être liée ! Et j'avais une possibilité de reprendre ma vie là où je l'ai arrêtée ! Tu as tout gâché ! Pars, s'il te plaît. Je veux attendre mon destin seule.

Bouleversée, Lyanne me sert une dernière fois dans ses bras et murmure :

- Je ne t'oublierai jamais, mon amie. Si jamais tu as des ennuis, ce sifflet apportera de l'aide. Je te le promets !

Elle me glisse un objet de bois dans la main et quitte la pièce dans un frottement de tissu. J'ai été trahie, mais après ces aveux je me sens un peu mieux. Elle ne pensait pas à mal... Je cache le sifflet dans un repli de ma tunique, et je me lève. Je tente tant bien que mal de trouver un objet coupant pour briser mes liens, mais de toute évidence Lyanne avait prévu cette éventualité. Désespérée, je m'assois finalement sur le lit. Mais un dernier recours me vient à l'esprit. Ma lumière ! Mon lien ! Mais oui ! Je ferme les yeux et me concentre, déterminée à atteindre mes ancêtres ou cette mystérieuse lumière. Je chuchote, comme la fois précédente :

- Grand-père, libère moi.

Je sens une légère brise agiter mes cheveux mais je reste imperturbable. Au bout d'un temps qui m'a semblé interminable, j'entends un léger craquement. La corde qui retenait mes poignets prisonniers a cédé. Je suis libre ! Je me redresse alors et, dans ma confusion, je me précipite vers la porte. Sur mon passage, je renverse une chaise, mais peu m'importe. Ma main sur la poignée, je tire. La porte s'ouvre, et je tombe nez à nez avec Artémise. Terrifiée, je recule, mais je trébuche sur la chaise derrière moi et m'effondre en arrière. Le souffle coupé et le dos déformé, j'entends un craquement. J'espère intérieurement que la chaise a cassé sous mon poids, mais je sais très bien que c'est un os qui a craqué. Un de mes os. Paralysée, paniquée, je suis obligée de regarder Artémise sourire. Mais quelque chose cloche, comment est-ce possible ? Je me souviens bien que se casser un os ou autre est psychologique dans ce monde. Alors... ? Non ! La main d'Artémise se lève, me soulevant dans le même mouvement. De son autre main, elle fait la forme d'un collier, qui se matérialise autour de mon cou. Enfin, elle claque des doigts et s'en va, par là où elle est arrivée, mon corps flottant la suivant. En moi bout la rage, le désir de vengeance et l'amertume. J'ai cru être libre...

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*Extrait du chapitre suivant*

La rage bout en moi. Artémise va me faire payer cette fuite, je le sais bien. Et elle sent que je suis dans un état émotionnel critique. J'ai envie de hurler, de me débattre, de faire payer à Lyanne, même si au fond de moi je la comprends. Et surtout, je veux faire ressentir ma haine à Artémise. Elle n'a pas le droit de disposer de ma vie comme ça, juste parce que la sienne a subi des erreurs.


Le Monde du Dessous - La Dame des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant