CHAPITRE 50: tellement...

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Le sang a cessé de couler, mais la flaque qu'il a créé n'est qu'à un cheveux de ma chaussure.

Il ne me touche pas, évite de me salir.

Les erreurs on en fait, mais on roule encore.

Quand la voiture va-t-elle s'arrêter? Quand n'aura-t-elle plus d'essence, de liquide vital pour elle?

Bientôt, ça se sent comme le pourri.

Ce fût une nuit bien trop courte. Combien de temps avons-nous dormis?

Peu certainement puisque déjà, la fatigue me rattrape.

Je retiens mes bâillements et cligne des yeux le moins possible pour ne pas avoir à forcer pour les ouvrir à nouveau. C'est un combat à chaque fois, rester éveillée, lutter, ne pas flancher.

J'ai froid, parce que Sym a accéléré, il roule vite, plus vite qu'avant. J'ai soif, j'ai faim, mais je ne veux rien, je n'ai envie de rien, je me sens vide, incommensurablement, éteinte.

Les étoiles ce soir le sont aussi, aucune, aucune étoile à l'horizon. Pourtant je cherche le plus loin que je puisse voir dans la nuit. J'ai beau plisser les yeux et me concentrer, je n'en aperçois pas même la lueur.

Noama dort, elle gigote. Ses yeux sous ses paupières sont actifs. Elle cauchemarde. La première fois que je la vois comme ça. Ça peut paraître sans importance, pourtant, ça ne l'est pas. Les démons viennent prendre ses rêves, souiller sa mémoire, ce n'est que le début, rattrapable encore si l'on arrive vite.

Si nous arrivons à temps, encore sauf...

Sain? Il est déjà trop tard plus aucun de nous n'est entièrement sain.

Et je pense à cette mère. J'ai beau tout faire pour ne pas la regarder, ne pas l'écouter je n'arrive pas à penser à autre chose qu'elle et sa tristesse infini. Je l'imagine, elle et ses enfants en essayant de leur imaginer un père aimant et présent. Peut-être est-il parti? Peut-être est-il mort? Je n'arrive pas à décider quelle solution serait la meilleure, la plus compréhensive.

Mort, il n'a pas eu le choix, est juste mort alors, on peut pardonner.

Parti, pourquoi parti? Là est toute la complexité: celle de sa décision, celle du pourquoi. Mais la raison n'est jamais assez bonne pour partir, pour jeter, abandonner. Non elle ne l'est jamais!

Je frappe du poing contre le métal de la voiture. Noama se réveille en sursaut, Sym donne un léger coup de volant mais reprend le contrôle immédiatement.

La mère, Noama, la petite fille me regardent. Le garçon, non.

Mort.

Je pince mes lèvres. Envie de crier, d'hurler parce que je suffoque, j'ai chaud dans mon cœur parce que ça me brûle de douleur. C'est consumant et étouffant. 

Je baisse la tête, pose mon front sur mes genoux repliés, je ferme les yeux, je souffle, j'essais de ne plus y penser, à cette mère, ce père, ces enfants, moi, eux, tous; mes parents.

Mes parents, ces lâches, ces salauds, pourquoi tout ça? Pourquoi tant de haine envers eux, envers moi?

Comment est-ce possible?

Comment ont-ils pu faire une chose pareil?

J'étais un poids, trop lourd. Maintenant je suis un poids mort, c'est encore pire.

Ça fait mal, tellement mal que les mots n'existent pas, la formulation est impossible, seul la sensation, l'émotion est là. Elle est là et je n'ai plus qu'à faire avec...

LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant