Un étrange garçon

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Enfin, le bus stoppa son roulement monotone et se gara sur un parking de terre battue.
Le chauffeur, un homme bourru et d'apparence plutôt ingrate, nous fit descendre. Tandis que le bus se vidait, je réfléchis : si on m'avais envoyé dans ce camp c'était pour une bonne raison : on cherchait à me mettre a l'écart. Ils en avaient assez, de mes réflexions sarcastiques, de mes regards mauvais et de ma désobéissance aux règles. Je dis ils, je veux dire les éducateurs, les professeurs et même, probablement les autres élèves et orphelins.

Quant mon tour fut venu de poser le pied sur cette terre, qui m'étais pour l'instant inconnue, tout de suite, une odeur d'humus et de sapin m'envahit, bien différente de celle de la ville, dont l'air m'emplissait encore les poumons.

Les futurs pensionnaires, s'étaient tous assemblés autour d'un homme habillé d'un tee-shirt jaune sur lequel on pouvait lire en gros caractère : " BIENVENUE À LA COLO DE LA PLAINE AUX LOUPS ! ".

Seul un d'entre eux était détaché du groupe, toujours ce garçon, qui attirait de manière irrésistible mon regard. Il avait l'air différent des autres. Cela peut paraître idiot, mais j'avais l'impression qu'il ... me ressemblait.

L'homme au tee-shirt jaune, qui arborait une masse de cheveux châtains bouclés digne de la toison d'or, ayant fini de donner les instructions et recommandations, les jeunes gens le suivirent jusqu'aux bungalows,  et je pu les observer, tout en les suivants de loin. Le plus jeune d'entre eux avait l'air d'avoir 14 ou 15 ans, tandis que les plus âgés devaient approcher 18 ou 19 ans ... En fin de compte, avec mes 17 ans, je me situais dans la moyenne.

Nous arrivâmes finalement sur place, après une quinzaine de minutes de marche, trop longues pour certains, qui portaient une grosse valise. Le site, était une grande clairière parsemée de bruyère, avec un petit chemin de terre battue.

Les sapins penchaient vers le sol, comme pour le caresser de leurs longues branches. Au loin, un saule était planté fièrement, semblant protéger de son large tronc les petites maisons de bois qui nous serviraient pour les prochaines semaines de bungalows. Les petites baraques semblaient, vues de l'extérieur, relativement étroites.

Le brouhaha des adolescents s'extasiant autour de moi commençait presque à me donner mal à la tête, quant j'aperçus un groupe de jeunes, garçons et fille confondus, regroupés un peu a l'écart.

Au centre, je vis le garçon au cheveux noirs. Il avait l'air ennuyé par cet attroupement, et semblait pourtant en être la cause . Autour de lui, les filles lui jetaient des regards langoureux, tandis que les garçons semblait pour la plupart curieux, quoique certains avait plus l'air menaçant.

L'un d'entre eux, un grand type blond aux yeux bruns, se détacha du groupe pour s'avancer vers le garçon, à quelques mètres de lui, il s'arrêta et lui demanda :

- Alors, tu fais bande a part ? On est pas méchants tu sais !

L'autre, aucunement débarrassé de son air de profonde lassitude, se mit à le regarder fixement. Ce manège dura quelques secondes, jusqu'à ce que le blond reprenne la parole :

- Comment tu t'appelles ? demanda t-il.

Juste quand je commençais à croire que l'intéresse était sourd-muet, il planta son regard dans celui de son interlocuteur et répondit avec un air sombre.

-Ace.

Aussitôt, mon coeur bondit. J'avais l'impression que ce nom, pourtant bien peu connu, m'évoquais des souvenirs ancestraux, enfouis au plus profond de ma mémoire, tangibles et fragiles à la fois. Sans me laisser le temps de reprendre mes esprits, le garçon blond ricanna :

- Ass ? Ça me rappelle un mot en anglais ça ! Qu'est-ce que c'est la traduction déjà ?

Après une courte pose, entraîné par les rires de ces amis, il repris :

-Ah ça y est je m'en rappelle ! ....

Sans lui laisser le temps de continuer, Ace, vif comme l'éclair, le saisit au collet, et rapprocha son visage de celui de l'autre,qui terrorisé, avait laissé son rire mourir pitoyablement dans sa gorge.

-Cela m'a l'air en effet très drôle, mais j'ai dépassé ce stade depuis quelques années, je vais donc te laisser m'expliquer toute la subtilité de ta blague ... Alors ? Rien ? Dommage ... Bien, je vais te laisser te moquer de moi dans mon dos, puisque visiblement, tu n'as pas assez de bravoure pour me faire face.

Il avait parlé d'une traite, ne s'arrêtant qu'un moment pour laisser l'autre répondre. Sa voix était grave et belle, avec des inflections moqueuses et méprisantes. À vrai dire, très séduisante.

Néanmoins, il avait parlé d'un air si menaçant, que nul n'osa prendre la parole après lui. Il relâcha l'idiot blond, et s'éloigna, sans un regard pour sa victime qui se relevait en chancelant. Ce dernier, encore tremblant, marmonna

- ... Taré, celui là !

Le groupe finit par se séparer étrangement calme. Je vis Ace, de dos, en train de s'approcher d'une des baraques. Il ne recherchait visiblement pas la compagnie, et semblait, comme moi, être un solitaire.

Tout en avançant pour rejoindre le groupe au réfectoire, je réfléchissais.

Je ne tiendrais pas un jour ici, encore moins trois semaines. Il me fallais trouver un moyen de m'échapper de cette prison de bois.

Pourtant...

Je n'avais plus senti le soleil sur mon visage et la brise de la montagne depuis des années.

Je me rendis compte que si c'était pour retrouver les murs gris et froid de ma chambre au foyer, je ne voulais pas rentrer.
Ils m'auraient tenue enfermée encore pendant un an, jusqu'à ma majorité. C'en était bien plus que je ne pouvais le supporter.

Ici... la liberté me tendait les bras, cette liberté dont j'avais tant rêvée. C'était décidé, dès que l'occasion se présenterait, je partirai. Avec ce qu'il fallait de nourriture, je pourrais tenir quelques semaines. Pour la suite, j'aviserai. Ce n'était encore qu'une ébauche maladroite de plan dans mon cerveau, mais j'y croyais tellement !

Un an de plus, alors que chaque jour dans cette prison me tuait un peu plus. Je n'en pouvais plus.

Une année, et je me trancherait les veines. Je voulais vivre ! Libre, enfin ! Je ne savais ce que je ferais après ma fugue. Je me débrouillerais sûrement. Après tout, je préférais vivre en forêt que dans une grande ville remplie d'imbéciles. Je ne voulais pas travailler, pour quoi faire ? Ce n'était pas par flemmardise, que je disais cela, mais je ne voulais pas, ne pouvais pas,vivre dans cette sociétée anarchique.

Vivre avec les animaux et les plantes semblait tentant, je savais que c'était inconscient de ma part que de penser à partir seule, en pleine montagne... 

Puis je réfléchis à deux fois. Je ne pouvais pas faire cela. Je n'avais personne à qui manquer, personne qui me manquerait, mais partir était inconcevable. Ils me retrouveraient, comme à chaque fois.

Et la sentence s'abattrait. Fugueuse, violente, indisciplinée.
Qui, alors, accepterait de lâcher une pareille furie, même majeure dans la nature ? Ils me surveilleraient, peut-être m'empêcheraient de partir. Alors qu'en attendant encore un an ( ô combien cette pensée m'était douloureuse ) ma libertée future ne serait pas compromise. Trop de pensées tourbillonnaient dans ma tête, me faisaient bouillonner.
Je remis a plus tard l'examen approfondi d'une possible fugue.

Toute prise dans mes pensées que je l'étais, je n'avais pas entendu les autres s'approcher de moi.

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