Mon espoir de fuite

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Je reprends connaissance allongée sur mon lit. Le plafond m'apparaît flou à cause des larmes qui emplissent mes yeux. J'ai entendu la voix de ma mère. Son cri de douleur accordé au mien. Chaque torture que je vais devoir endurer, ma mère le devra aussi. L'idée m'est insupportable, mais si je cède, ma mère sera trouvée et amenée ici, à ma place, et devra devenir une Dame des Morts. Mais n'a-t-elle pas assez souffert ? Bon sang ! Pourquoi cela nous arrive-t-il ? Je n'aspire qu'à une vie simple, dans la paix. Est-ce trop demander ? Je me redresse brusquement. Je dois absolument m'enfuir, trouver la façon exacte de me rendre dans l'Oubli et libérer ma mère. Tant pis pour le reste, le temps presse. Son âme va disparaître d'un jour à l'autre ! Seulement, Albert se tient debout en face de mon lit, un sourire édenté sur son visage. Il se déplace lentement vers la porte, sans un mot, et la referme derrière lui comme s'il ne fallait faire aucun bruit. Alors, je me précipite sur le grand placard dans lequel sont rangés mes habits. A la hâte, sans aucun plan, je sors de la pièce aussi furtivement que mon visiteur l'a fait quelques minutes plus tôt. L'idée me vient de courir. J'enlève mes chaussures afin que les bruits de mes pas ne s'entendent pas, et je quitte ce lieu maudit dans lequel j'ai été retenue prisonnière. Mais... Quelque chose ne va pas. C'est trop facile. Pourquoi personne ne s'oppose-t-il à moi ? Peu importe. Mon instinct me hurle de continuer, et c'est ce que je fais. Je vide mon esprit, et je cours, encore et encore, jusqu'à n'en plus pouvoir. Ce n'est qu'au bout de plusieurs heures que je m'effondre, épuisée, et que je réfléchis à mes actes. Artémise va être folle de rage, je vais être recherchée dans tout le monde du Dessous, et plus aucun espoir de fuite ne me sera accordé si je suis attrapée une fois de plus. Pourquoi tout se répète-t-il inlassablement ? Je ferme les yeux quelques secondes. Où se trouve l'Oubli ? Je me torture les méninges, mais impossible de savoir. Ce lieu peut n'exister que dans mon imagination ! Mais je dois continuer. Même si je n'ai pas de but, c'est mon devoir. Je dois éviter les autres personnes, me cacher sans cesse et avancer. Toujours avancer. Alors c'est ce que je fais. J'avance. Sans même penser à rien, j'oublie qui je suis. Où je vais. J'oublie ce qui fait de moi un être vivant. Je me perds dans les méandres de l'esprit, les yeux dans le vide, les jambes bougeant instinctivement. Comme si... Comme si mon âme (ou ce qu'il en reste) avait quitté mon corps et était partie ailleurs. Là où personne ne peut l'atteindre. Dans... L'Oubli.

Il fait noir, mais j'y vois clair. Sans comprendre, ou du moins sans le vouloir, je me dirige vers le trou qui s'ouvre face à moi. Cette fois-ci, personne. Je saute et atterris doucement sur une matière que je ne connais que trop bien. De la chair humaine... Je sais parfaitement où je me trouve. Mais je ne veux pas y croire. Tout est beaucoup trop facile ! J'aurais pensé avoir à surmonter beaucoup plus d'obstacles. Toujours sur mes gardes, je longe le mur froid de ma main droite, afin de ne pas me perdre en plein milieu de cette horrible pièce. Je sais où se trouve la personne que je cherche. Doucement, je murmure :

- Sofia... puis plus fort : Maman !

J'entends un râle proche de ma jambe gauche, alors, je m'agenouille et pose la tête de l'être cher sur ma cuisse. Lui caressant le front, je chuchote :

- Enfin... Je t'ai trouvée. Tu es là, et nous rentrons à la maison.

Sofia semble désemparée. Elle souffle :

- Comment as-tu fais ?

- Je n'en ai aucune idée. L'important, c'est que je sois là, maintenant. Et je sais comment en sortir. Du moins, je l'ai fait de cette manière l'autre fois. Il faut s'endormir.

Sofia hoche la tête. Elle est très faible, et je me félicite d'être arrivée à temps. Je m'allonge à ses côtés, et tente d'oublier ce qui me sert de couchette. Je frissonne, mais un bras s'enroule autour de ma hanche et me réchauffe le cœur. Nous rentrons à la maison. Enfin ! Je sombre dans un sommeil agité alors que des bruits suspects atteignent mes oreilles.

Non ! Pas ça, par pitié ! Je suis toujours allongée avec ma mère, mais là où j'étais avant de me rendre dans l'Oubli. Autour de nous, tout est silencieux, à part un rire mauvais, sarcastique. Je relève la tête, tous les sens en alerte. Klaus, le compagnon d'Artémise, nous fait face et tient un couteau serré dans sa paume. Il sourit cruellement et s'approche de nous, pas à pas. Sofia n'a pas encore repris connaissance, et je sens la terreur monter en moi. Que faire ? Tout ce temps, j'ai été suivie, et lorsque j'ai atteint l'Oubli, Klaus a attendu ici que je lui serve ma mère sur un plateau d'argent. J'aurais dû le savoir ! Il passe sa langue sur ses lèvres et dit :

- Voyons, Anaëlle. Sois raisonnable ! Laisse ta mère accomplir son destin. Toi, rentre chez toi, et profite de la vie. Lorsque tu nous reverras, Artémise et moi, tu seras morte et nous te ferons payer tes erreurs. Mais jusque là, ne pense plus à cette regrettable histoire ! Allez, sois mignonne et écarte-toi. Ce ne sont pas des choses pour enfant.

Sa dernière remarque me touche profondément. Psychologiquement,  je ne me sens plus du tout comme un enfant. Mais que faire ? Que lui répondre ? Tenter l'insolence n'est pas une option, il ne ferait que nous faire souffrir davantage. Cet homme est capable du pire, et je le sais. Tout ce que je trouve à répliquer me paraît inutile :

- Ne vous approchez pas ! Reculez ! Sinon...

- Sinon quoi ?

Il ne cesse de se rapprocher, et son sourire ne cesse de grandir.

- Que vas-tu faire ma petite ? Appeler ta môman ? Oh, pardon ! Elle sera déjà loin ! Mais ne t'inquiète pas, nous ferons tout pour qu'elle survive ! Enfin, dans ce monde...

Une idée me vient à l'esprit. Mais oui ! Le sifflet ! Je tire la chaîne autour de mon cou pour y trouver au bout le sifflet que Lyanne m'avait offert pour se faire pardonner. N'ayant aucun autre moyen de vérifier si de l'aide me sera vraiment apportée, je souffle dedans de toutes mes forces. A ce son, Klaus tombe à genoux et se bouche les oreilles, une grimace de réelle douleur sur son visage. Alors, vite, je ferme les yeux et je compte jusqu'à cinq. Alors que je prononce mentalement le "5", une main se pose sur mon épaule et me retourne. Prête à me défendre, je prépare mon poing mais mon agresseur avait prévu ma réaction. Je suis immobilisée. Mais l'aide m'a été apportée. En face de moi se tient Lyanne. D'un sourire gêné, elle me dit :

- J'ai assisté à ton départ de l'auberge la dernière fois. Je me suis sentie si coupable... Je voulais t'aider. Me racheter. Alors je suis là, maintenant. Suis-moi ! Aide-moi à porter ta mère et fuyons avant que l'effet du sifflet ne s'estompe. Lorsque ce sera le cas, je disparaîtrai car je suis à l'auberge réellement. Ceci n'est qu'une partie de mon esprit que j'ai envoyée t'aider. Rejoins-moi à l'auberge, je sais quoi faire pour aider ta mère à supporter le voyage du retour.

Je la suspecte encore de me vendre à mes ennemis, mais je n'ai d'autre choix que de faire ce qu'elle me dit. Alors, j'obéis. Et advienne que pourra.  

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*Extrait du chapitre suivant*

Chaque pas, chaque seconde que nous passons loin de la protection de l'auberge me paraît durer une éternité. L'esprit de Lyanne devient de plus en plus transparent, je peux presque sentir le tonnerre gronder sous la colère de Klaus. Il pleut depuis notre départ, rendant notre transport de plus en plus compliqué. Tantôt trébuchant sur une racine, tantôt dérapant dans la gadoue, je ne cesse de tourner les images des derniers instants dans ma tête.

Le Monde du Dessous - La Dame des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant