La main tremblante sur le mur et de la poussière dans la bouche.
Gin regarde son téléphone gisant sur le sol froid et une montée de bile brûlante lui arrache une grimace de dégoût.Après avoir enfin entendu la voix profonde de H, elle n'est plus sûre de rien. Il lui a menti, elle le sait, elle le sent dans le sang qui bat dans ses veines comme le serpent qui rampe sûrement vers sa proie.
Sournois et perfide, une grimace de dégoût qui se transforme en rictus accablé. Il lui a dit qu'il avait passé la soirée avec ses débiles de potes et qu'il n'avait pas vu Katina, il lui a dit qu'il avait hâte qu'elle rentre pour parler d'eux. Rien dans ses paroles ne laissent imaginer qu'il ment. Mais elle le sent, aussi sûrement qu'elle entend le moteur rugissant du quad garé devant la bâtisse délabrée.Ce matin ils se sont tous levés tôt pour remballer le matériel, pour observer une dernière fois ce paysage désolé et totalement figé. Ici il n'y a pas de mouvement, pas de vie, rien que le temps suspendu par un ciel immobile. Rien d'autre à faire qu'à laisser son esprit dériver vers le monde réel, vers les pensées les plus floues, vers les projets les plus incertains. Ici on peut finir par devenir fou si on n'a pas de but.
Gin en avait un en venant se perdre dans cet océan de rien : se retrouver. Reconnecter les moindres particules de son être à son cerveau parfois perdu, retrouver un semblant de paix et manquer à H.
Lui manquer pour mieux se retrouver. Mais au fil des jours, même si peu de temps, elle s'est sentie tellement seule que son plan lui a alors paru bien pourri.Toute l'équipe était géniale, tous ont été incroyables et elle a beaucoup appris. Non! Vraiment elle ne regrette pas d'être venue. Mais dans son for intérieur elle sait qu'elle va devoir redoubler d'effort pour reconnecter H à sa vie.
Loin d'elle il a oublié. Il a oublié qu'il avait une vie, une raison d'être, un avenir radieux.
Loin d'elle? Il est perdu.
C'est lui qui est perdu et elle doit le sauver.
Voilà.Alors qu'on frappe à sa porte, Gin regarde autour d'elle, satisfaite. Nourrie d'une volonté nouvelle : rentrer chez elle et aller chercher H pour le ramener à la vie.
Elle soupire en posant ses mains sur ses hanches. Cet endroit va lui manquer, cette petite pièce, minuscule cellule, infime espace protégé de toute tempête. Ici elle s'est sentie seule mais aussi à l'abri. Elle n'aime pas les adieux et cet instant en est un.-alors vous venez seniorita? Demande le gros Josué.
-j'arrive Jo, je regarde si je n'ai rien oublié.
-si vous aviez laissé un truc vous ne pourriez pas le louper. Cet endroit est tout petit.
-oui mais je m'y suis habituée.Elle hausse les épaules et sourit à ce gros lard rigolo. Ils ont souvent ri ensemble autour d'une mauvaise bouteille de vin quand tout le monde dormait déjà. Josué a tout un répertoire d'histoires drôles prêtes à l'emploi.
-vous vous habituerez vite à rentrer chez vous ma belle. Vous verrez. A part les scorpions et les puces de sables, personnes ne veux vivre dans ce bled pourri.
-vous avez raison. Mais j'aime pas les au revoir. Je ne viendrai plus jamais ici, ça fait bizarre.
-j'espère bien pour vous que vous ne reviendrez jamais ici. Ça serait très très mauvais signe. Mais n'empêche qu'il faut y aller seniorita. L'avion ne va pas nous attendre. Et Manuel est au bord de la crise d'apoplexie. On a cru avoir perdu tout une sacoche de rushes et de pellicules.
-Oh mon dieu, çe doit être l'apocalypse dehors? rit-elle en imaginant la tête de son vieil ami.
-c'est peu de le dire, ouais, la fin du monde.Josué et Gin sortent alors de la chambre exigüe, ils descendent les escaliers en pierre et traversent le petit hall sombre de l'entrée. Gin regarde partout une dernière fois, pour garder un petit bout de ça dans sa tête. Elle tient toujours fermement son téléphone dans sa main, son sac en bandoulière bien serré sur sa hanche. Josué renifle à côté d'elle, la sortant de sa rêverie alors qu'elle fixe la seule fenêtre de ce petit vestibule.
-c'est vrai que c'est sympa ici, on s'est bien amusé, hein seniorita ?
-ouais, c'est vrai, mais toutes les bonnes choses ont une fin, pas vrai?
-si mademoiselle, répond josué en ouvrant la lourde porte d'entrée.Dehors le soleil les aveugle instantanément et la chaleur écrasante les surprend d'un coup.
-ah bah quand même! Crie Manuel en les voyant sortir, il était temps. Bon sang, on va réussir à être en retard. Gin? Surtout ne te dépêche pas hein? Prends bien ton temps, repose toi, observe le paysage. Pourquoi on ne prendrait pas l'apéro tant qu'on y est?
-Manuel?
-oui Gin.
-va te faire foutre.Gin passe devant son ami complètement débraillé et les cheveux sales en bataille. Elle feint de l'ignorer alors qu'elle s'assoit à l'arrière de la jeep et balance un clin d'oeil à un Josué pouffant de rire.
-j'aimerais bien aller me.faire.foutre dans mon avion, tu vois?
Manuel regarde autour de lui en écartant les mains.
-tout le monde est prêt? On peut partir?
Josué démarre le quad sur lequel il est assis.
Manuel s'installe à côté de Gin, laissant derrière lui toute son énergie.-si on loupe cet avion, je t'en voudrais à mort ma belle, souffle t-il vers Gin.
-on ne le loupera pas, faut apprendre à te détendre tu sais. On est large alors respire.
-ouais ouais, se résigne son ami.Manuel n'avait jamais travaillé aussi longtemps avec quelqu'un, préférant la certitude de ne se plier qu'à ses propres volontés plutôt que de composer avec les idées des autres. Bien sûr il a souvent été suivi, étudié, questionné. Mais jamais aussi profondément qu'avec Gin. Il lui a donné beaucoup de lui même, beaucoup.
En y réfléchissant bien, il se dit qu'il en a peut être trop fait. Mais il sait qu'elle a le potentiel, le talent. Il l'a senti en elle assez vite même s'il n'est pas sûr qu'elle soit prête. Ce pèlerinage a été éreintant autant par l'énergie qu'il a déployé à tout expliquer à cette tornade brune que par l'envie de réussir l'un de ses derniers shooting.
Son nom est devenu une marque, cela fait longtemps qu'il n'a plus besoin de travailler pour vivre et pourtant il n'a jamais cherché la facilité. Il a toujours voulu être le meilleur, réussir tout ce qu'il tente, mériter sa renommée jusqu'au bout. Mais il faut bien reconnaître que le temps passe et que la jeunesse assoiffée se bouscule au portillon.
Les nouveaux photographes veulent toujours aller plus haut, travaillent plus vite que jamais, prêts à tout. Et lui? Sa carrière est derrière lui désormais. Il le sait et même s'il se répète inlassablement qu'il a gravé son nom de manière indélébile dans le monde de la photographie, il a bien conscience que le passage de flambeau est devenu inéluctable. Il est temps de transmettre, il est temps de former quelqu'un et lui donner la chance de vivre la même vie qu'il a lui même vécue.Quand il a rencontré Gin a cette exposition, elle l'a tellement harcelé de questions pertinentes qu'il a su qu'il avait trouvé son élève. Son énergie débordante et son esprit aiguisé comme une lame. Il a même eu peur d'avoir rencontré quelqu'un de plus brillant que lui. Mais il a relevé le défi. Il l'a prise sous son aile pour faire d'elle son héritière.
Aujourd'hui il a tout donné, tout partagé avec elle. Mais il y a plus à apprendre que la technique, que la mécanique et la logistique. Il y a plus à savoir pour réussir et surtout pour garder la tête froide.
Et quand il se penche sur la question il se dit que Gin n'a pas réglé tout ses problèmes. Peut être même que c'est cela qui fera son succès.
Sa folie sera probablement sa plus grande réussite.
En regardant le paysage défiler sous ses yeux, il laisse son esprit dériver vers l'horizon. Il sent l'odeur enivrante de la chaleur inonder une dernière fois ses narines.
A ses côtés Gin soupire elle aussi. Tout deux pressés d'aller de l'avant.
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3 Mètres Au Dessus Du Ciel : Une Vie Avec Toi
General FictionAprès avoir perdu son tout premier amour, son meilleur ami et sa mère, H a enfin trouvé la paix dans les bras de Gin. Mais certains secrets attendent leur heure pour se dévoiler et offrir à H l'occasion de vivre à nouveau 3 mètres au dessus du ciel...