Le jour suivant ma fuite

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Je me réveille extrêmement frustrée. Je n'ai pas vraiment compris ce qui s'est passé dans l'Oubli. Juste que j'ai apparemment retrouvé l'âme de ma mère. Mais tout n'avait pas l'air si simple... Elle semblait préoccupée par quelque chose, comme quoi mon âme serait liée. Mais elle n'a jamais terminé sa phrase. Et puis, comment accéder à ce lieu, que je ne vois qu'en rêve ? Car maintenant, ça me revient. J'ai déjà fait ce rêve, mais encore plus incomplet. En tout cas, j'en arrive à la déduction que, s'il y a des cadavres, c'est forcément dans le monde Mortel. Non ? Ce sont des enveloppes charnelles vides, ce que je ne pense pas possible dans le monde du Dessous. Très bien. Alors, premier objectif, me rendre dans le monde Mortel. Mais je me trouve face à une nouvelle difficulté : à mon dernier départ, j'ai laissé mon corps entre les mains des ambulanciers. Il doit se trouver maintenant dans une morgue, ou pire. S'il a déjà été détruit, mon âme se retrouvera... Dans l'Oubli ! Mais oui, c'est ça !! Il faut que je m'assure que mon corps soit détruit si il ne l'a pas encore été. Mais voilà un autre problème : si je me tue dans le monde Mortel pour le détruire, la Dame des Morts me retrouvera. Et ça, je ne peux pas l'accepter. Je réalise très bien que je ne saurais pas m'enfuir une seconde fois. Alors, que faire ? Surtout que, si mon corps n'a pas encore été détruit, j'ai encore une chance de réintégrer le monde Mortel après toute cette aventure. Si seulement... Je réalise que ma famille me manque horriblement. Je voudrais les revoir, tous, comme si c'était normal et que rien ne s'était passé. Mais j'aurais eu des questions inévitables, comme "Où était tu pendant tout ce temps ?" ou même "Quelle est cette cicatrice dans ton cou ?". Il faut que je me focalise sur une première étape : découvrir à quoi ou qui mon âme est liée. Et pour ça, il faut que je quitte cette forêt. Je me lève, je frotte mes habits pleins de feuilles et ébouriffe mes cheveux pour leur donner un semblant de coiffure. Il est temps de partir. Je dois trouver de l'aide. Mais comment ? Le seul moyen, c'est de me sociabiliser. Je fais un pas, puis un deuxième, un pied après l'autre. Je me sens déterminée. Mon estomac gargouille, j'ai toujours mal à la tête, et ce sommeil n'a pas été réparateur du tout. Je suis en piteux état, si bien que je regrette presque le confort de ma chambre chez Artémise.

Mais si j'étais restée, je n'aurais de toute façon pas eu le même confort qu'à mon arrivée.

Je remarque pour la première fois au bout de dix minutes de marche le silence de cette forêt. Un silence surnaturel : pas de vent, donc de bruissement dans les feuilles, et pas de chants d'oiseaux non plus. Je frissonne. Cette forêt est comme une illusion. Alors, effrayée, mal à l'aise, j'accélère le pas afin de vite me retrouver au milieu de beaucoup de monde. A plusieurs reprises, ma vue se brouille. Depuis combien de temps n'ai-je pas mangé ? Mais je continue à avancer. Dans ce genre de situation, le mental doit primer sur le reste. Et je me demande si je ne suis pas en train de rêver. Je suis comme morte. Mon corps, donc mon estomac, n'est pas ici. Seul mon esprit l'est. Peut-être que j'imagine la douleur ? Tout à coup, je trébuche sur une racine. Je m'effondre et me frappe la tête contre le sol. La douleur me semble tellement réelle ! Et le sang qui commence à couler d'une plaie sur mon front aussi. Allongée au sol, incapable de me relever, je soupire. Je ferme les yeux, et je chuchote :

- J'ai faim, je suis fatiguée, et j'ai mal. Mais par-dessus tout, je suis perdue, et je ne sais pas où aller. Que va-t-il advenir de moi ?

