3 Mètres Au Dessus Du Ciel : Une Vie Avec Toi

One night to be confused, one night to speed up truth

La vie est comme une succession de livres, chacun représentant un moment particulier. On tourne les pages lentement, au rythme de l'histoire se laissant surprendre par l'intrigue, tombant amoureux de certains personnages, en détestant d'autres.
On ne comprend pas toujours où l'auteur veut en venir mais on avance quand même, porté par le besoin de savoir ce qui nous attend. On peut revenir en arrière, rétrograder sur un passage, mais jamais, absolument jamais ça ne sera pareil que la première fois. On peut lire un livre à plusieurs reprises mais on ne le découvrira qu'une seule fois.
C'est l'effet de surprise.

Parfois on rit, parfois on pleure, parfois on se reconnait ou on se perd complètement.
Certains livres vous marquent, d'autres s'oublient presque instantanément mais il reste toujours quelque chose d'eux en vous. Une tournure de phrase bien sentie, un souvenir, une impression.

Le livre de Babi ne s'est jamais vraiment refermé dans la vie de H. Comme si l'histoire ne pouvait pas finir ainsi, jamais un au revoir ou un point final.
Pas d'épilogue.
Ils n'ont jamais tourné la couverture sur elle même. Et le jeune homme n'a jamais su s'il devait en être heureux ou triste. Quand deux personnes s'aiment aussi passionnément il y a toujours des traces, visibles ou non.

Après leur dernière rencontre H était détruit, déçu, et seule Gin avait le pouvoir de guérir ses blessures.
Aujourd'hui il s'est reconstruit, s'épanouissant de son métier et oubliant lentement les pages du livre précédent. Il a réussi à regarder devant lui sans plus ressentir la douleur sourde qui ne le lâchait jamais au début. Mais un sentiment malsain, primaire et insidieux ne l'a pourtant jamais lâché : la frustration.
Sans le savoir Katina a déterré un fantôme et réouvert le livre de Babi. Et H à replongé dans l'histoire sans le vouloir. En repensant à Babi il a ressenti ce poids dans son estomac presque instantanément alors qu'il le pensait anéanti pour de bon. Et cette sensation, bien concrète, le perturbe plus qu'il ne le voudrait.

Le jeune homme a tout fait pour oublier son amour perdu, son premier amour. Il a tout misé sur l'avenir, à Londres d'abord puis avec Gin. Il a vraiment donné son maximum pour laisser toute cette histoire derrière lui et pourtant il a suffit d'une heure à Katina pour distiller une goutte de doute, un soupçon d'intérêt.
Dans le grand salon désert, H repense à sa rencontre avec la jeune femme, à toute leur histoire, et à comment tout à foiré. Il repense aussi à leur dernière fois, horrible sur bien des plans. Il se demande alors s'il doit ignorer à nouveau cet appel du passé ou affronter une fois pour toute ses démons.

H se lève soudain pour prendre une bière fraîche dans le frigo. Dans sa tête, plus rien n'est clair, c'est le merdier total. Il se dit alors que Katina a foutu un beau bordel dans sa vie bien huilée.
Bien huilée?
Pas tant que ça si on considère les disputes à répétition entre Gin et lui, la propension de celle ci à remettre en question son implication dans leur histoire à chaque fois qu'il sort, le petit picotement furtif qu'il ressent dans sa tête lorsqu'il empreinte la route de la plage et la nostalgie foudroyante à chaque passage sous ce putain de pont.

En sirotant sa bière, l'évidence surgit. La vie du jeune homme n'est pas idéale, elle n'est pas simple. S'il écoute son coeur il lui dira de trouver celle qui le hante, de combler les blancs et de refermer enfin ce roman laborieux.
Mais sa tête lui dit aussi que c'est dangereux car il pourrait ne pas s'en remettre, détruire la dernière goutte de confiance que Gin a encore en lui. H ne croit plus en Babi mais il sait qu'elle peut encore lui faire du mal. Peut être a t-il besoin de s'assurer que la jeune femme n'est pas faite pour lui pour vivre enfin sereinement son histoire à lui?

En jetant sa canette vide dans la poubelle en inox, il se promet de ne plus se laisser amadouer, il se promet de ne vivre que pour lui même. Tant pis pour les autres. H doit enfin penser à lui. Il décide alors de suivre son instinct et de trouver Babi. Juste pour la voir, pour sentir ce que sa présence déclenchera en lui et pour le surmonter.
Rompre avec tout ce qu'elle représente.
Il décide aussi de profiter de l'absence de Gin pour réfléchir à ce qu'il attend de la vie.
Dans la solitude de la nuit noire, H se rassure et bombe le torse en inspirant très fort, assuré d'une conviction toute neuve. Celle de se dire qu'il est temps de refermer le livre et d'en écrire un nouveau, lui même.

...

Lorsque le réveil sonne, Gin est encore engourdie. Elle cherche le corps de H sur sa gauche et trouve un bras chaud et dur. Elle se pelotonne contre lui en espérant recueillir un peu de sa chaleur avant de commencer cette journée. Demain elle partira loin de lui et cette perspective ne l'enchante pas vraiment alors qu'elle le sent s'éloigner d'elle, mais elle n'a pas vraiment le choix. Vivre son rêve c'est ce qu'elle se doit à elle même, depuis toujours.
Gin soupire doucement et embrasse H sur son épaule mais le jeune homme dort profondément et ne bouge pas d'un centimètre. Gin se lève difficilement sans faire de bruit. Elle passe la main sur la commande en bois sombre et regarde son reflet dans le miroir avant de gagner la cuisine pour préparer le café. Elle remarque alors le cendrier posé sur le plan de travail en bois brut et la capsule de bière à côté du frigo. H s'est levé pendant la nuit. Cette idée ne l'étonne pas vraiment car il a souvent fait ce genre de chose dans le passé. Ça n'était plus arrivé depuis longtemps et la perspective d'être la cause de cette régression lui tire un pincement au coeur. En jouant avec la capsule entre ses doigts, Gin se félicite avec ironie. Il faut qu'elle soit une sacrée idiote pour pourrir les nuits du seul homme qu'elle ait jamais aimé.
Le seul qui semble la supporter assez pour rester auprès d'elle.
Gin s'est souvent demandé ce que H pouvait bien attendre d'elle et, avec le temps, elle a compris qu'il ne savait même pas vraiment ce qu'il pouvait attendre de lui même. Elle lui a toujours mis la pression, creusant à la pelleteuse dans les réserves du jeune garçon un peu paumé pour le pousser dans ses retranchements. Et aujourd'hui, en regardant cette capsule, ouverte en plein milieu de la nuit par un homme ivre de fatigue et de lassitude, elle se dit que c'était probablement une putain de mauvaise idée.

Ce voyage est le symbole de leur nouveau départ, lui pour récupérer de toute la tension accumulée ces dernières semaines et elle pour se découvrir enfin. Pour trouver un autre moyen d'évacuer le trop plein d'inquiétude qu'elle a en elle. La distance pour salut, pour mieux se retrouver ensuite et repartir sur de nouvelles bases saines. Gin croit beaucoup en ce voyage, elle y a mis tous ses espoirs et toute sa confiance. Elle veut y voir une solution aux problèmes qu'elle se crée tout le temps.

Elle ne peut pas savoir à quel point H attend ce moment pour se retrouver face à lui même, comme un face à face avec le miroir.

La vie est comme une saga composée de plusieurs livres indépendants les uns des autres mais avec la même histoire de fond et le même personnage principal.
Et personne ne sait qui en est l'éditeur.