somethin' 'bout you makes me feel like a dangerous woman

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A force de pousser sur la minuscule pièce récalcitrante, H tremble de tout son corps. Il doit absolument finir cette saleté de bécane avant ce soir. Il est déjà dans les clous et le propriétaire, un jeune branleur qui roule des mécaniques, ne sera plus conciliant s'il n'honore pas son contrat.
H a perdu beaucoup de temps ces derniers jours, préférant profiter de Babi autant que possible, s'enivrant d'elle jusqu'à l'ivresse. Il a aussi passé de longues après-midi à comprendre comment remettre les pièces du puzzle dans le bon ordre, comment ne pas être le beau salaud qu'il est.
Il s'est retrouvé ici chaque jour de la semaine à attendre que Babi finisse ses cours, avachi dans son canapé râpé, les mains couvertes de cambouis.
15 jours! Tout ce temps pour changer de vie.
Il devait prendre du recul, reprendre ses esprits et retrouver Gin, assagie et repue de ses projets et, au lieu de ça, il est sur le point de rompre avec sa petite amie.

H s'est demandé ce qu'il pouvait bien clocher chez lui et la raison qui a émergé dans son cerveau lui a redonné le sourire : Babi.

Comment résister à ces yeux pétillants et son sourire indéfinissable? Il en est incapable parce qu'elle trône dans chacun des pores de sa peau. Même après tout ce temps et toutes ces épreuves elle est encore la reine à ses yeux. Et elle a décidé de faire de lui son roi. Alors il ne peut pas lutter. Il ne peut plus renier son coeur une journée de plus. Il doit assumer son choix et accepter ce cadeau que la vie lui a fait. Cette chance de vivre un amour passionnel et unique. Il doit prendre ce que le karma lui donne.
Pendant qu'il se torture les doigts au milieu des roulements crasseux, il imagine comment annoncer tout ça à Gin. 
Il sait que rien n'attenuera l'orage.
Rien.

Il a tout préparé chez lui pour que l'appart soit nickel, pour qu'elle ne manque de rien. Mais il ne pouvait pas aller la chercher à l'aéroport, d'abord parce qu'il devait finir cette commande et surtout parce qu'il n'aurait pas supporté le trajet en voiture à devoir faire semblant.
Un lâche ?
Qu'aurait-il pu faire d'autre?
La larguer sur le parvis de l'aéroport ? Prendre le risque de se faire défoncer la mâchoire au volant alors qu'il roule à 70km/H?
Lui mentir comme un connard pendant tout le trajet?
Il a eu tout le loisir de retourner le problème dans sa tête ces deux derniers jours et il n'avait pas de solution miracle.

Il s'acharne encore un peu sur la clé avant d'essuyer la goutte de sueur qui perle sur son front, laissant au passage une trace noirâtre sur sa peau. Dans un soupir de soulagement il jette l'outil sur le sol et se relève difficilement, chancelant sur ses jambes. Son esprit est déjà parti dans ses délicates pensées quand Cyrus fait son entrée dans la boutique.

-Bonjour mec, elle est prête ma bécane?
-Bonjour, ouais à l'instant. J'ai eu un mal de chien à remplacer le vilebrequin, il était complètement grippé et....
-ok ok c'est cool si t'as réussi. Par contre elle est un peu crade, t'as pas eu le temps de la nettoyer.

Le jeune homme tourne autour de sa moto avec un air pincé.

-je viens tout juste de finir Cyrus, donc soit tu attends et je la lave, soit tu repars tout de suite comme ça.
H le défie du regard, bien décidé à ne pas laisser ce petit merdeux prendre le dessus.

-j'ai pas trop le temps, tu vois j'ai des tas de trucs à faire moi donc bon. J'aurais aimé qu'elle soit propre mais...c'est pas grave. Ça va le faire comme ça, tant pis.

