La louve d'argent

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L'animal fantastique était couché sur le flan. Il bougeait si peu que l'on aurait pu le croire mort, mais sa faible respiration m'indiqua que ce n'était pas le cas.
Toujours assise, je ne bougeais pas d'un pouce pour ne pas réveiller l'animal. J'étais encore étourdie et même observer l'endroit ou je me trouvais me pris du temps.

Au bout d'un certain laps de temps, je me rendis compte que la lumière régnante n'avais rien de naturel, dans cette grotte sombre, j'aurais du être incapable de distinguer quoi que ce soit.
J'avais entendu parler d'une espèce de mousse lumineuse qui recouvrait parfois les paroies de certaines grottes dans les pays tropicaux. Mais il était clair que ce n'était pas ce qui me permettait de voir ici. Pas de trace de mousse, et je voyais au moins aussi bien que pendant la journée.
Mais la lumière était différente, plus pale, plus blanche, en réalité j' avais l'impression de voir mieux que pendant le jour. Je distinguait tout les détails, les différentes couleurs des poils du loup, la pierre irrégulière de la caverne, jusqu'au plus petit caillou dans la terre.
J'avais la tête qui tournait. Je me mis debout, et aussitôt titubait et retombait.

Que se passait il ? Quelque chose n'allait, mon corps avait changé, mes pieds, mes mains, tout mes membres était différents , comme déformés. Je me relevais. J'avais peur d'avoir compris. Là bas, en dessous d'une stalactite, il y avait une flaque d'eau. Je me dirigeais maladroitement vers celle-ci et avec appréhension, je penchais la tête vers l'eau stagnante.

Là je le vis. Le loup. Ou plutôt la louve, blanche avec des yeux dorés, pailletés de soleil. Dans l'eau trouble, mon reflet était flou, mais je ne pouvais que comprendre. J'étais maintenant une louve. D'où ma vision accrue. Le choc me fit reculer. Dans mon dos j'entendis l'autre loup remuer.
Je me retournais pour me retrouver face a des yeux rouges. Feux et sang, un regard impitoyable, terrifiant et hypnotisant de beauté. Le loup était dressé, mais pas en position d'attaque. Il semblait calme et me fixait de tout son être. Se pouvait-il que ...

-Ace ?

Je ne parlais pas, impossible avec une gueule emplie de croc, mais automatiquement, j'avais tourné toutes mes pensées vers lui. Le loup baissa la tête et remua la queue. Étrange système de communication, mais plutôt efficace apparemment.

-C'est impossible ...

J'étais perdue, mais pas seule.

-Comment ...

commençais-je, abasourdie.
La voix de Ace résonna dans ma tête, semblable a la manière dont le loup fauve m'avait parlé, mais en moins fort et impressionnant, puisque cette voix, je l'avais déjà entendue.

-Calme toi. C'est la première fois je sais, mais calme toi. C'est la pleine lune, alors pas moyen de redevenir humains pour nous. Il va falloir attendre.

- Attendre !? Mais combien de temps ?
- Je ne sais pas. Probablement jusqu'au levé du jour, mais peut-être plus longtemps.

Je baissais les yeux vaincue. Cette nouvelle apparence, je ne savais comment l'accueillir. Ignorant quoi faire, je me dirigeais dans les galeries, rebroussant chemin jusqu'à atteindre la grande salle dans laquelle j'avais rencontré le loup. Nulle trace de l'animal. Ace, lui, ne semblait pas spécialement troublé par sa métamorphose et marchait derrière moi la tête haute.
Finalement, nous arrivâmes dans la plaine, enfin sortis du dédale de galeries. Je découvris alors les sens des loups. A la moindre inspiration, me parvenaient milles odeurs, toutes différentes. Je sentais l'odeur des fleurs, l'odeur d'un lapin non loin, l'odeur de la nuit, l'odeur des arbres, l'odeur de la montagne. Extraordinaire mélange exaltant. Mon coeur se mit a battre plus vite, mon pouls s'accélèra.

