Chapitre 1 : Ilywen

71 6 2
                                    

Ilywen ne savait presque rien de sa naissance et n'avait presque aucun souvenir de son enfance. Elle avait vu le jour quelque part dans les hautes montagnes de l'Himalaya. Ensuite elle avait passé sa petite enfance à Kathmandu, la capitale du Népal, Elle était peu après passée par Delhi en Inde avant d'arriver en France. Si elle avait beaucoup de mal à se rappeler de ces moments, elle était étrangement encore plus incapable de revoir le visage de ses parents ou des instants passés avec eux. Arrivés en France, ils s'étaient dirigés vers les Alpes et l'avaient confié à un couple qui vivait dans un chalet isolé dans le massif des Écrins. A présent, la seule chose qui lui restait d'eux était un mystérieux pendentif ovale. Minutieusement taillé dans une pierre d'un bleu si profond qu'il semblait irréel, un étrange symbole or était gravé sur le dessus. La jeune fille s'était surprise à l'observer pendant des minutes entières sans qu'elle ne parvienne à en dégager un sens. Elle y tenait toutefois énormément et ne s'en séparait que pour dormir. Son instinct lui disait toujours de ne pas le montrer en public, et c'est pourquoi elle avait pris l'habitude de le glisser sous ses vêtements. Après tout, c'était la seule chose qui lui restait de son passé.

Elle n'avait aucune idée de la raison qui avait poussé ses géniteurs à l'abandonner. Ses parents adoptifs ne le lui avait jamais dit et d'ailleurs il était probable qu'ils ne le sachent pas eux même. Lorsqu'elle les avait questionné, sa mère adoptive avait simplement déclaré que sa sécurité était en jeu. Sa sécurité... Ilywen ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire par là. Aurait-elle été en danger avec ses vrais parents ? N'ayant rien pu tirer de plus, la jeune fille s'était vite résignée.

Elle ignorait tout de ses origines et si c'était également le cas pour ses tuteurs, ceux-ci s'étaient tout de même rendus compte de sa spécificité sur certains points. D'une naïveté navrante concernant le fonctionnement de certaines choses du monde, des connaissances enfouies se révélaient mystérieusement en elle lorsque des sujets spécifiques étaient abordés. Il lui arrivait régulièrement de découvrir des faits évidents sur le comportement des gens ou les horaires des services publics. D'un autre côté, les moments ou elle stupéfiait son entourage avec une phrase jetée spontanément sur les significations du placement des étoiles ou encore les comportements des vents n'étaient pas rares. Ses connaissances plutôt étranges pour une enfant suscitaient toutefois des réactions assez différentes. Car si ses paroles déclenchaient souvent l'émerveillement des adultes, elles lui avaient quand même valu quelques regards bizarres des camarades de son âge. Cela dit, elle ne s'en souciait pas vraiment. Elle n'avait jamais vraiment tissé de relations. Habituée à la solitude depuis toute petite, elle avait fini par l'apprécier de plus en plus et s'isolait finalement dès qu'une occasion se présentait. Elle avait ainsi pris l'habitude de partir faire de longues explorations en solitaire dans la montagne. Adorant par dessus tout s'asseoir au sommet de promontoires vertigineux pour se repaître du paysage, elle faisait partie de ces personnes que les lumières de la ville suffisaient à faire fuir.

A vrai dire, les préoccupations des jeunes étaient loin d'elle et elle avait toujours choisi elle même d'être à l'écart. Les quelques moqueries qu'elle avait subi à l'école primaire et au collège n'avaient fait que renforcer son caractère. Elle ne savait jamais comment réagir avec les individus et la solution au problème avait consisté à les éviter autant que possible. Il avait suffit d'une déception d'amitié pour qu'elle décide qu'elle n'aurait plus besoin des gens, aussi étrange que cela puisse paraître. Elle traçait son chemin seule, ne laissant personne le perturber. Sa sauvagerie l'avait également rodée contre l'ennui ; elle avait développé une passion grandissante pour les mondes de l'imaginaire ce qui avait contribué à enrichir une personnalité déjà très unique. Outre ses explorations, elle passait donc tout son temps libre à lire des livres fantastique, à écrire ou à peindre ce que son inspiration lui suggérait.

Sa fascination pour Laputa avait débuté assez tôt. Le mythe incarnait tout ce qu'Ilywen aimait. Elle avait dévoré toutes les fictions où l'île apparaissait plus ou moins explicitement. C'est tout naturellement qu'elle avait commencé à se renseigner plus sérieusement sur l'île volante, saisissant chaque opportunité pour en apprendre plus. Ses parents adoptifs – avec qui elle s'était toujours bien entendu – ne s'inquiétaient pas outre mesure de cet intérêt particulier. Elle ne leur avait jamais causé de soucis et ils étaient plutôt fiers d'elle et continuaient à l'aimer comme leur propre fille. Ne pouvant pas avoir d'enfants, ils avaient béni le jour où ce jeune couple mystérieux était venu en coup de vent les implorer d'élever leur petite. Seule une chose les avaient troublé ; la jeune fille avait toujours semblé en marge du monde réel comme si son esprit s'échappait de temps en temps dans une dimension, un univers qu'elle était la seule à connaître. Elle fixait l'horizon, le ciel ou regardait dans le vide... ne prêtant aucune attention aux personnes qui l'entouraient. Les gens la percevaient froide et distante quand en réalité elle ne les voyait même pas. Elle se sentait si seule parmi eux que son esprit s'échappait automatiquement. Ses parents avaient bien essayé quelques rappels à l'ordre quand cela devenait trop extrême – il faut dire que son mutisme et ses absences la faisaient passer pour une malpolie et ils auraient aimé qu'elle renvoie une image meilleure. Mais les discours interminables qu'ils commençaient dans ces cas là semblaient tellement la faire souffrir qu'ils s'étaient résignés. Elle était comme ça, elle ne pouvait vivre qu'à cheval entre les rêves et la réalité, s'étaient-ils dit.

En vérité elle ne détestait pas le monde civilisé, elle avait juste l'impression de ne pas y être à sa place. Elle aurait bien aimé que ses parents adoptifs prennent un peu moins à la légère sa passion pour l'imaginaire. Malgré tout l'amour qu'il lui portait, ils n'avaient pas très bien accueilli sa plongée dans ce milieu – surtout sa mère. C'était des gens plutôt terre à terre. Issus d'une famille de paysans, ils vivaient dans la région depuis des générations. Sa mère faisait partie du bureau des guides de montagnes de Briançon, et son père géologue alternait entre moniteur de ski l'hiver et chasseurs de cristaux l'été. Ils avaient toujours su où ils allaient dans leur vie et avaient du mal à accepter les différences de leur fille adoptive. Elle souhaitait qu'ils cherchent plus à la comprendre au lieu de vouloir qu'elle soit à leur image. Mais après tout, ils restaient des parents.

L'endroit où elle se sentait le plus chez elle était la montagne. Elle avait l'impression de s'y retrouver elle même, dans un lieu où chaque élément la comprenait, et qu'elle comprenait. Son attirance pour la montagne était presque innée, et ses parents adoptifs l'avaient emmené très tôt faire de l'alpinisme ce qui n'avait fait qu'accroître son attachement. Elle se sentait à l'aise dans ce monde hostile aux humains, au milieu des cimes aux neiges éternelles et des crêtes dentelées où seuls les chamois avaient accès. Et plus proche du ciel aussi...

C'était avant sa rentrée en première année de lycée qu'elle avait commencé à entamer des recherches sérieuses sur Laputa. Les étranges rêves répétitifs qui revenaient parfois plusieurs fois par mois étaient apparus à ce moment là. Ils venaient la hanter avec une telle intensité qu'elle avait presque l'impression de les vivre. Elle n'en avait évidemment parlé à personne, mais ces rêves la troublaient. Bien sûr, elle s'était toujours senti différente des autres gens, mais ça devenait inquiétant. Le phénomène n'était certainement pas normal.

Ces événements l'avaient amené à se questionner davantage sur son passé, ses origines et plus particulièrement sur ses parents. Évidemment elle ne pouvait demander à personne, après tout ses vrais parents ne semblaient s'être montré qu'au couple auquel ils l'avaient laissé. Peut être était-ce dans l'espoir d'en apprendre plus sur son passé qu'elle avait commencé ses recherches. Quel rapport pouvait-il y avoir entre ses parents et une île en lévitation perpétuelle ? L'idée paraissait complètement absurde, mais Ilywen avait décidé de cesser de se poser la question. Convaincue que c'était la seule chose à faire pour avancer, elle se fiait à son intuition, rien de plus. Et si elle s'était dit que son intuition était tout de même un peu extrême pour être banale, elle n'en tenait pas compte. Elle se contentait de se laisser guider vers son destin.

Son destin... Elle s'en était peu être un peu éloigné, en fin de compte. Si elle ne s'était jamais senti à sa place, c'était peut être tout simplement parce qu'elle n'y était pas. Elle ne s'était pas perdue, elle avait juste fait un détour.

Il lui suffisait de rejoindre la route qui la conduirait vers la Voie.

Sa Voie...

La quête de l'île célesteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant