- Tu prends un malin plaisir à voyager entre deux mondes, Calypso. Quoique, je n'ai plus le droit de t'appeler comme ça, tu as quitté ma tutelle puisque tu es retournée chez toi. Mes hommages, Juliana, tu es considérée comme majeure dans ce monde maintenant. J'aimerais pouvoir dire « débrouille-toi » mais je te dois mon aide, après ce rituel horrible, je te l'accorde.
J'écoute distraitement la sentence de la Dame des Morts. Je suis obnubilée par le fait que ma mère soit sans doute vivante. Mais que s'est-il réellement passé il y a trois ans ?
- Cependant, je suis autorisée à t'inclure à ma famille. Ce qui te permettrait de ne pas achever ta transformation, laissant simplement ton corps en attente là où il est... En espérant que ta famille ne le fasse pas incinérer ! Sinon, je devrai achever ta transformation en esprit seul, sans forme charnelle. Ce qui serait dommage pour toi... Ou alors, autre option, je te transforme tout de suite et nous nous mettons immédiatement à la recherche ta mère ! Je te laisse le choix.
Sans hésiter, je réponds d'une voix qui n'appelle aucune réplique :
- Je veux conserver mon corps et rester comme je suis. Peu importe ce que tu veux dire par « m'inclure à ta famille ».
- Il n'y a rien de caché derrière cela. Tu seras ma fille, tu devras te créer une nouvelle personnalité, une nouvelle identité, pour ne pas que notre petite tricherie soit découverte. C'est tout, et ce n'est que pour un temps.
- Ça me va ! Faut-il signer un pacte ou autre chose de ce genre ?
- Non. C'est entendu, ma fille ! Comme je suis ta mère, j'ai le droit de te choisir un nom, tu ne crois pas ? Aujourd'hui est le jour de ta naissance ! Et tu t'appelleras... Anaelle !
Bon, ça ira. Ce nom est déjà mieux que « Calypso ». Alors, impatiente que je suis, je demande :
- C'est bien beau tout ça, mais que faisons-nous maintenant ?
- Ne sois pas si pressée ! Nous avons tout notre temps. Je vais t'amener chez moi, enfin chez nous, et te faire visiter. Tu vas te changer, nous allons discuter de ta nouvelle identité, nous les chasseuses d'esprits. Ensuite, je t'expliquerai tout ce que tu dois savoir, je te présenterai aux personnalités importantes de ce monde, je m'occuperai de ton éducation, ta façon de danser, de te mouvoir, ta tenue, et tout ce qui va avec ! Oh, j'en ai déjà la tête qui tourne !
- Mais n'oublions pas l'objectif principal : ramener ma mère et ensuite nous laisser rentrer chez nous. Entendu ?
- Ça marche ! Allons-y, comme tu as bien compris, on a du pain sur la planche !
Mais je n'ai pas envie de comprendre. Je me sens enchaînée à elle, qui se fera passer pendant un moment pour ma mère. Une mère pareille, sadique, cruelle, qui ne pense qu'à s'amuser et prend les jugements d'âmes à la légère ! Vraiment, elle me rebute.
C'est la première fois que je quitte l'espace de transition, majoritairement blanc et éblouissant. On a traversé comme un palier, quelques portes dérobées, des gardes ressemblant eux aussi à des trolls comme le valet de la dernière fois, des hommes dont la mousse colle à leur peau comme s'ils étaient au fond de l'eau, immobiles, depuis longtemps. Ils ont dû se noyer... Suivant mes regards, se délectant de mes surprises, la Dame des Morts ne cesse de répéter qu'être ma mère l'enchante. Elle a le don de m'énerver et de mettre de l'huile sur le feu. Quel tact ! Mais la beauté du monde du Dessous me surprend tellement que je suis incapable de penser à autre chose. A la hauteur des Jardins Surterrains, tout est magnifique, empreint d'une grandeur et d'une noblesse sans pareille. Nous entrons dans ce qui ressemble à une ville, dont les ruelles sont étroites et les bâtiments accolés les uns aux autres. Il me semble que, selon les quartiers, les époques auxquelles se rattachent l'architecture et la population varient. Mais majoritairement, c'est un mélange de tout. Nous nous asseyons sur de petits bancs, pas très larges, ressemblant à des chaises de l'époque de Louis XVI élargies pour s'asseoir à plusieurs. Nous attendons quelque chose, mais quoi ? Je comprends que le lieu où nous nous trouvons est l'équivalent d'un arrêt de bus. Je me surprends à rire légèrement. Un coche apparaît à l'horizon, mais il ne possède pas de conducteur. Il ressemble fortement aux voitures à chevaux en usage il y a quelques siècles. Seulement, les sièges intérieurs sont en cuir et ressemblent aux dignes sièges d'une voiture de 2016 ! Ce qui n'enlève en rien le charme "d'époque" du véhicule. Nous embarquons pour un voyage à travers ce qui me semble être une forêt. Le silence s'installe entre la Dame des Morts et moi. Mais tellement de questions se pressent à mes lèvres ! Jugeant qu'aucune interdiction ne m'a été donnée contre de simples interrogations, j'entrouvre les lèvres et prononce doucement, comme pour ne pas froisser mon interlocutrice :
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Le Monde du Dessous - La Dame des Morts
HorrorTout autour de moi est à la fois différent et familier. Toutes époques mélangées. Et moi, je suis là, ni morte ni vivante, ne pensant qu'à m'enfuir. Aujourd'hui plus que tout autre jour, mes racines me paraissent lointaines, comme l'autre rive d'un...