Soudain, je pris conscience d'autre chose, j'entendais les plus petits bruits, aussi bien une coccinelle sur une feuille qu'un animal au loin. Je tournais la tête vers l'endroit d'où me provenait le son.

-Un renard, à un kilomètre d'ici, me dit Ace.

Ce garçon m'étonnait de plus en plus en tout cas. Puis soudain une nouvelle odeur. Mille fois plus forte que toutes les autres, recouvrant tout, une odeur qui rappellait la rouille, sauvage et musquée.

Du sang. Aussitôt et bien malgré moi, je laissait mon instinct prendre le dessus, mon corps bondit en avant pendant que la partie humaine de mon esprit plongea dans la torpeur. Je me sentais courir, comme si j'avais été quelqu'un d'autre, mon corps ne m'obéissait plus, n'écoutant que mon instinct de prédateur impitoyable, affamé.
Ma part humaine me réclamait de m'arrêter, j'avais peur de ce que j'allais trouver au bout de la piste, de ce dont émanait cette odeur de sang. J'avais faim, plus que jamais, je courais, encore et encore. Ace me tallonais, j'entendais son souffle dans mon dos. Puis, nous arrivâmes a la source de l'odeur, un cerf, vraisemblablement blessé. Et en face, un de ces congénères. Les deux avaient dû se battre.
Sans réfléchir une seconde, je me jettais sur l'animal qui saignait, tremblant sur ces pattes. Je me rappelle l'avoir saisi à la gorge, toute humanitée disparue, je me rappelle du goût de la chasse, du goût du sang dans ma bouche, édifiant. Après cela, le trou noir. Joie, peine, regret, peur, plus aucun de ses mots n'avait de sens pour moi. Il ne me restait plus que la colère et haine, contre tous, contre tout. J'aurais voulu détruire et dévorer tout autour de moi, comme je l'avais fait pour ce cerf.
Tuer, tuer, dévorer. Quand je repris conscience de mes gestes, j'avais un goût de rouille dans la bouche et du sang frais couvrait mes pattes. Je n'en fut alors pas gênée, la louve avait l'habitude, c'était dans ses gènes, mais l'humaine grimaça de dégoût.
Tant pis, je n'en étais plus a cela près. Je me retournais vers Ace. Qui me regarda froidement. Lui aussi avait la fourrure tachée de rouge. Derrière lui, il y avait deux carcasses de cerf déchiquetées. Rouge, du rouge partout.
Nous étions partis loin des bungalows et de la caverne. Nos pattes de loups nous avaient entraînés loin, a des kilomètres de notre point de départ. Il faisait presque jour, et la lune commençait a disparaître. Je soupirais et me mis a courir, Ace sur mes traces. En suivant mon odorat je reconnaissait la route, les plantes, les animaux. Il y avait dans cette libertée, le droit de courir, de tuer, de s'échapper, un tel bonheur.
J'étais heureuse comme jamais. Et pourtant coupable. Ma colère avait disparue, je me sentais bien aux côtés de mon congénère. Je me retournais vers Ace de temps en temps. Cela depuis plusieurs heures que nous n'avions pas parlé. Je n'avais pas besoin de mots pour sentir chez lui l'ivresse de la course, l'excitation due a la vitesse.
Nous courions plus vite que n'importe quel animal, allions plus vite que n' importe quelle voiture. Nous étions les plus grands prédateurs dans cette forêt, peut être même les plus grands prédateurs au monde. J'aurais voulu que ce moment dure toujours, avec Ace a mes côtés et cette liberté qui me tendait les bras.

Je n'y avait pas prêté attention mais désormais le jour s'était levé et le soleil chauffait ma foururre.
Je m'arrêtais brusquement de courir, parcourue par un grand frisson. Alors, je levais les yeux et gémissait d' un gémissement de loup. Le jeu était finit.
Je fermais les yeux et tombait au sol. Mes yeux se fermèrent sur un nuage de poussière et à nouveau je tombais dans les ténèbres.

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