Le jeune garçon, toise H du regard, impressionné par la légende, grisé par l'envie de lui faire concurrence. Il regarde ce grand mec baraqué qui a tant nourri les discussions des motards de la région, essayant de juger jusqu'à quel point il s'était ramolli. Mais sous la pression de H, Cyrus n'a pas tenu. La légende n'est pas pas encore devenue un mythe, elle a encore toute sa force vitale et impose le respect. Comme un jeune étalon fougueux vaincu, il baisse le regard et sort son chéquier d'un air magistral.

-allons-y !

...

Dans l'habitacle de la voiture l'air est irrespirable, sur la droite une Fiat 500 jaunie refuse de ralentir malgré l'insistance de Luque.

-elle va me faire chier longtemps cette connasse?
-ralentis et puis c'est tout, marmonne Gin
-mais qu'est ce qu'elle roule mal... Elles savent pas conduire les gonzesse bordel!
-mais ferme la, putain. C'est vous notre putain de problème en fait, eructe Gin, c'est vous les inutiles sur cette planète à la con!

Surpris, Luque observe sa soeur.

-Okay...tu veux ajouter un truc sympa pour continuer l'offensive ou tu vas me dire ce qui te tracasse?

Gin tourne la tête vers sa fenêtre et regarde le paysage.

-laisse tomber frérot, tu pourrais pas comprendre! Personne ne le peut je crois.

Une lourdeur sourde pèse sur la poitrine de la jeune fille. Gin est déçue, elle voulait que H soit là, qu'il l'attende avec un bouquet de fleurs et une bague de fiançailles, un sourire d'amoureux transi du mec a qui sa chérie à trop manqué. Ton absence était tellement insupportable mon amour, tu es la femme de ma vie, j'ai besoin de toi pour être entier. Et je suis désolé pour ces derniers mois, désormais je veux t'aimer pour toujours.
Gin secoue la tête, les contes de fées n'existent pas, les princes charmants non plus. H ne ferait jamais ce genre de truc. Et elle n'est même pas sûre d'aimer ça non plus. Elle espérait tellement que ce voyage déclencherait quelque chose que, face à l'absence de son amoureux, la désillusion est rude. Alors elle refoule son envie de pleurer, elle ne craquera pas dans cette bagnole. Elle ne craquera pas devant son frère. Et peut être que ce qui l'attends à la maison vaut la peine de subir cette absence cruelle.
Sous ses yeux, les lumières de la ville apparaissent à travers la vitre, quand la voix de son frère retentit de très loin.

-Gin, je sais que c'est compliqué entre H et toi, annonce t-il prudemment, je sais que c'est tendu en ce moment mais il faut vous parler et ça ira mieux. Fais pas ta tronche et tout ira bien. H est un mec bien et il t'aime. C'est juste qu'il ne s'y prend pas bien.
-l'ennui Luque, c'est qu'il s'y prenait très bien avant et je ne crois pas que ce soit le genre de chose qu'on oublie. Tu vois?

D'un geste elle se retourne vers son frère.

-pourquoi ça n'irait plus? Pourquoi n'arriverions nous pas à nous comprendre comme nous le faisions avant? Hein?
-il n'y a aucune raison pour que ça ne soit pas le cas, petite soeur. Jsuis sûr que ça va s'arranger.
-tu veux que je te dise, petit frère? Bien sûr que ça va s'arranger, je ne le laisserai  jamais tomber, je le sauverai encore et encore, j'y mettrai toute mon énergie, ma vie même s'il le faut. Mais je ne laisserai pas ses démons intérieurs pourrir notre histoire. Plutôt mourir.

Luque regarde sa soeur à deux reprises, elle a son regard perdu dans le vide, comme si elle parlait à une personne qui n'était pas là, et la veine de son cou ressort sur sa peau blanche.
Un étrange sentiment l'envahit à nouveau, une sensation de malaise devant cette fille obstinée.
Il aime sa soeur plus que tout au monde, il donnerait tout pour elle.
Elle est sa seule famille et jamais il ne l'abandonnera mais l'espace d'un instant il ne la reconnaît pas, ou plutôt, il la reconnaît trop bien, et cela lui fait froid dans le dos.

3 Mètres Au Dessus Du Ciel : Une Vie Avec ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant