La quête de l'île céleste

Chapitre 8 : Avenir Incertain

Les parents d'Ilywen ne surent jamais réellement ce qu'il s'était passé et ce que leur fille avait fait durant son séjour à Carcassonne. Elle leur avait seulement dit avoir trouvé des informations intéressantes pour son « exposé scolaire ».

Mais sans parvenir à l'identifier, ils sentaient parfois une pointe d'inquiétude leur vriller l'estomac. Ils continuaient de vivre normalement sans oser concrétiser cette peur, la trouvant sans doute stupide. Cette dernière était pourtant justifiée. En vérité, la jeune fille devenait chaque jour plus distante, et seul son amour pour eux lui faisait inconsciemment faire des efforts pour cacher cette distance derrière un comportement joyeux et serviable. D'imperceptibles changements s'étaient opérés en elle. Elle jetait fréquemment de longs regards vers le ciel, scrutant affectueusement les nuages comme si elle cherchait quelque chose.

Quand elle ne passait pas de longue heures dans sa chambre à écrire ou à dessiner des croquis dont ses parents ne comprenaient pas le sens – ou ne voulaient pas comprendre le sens – elle partait dans les montagnes environnantes pour plusieurs heures de marche. Elle avait pris l'habitude d'éviter les sentiers et crapahutait sur les alpages sauvages ou sur les versants et crêtes abruptes selon son humeur. Malgré le danger, elle avait commencé l'alpinisme en solitaire et ne se lassait pas de chausser ses crampons et son baudrier pour partir gravir les falaises surplombantes et les couloirs glacés qui menaient tantôt à de fines brèches coupantes, tantôt à des sommets venteux. Bien sûr, ses parents ne se doutaient en rien de ses escapades interdites ; il va sans dire qu'ils ne lui auraient jamais permis de les faire.

***

L'année de première fut rythmée par les longues périodes scolaires ou Ilywen faisait des efforts incommensurables pour rester concentrée en cours. Ses pensées vagabondaient sans cesse vers Laputa. Elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à tout ce qu'elle aurait pu faire si elle n'avait pas du rester clouée sur une chaise toute la journée. Les épreuves du Baccalauréat approchant, elle avait de moins en moins de temps pour penser à un moyen de gagner la Slovénie. De plus ses parents n'auraient jamais été d'accord pour qu'elle parte dans un pays étranger, fut-il aussi proche. Tout en gardant ses idées dans un coin de sa tête, elle se concentra sur les épreuves à venir.

C'est à la fin de son année que de nouveaux obstacles s'imposèrent. Sa dernière année de lycée approchant à grande vitesse, tout son entourage commençait à lui parler de plus en plus de son futur. Et comme elle n'avait absolument aucune idée de ce qu'elle voulait faire après le Baccalauréat, les longues discussions avec ses parents devenaient très fréquentes. Pour elle, le pire ne résidait pas dans le fait qu'ils l'incitent à étudier encore plus pendant les vacances, mais plutôt la nécessité de décider de son avenir dans les mois suivants. Dans un moment pareil, elle avait tout sauf envie de réfléchir là dessus. Elle avait presque prouvé l'existence de Laputa, la clé de l'énigme se trouvait dans les Alpes de Slovénie à quelques heures de route... et elle devait en rester éloignée. La patience n'avait jamais été son fort, et attendre jusqu'au Bac avant de pouvoir continuer ses recherches était un supplice. A vrai dire, si elle avait pu, elle aurait directement sauté dans le premier train pour Ljubljana en sortant de l'académie d'Almandin. Mais à seize ans, et étant atteinte d'une phobie des foules, cela aurait été complètement irréfléchi. Elle avait alors planifié un départ aux prochaines vacances d'été ; mais elle se rendit vite compte qu'elle allait les passer à travailler – autant pour étudier que pour aider ses parents à entretenir l'extérieur du chalet et ainsi gagner de l'argent. Cet argent, elle le conservait précieusement dans un petit coffre. Si jamais elle devait partir un jour à la recherche de l'île, il ne serait pas de trop.

L'été passa à une vitesse encore plus folle que les années précédentes et Ilywen aborda sa rentrée en Terminale avec une appréhension amère. Elle commençait à douter de ce que le futur lui réservait. Au fond d'elle même, elle avait toujours été persuadée de marcher un jour sur le sol de Laputa. Choisir un métier et donc un avenir dans le monde « réel » lui donnait l'impression de s'écarter de sa Voie et de s'engager sur le chemin d'une vie banale, une vie qui ne lui permettrait pas de faire demi tour. Elle prit conscience de son état d'esprit avec un certain effarement : elle n'avait jamais envisagé une seule seconde de vivre loin de Laputa finalement. Même sans avoir aucune preuve de l'existence de cette dernière. Le sombre visage de la réalité la rattrapait ; il fallait prendre une décision maintenant.