Ce que j'avais oublié, en prononçant ces mots, c'est que la plupart du temps dans le monde du Dessous, ils se réalisent d'eux-mêmes. C'est ainsi que je sens comme un trou me happer, pour rouvrir les yeux dans une pièce pleine de monde. Je regarde autour de moi, mais personne n'a remarqué ma soudaine apparition. Ca doit être monnaie courante chez eux ! Je suis assise sur un tabouret devant une lourde table de bois. La maison dans laquelle je me trouve semble être faite de colombages, comme à l'époque. Mais le plus hallucinant, c'est que je suis dans une auberge. Je décide de me lever pour aller me signaler et avoir un repas ainsi qu'une chambre, lorsque je réalise que je n'ai pas la moindre idée du moyen de payer dans ce monde. Et que je n'ai rien sur moi, aucun objet de valeur. Peut-être est-ce la monnaie qui était en vigueur à l'époque à laquelle se réfère le bâtiment ? Je n'en ai pas la moindre idée. Alors, je décide de quitter les lieux discrètement. Mais, juste avant que je ne passe la porte, une jeune fille me retient le bras. Sa tenue va bien avec l'époque du lieu : elle porte une lourde robe de paysanne ainsi qu'un tablier. Elle me paraît jeune et jolie. Elle a dû mourir d'une maladie... Elle me force à me retourner et me dit de sa douce voix :

- Ne pars pas ! Je t'ai vue apparaître. Tu n'as pas l'air bien, et j'ai vu ton regard. Je suis sûre que tu viens d'arriver et qu'Artémise, sa Majesté la Dame des Morts, t'a lâchée en pleine nature sans rien t'expliquer. Ici, tu peux manger sans payer. C'est une auberge pour les nouveaux arrivants, ceux qui ont des problèmes d'intégration. Assieds toi, que nous puissions discuter. Bien. En réalité, tu n'as ni besoin de manger ni de dormir dans ce monde.

J'acquiesce gravement, mais je ne suis pas convaincue. Pourquoi ai-je si faim alors ?

- C'est psychologique. Au début, ton esprit conserve ses habitudes. Tu devras donc manger, dormir etc. mais au fur et à mesure tu n'en auras plus besoin. Nous t'offrons un lieu de résidence jusqu'à ce que cette période soit terminée ! Alors bienvenue !

J'ai du mal à réaliser. Ainsi, je suis sauvée ? Avec un grand sourire, je remercie ma bienfaitrice. Elle m'apporte un plat sur lequel trône un joli poulet. Je salive rien qu'à cette vue ! Pendant que je me rassasie, elle discute avec moi, m'explique le fonctionnement de l'auberge, me parle de sa vie ici. Je la trouve charmante, et après une heure au moins de bavardages, la salle se désemplit et je ne peux étouffer un baillement. Elle me suggère alors de monter dans ma chambre, qu'elle va me présenter. Je me laisse faire, épuisée, vidée de mon énergie par les derniers évènements. Nous nous rendons à l'étage, et je découvre une petite chambre douillette et propre, qui fera largement l'affaire. Je m'assois sur mon lit, et je réfléchis. Lyanne s'installe à côté de moi, et pendant ce qui me paraît une éternité, nous restons silencieuses, perdues dans nos pensées. Après tous ces verres de vin qu'elle m'a donné, toute cette nourriture, j'ai la tête qui tourne. Connaissant toute mon histoire, elle comprend que je suis épuisée et que je souhaite dormir. Alors, elle me dit bonne nuit et referme la porte, ne me laissant qu'une bougie. Je ne me déshabille même pas et m'endors, inconsciente des ennuis que je viens de m'apporter.

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*Extrait du chapitre suivant*

Je me réveille à l'aube, fraîche et reposée. Je m'assois, je baille, et j'essaie de me frotter les yeux. Mais quelque chose m'empêche de le faire correctement...

Le Monde du Dessous - La Dame des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant