Ma collègue lâche une pile de classeurs qui s'écrasent sur mon bureau en m'arrachant un sursaut. Elle tourne déjà les talons quand je lui lance :
- Euh, qu'est-ce que c'est ?
- Si y'a des étiquettes sur les dossiers c'est pour m'éviter de répondre à des questions aussi débiles, réplique-t-elle.
- Oui, d'accord, mais je dois faire quoi avec ça ?
- J'ai également laissé une fiche de consignes.
Oh, si t'as laissé une fiche de consignes alors, tout va bien, on est sauvé ! Faudrait vraiment penser à lui apprendre le respect d'autrui, ou au moins les contacts humains, ça pourrait lui servir. Et ça pourrait m'éviter ces maux de têtes constants dès qu'elle se trouve dans les parages.
Je soupire et prends la fiche qui surplombe la pile. Bla, bla, mettre à jour les concurrents en établissant leurs tactiques (hein?), bla, bla, lister les partenaires, les aides déjà attribuées et nos espoirs (...quoi?), bla, bla, classer le tout dans l'ordre alphabétique et les laisser sur le bureau avant de quitter l'établissement. Quoi ?! Je dois faire tout ça dans la journée ? Je pousse un long soupir de désespoir et tâche de me concentrer sur ce que Jennifer Delging m'a donné à faire. En tant que collègues de bureau, on ne devrait pas se taper dessus, non ? On devrait se soutenir, s'aider... Mais Mademoiselle Delging n'est pas mais alors pas du tout douée pour feindre un sourire ou offrir une poignée de main sans broyer celle qui lui est tendue. Croyez-moi, j'en ai fait l'expérience. Suite à ça, tous les autres employés m'ont fait comprendre qu'il est peine perdue d'essayer d'établir une quelconque entente puisqu'elle n'est (apparemment) qu'un bulldog prêt à mordre. Malheureusement, elle ressemble effectivement, du point de vue affectif de mon opinion, au bulldog. Soit dit en passant, cette race est ma préférée. Elle m'inspire autant de crainte que d'admiration et d'affection. Exactement comme ma collègue. En somme, c'est une bonne comparaison, les mecs.
Alors que je commence à désespérer à la vue de la consigne que je ne comprends même pas, on frappe à la porte de mon bureau et je n'ai même pas le temps de répondre qu'on entre doucement. C'est Nathalie qui s'avance. On est également collègues, mais on ne travaille pas dans le même secteur.
- Bah dis donc, t'as l'air à deux doigts de sauter par la fenêtre, lâche-t-elle en me fixant de ses yeux noisettes.
Je tourne la tête à ma gauche pour regarder le paysage et je me dis qu'effectivement cette idée me tente bien plus que celle de commencer à bosser...
- Delging m'a filé un truc à faire, mais à vrai dire je comprends pas vraiment ce qu'elle attend.
- Donne.
Ma collègue s'avance en tendant une main, et mettant ses lunettes sur son nez de l'autre. Que je vous le dise : ses lunettes ne sont que de repos. Aussi, cette attitude est simplement dans le but de faire « professionnelle ». C'est un truc que Nath aime bien faire, elle trouve que cet air lui va bien. Je la trouve juste idiote quand elle fait ça, mais si ça l'amuse, alors...
Elle m'arrache quasiment le papier des doigts et je vois ses pupilles qui suivent les lignes à une vitesse folle. Elle relève les yeux au-dessus de la fiche et me fixe en silence.
- Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? J'ai mal au cœur de dire ça, mais bulldog a au moins le mérite d'énoncer les choses clairement.
- Ne l'appelle pas comme ça ici, elle pourrait t'entendre et je me ferais passer un savon... Tu es sûre d'avoir tout compris ?
- Ben oui !
- Alors explique, qu'est-ce que c'est les « espoirs » ?
Nath me fixe d'un air mi perplexe mi moqueur. Je n'aime pas ça, je me sens comme une attardée mentale. Elle dit d'un air évident :
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Tu prends le risque ?
RomanceElena en a toujours pincé pour sa collègue impitoyable, Jennifer. Elles vont être amenées à partager une chambre pendant quinze jours...