La promesse de Noélie.

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« La nuit sera blanche et noire. » Il se répétait cette phrase, encore et encore. Où l'avait-il entendue, déjà ? il ne s'en souvenait plus. Il n'avait d'ailleurs jamais compris le sens de cette citation. Il contempla le paysage autour de lui. Comment avait-il pu en arriver là ?

Il était dans une pièce, sombre. Seuls un lit, une armoire et un miroir mural meublaient la petite chambre. La petite chambre... celle de son enfance. Il s'avança et se plaça devant la glace, puis s'observa, longuement.

Ses cheveux noirs étaient toujours en bataille, comme avant. Sa peau, légèrement halée depuis sa naissance. Ses yeux, encore d'un vert émeraude qui plaisaient tant aux filles. Il portait ce vieux jogging, anciennement gris sombre, mais s'étant éclairci avec le temps, ainsi que ce débardeur fatigué, un peu trop grand pour lui, gris également.

L'air sentait la cigarette. Il fumait déjà, à l'époque. Son reflet renvoya une image de lui vraiment minable. Il l'avait suffisamment regardé. Il se secoua vivement la tête pour se remettre les idées en place et alla voir la vieille armoire, qu'il ouvrit. Les étagères étaient toutes vides. Aucune affaire ne s'y trouvait, excepté une feuille de papier pliée en quatre.

Il la prit et sourit. Il savait ce que c'était. Une fille de sa classe lui avait écrit une lettre quand il l'avait défendue contre un homme qui la harcelait. Il déplia le papier et fit ce dont il avait envie depuis très longtemps. Il la lut :

« Evan, tu es quelqu'un d'horriblement prétentieux. Et énervant. Non, irritant. Chaque fois que tu ouvres la bouche, que tu fais le moindre geste, tu m'agaces. Trois ans que nous sommes dans la même classe, trois ans que je dois te supporter, trois ans que j'ai envie de te tuer, trois ans que je me retiens de t'étrangler.

Personne ne te l'a jamais dit, je suis la première (et j'en suis fière) à te l'avouer franchement : Evan, je ne t'aime pas. Je te déteste. Je te hais. Tu m'insupportes. Tu es trop. Trop beau, trop drôle, trop amical. Tu es trop. Tu n'as aucun point faible. Aucun défaut. Et pour ça, j'ai envie qu'il t'arrive un truc bien sale pour te faire redescendre sur Terre. Pour que tu arrêtes d'être parfait. Que tu sois un peu comme tout le monde. Que tu sois quelqu'un de normal, quoi !

En fait, non. Tout ce que j'ai écrit au dessus, barre-le. Déchire-le. Brûle-le. Oublie-le. Pourquoi as-tu fait ça, espèce d'imbécile ? comment as-tu pu... ? je n'arrive même plus à trouver les mots. Je suis là, devant ce morceau de papier, le stylo à la main, et je pleure. Je pleure tellement que ma vue est brouillée, je vois à peine les stupides choses que je couche sur papier. Mon cœur me fait mal, chaque seconde un peu plus. Je souffre, d'accord ? je ne pensais pas que ça m'arriverait, mais ça m'arrive en ce moment même. Tu me fais souffrir, je pleure et j'écris une lettre qui n'a aucun sens. Je t'écris une lettre qui n'a aucun sens. Quand tu te décideras à te réveiller, tu me le paieras. Je te le promets. »

Il replia la feuille. Cette fille qui lui avait écrit ces phrases, était cette même fille qui le haïssait plus que tout, la seule personne capable de lui dire ses quatre vérités en face. Evan essaya de se souvenir de son visage et de son nom.

Noélie. Cette fille avait pour nom Noélie. Elle était plutôt menue, avec de beaux cheveux blonds et de grands yeux sombres. Elle était la seule qui ne cachait pas son dégoût pour lui. Et pour cela, il l'admirait. Il était même... attiré par elle. Ou peut-être plus. Le jeune homme s'assit sur son lit, dont le sommier craqua douloureusement, et se mit à réfléchir.

Dès qu'il la voyait, il ne pouvait plus détacher son regard de cette fille. A trois heures du matin, pendant une insomnie, elle occupait ses pensées. Quand elle parlait et riait avec d'autres garçons, montait en lui de désagréables envies de meurtre.

Evan se massa les temps et poussa un profond soupir, se rendant compte d'une chose qui avait pourtant toujours été évidente. Il l'aimait. C'était cela. Il était tombé amoureux de la seule fille qui le repoussait. Il se concentra sur l'image du visage de Noélie. Elle était jolie. Très jolie. Elle était bouleversante. Vraiment bouleversante. C'est peut-être pour ça qu'il avait eu ce besoin soudain de la protéger de cet homme.

« Je suis amoureux de toi... » il avait été incapable de dire cette phrase, prononcer ces mots. Il aurait voulu, mais n'y était pas arrivé. Dommage... il aurait aimé qu'elle le sache. Mais la vie lui avait bien fait comprendre que personne n'avait tout ce qu'il désirait.

La vie... cette traitresse. Evan se leva, ouvrit la porte, relut les dernières phrases de la lettre de Noélie : « quand tu te réveilleras, tu me le paieras. Je te le promets. » Il sourit tristement, avant de serrer le morceau de papier dans sa main. Le jeune homme s'engagea dans le couloir sombre, et avança vers la sortie, baignant, elle, dans une lumière éblouissante.

« La nuit sera blanche et noire. » il comprit enfin ce que cette simple phrase, ces mots insignifiants placés les uns à la suite des autres, voulaient véritablement dire.

L'homme contre lequel il s'était battu, pour défendre Noélie... cet homme avait un couteau. Qui a déchiré sa chair, qui lui a fait ressentir une douleur innommable, indescriptible. Et à présent, Evan marchait dans le couloir de la mort, emportant avec lui la promesse de Noélie à jamais.

Recueil de textes isolés. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant