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J'ai donné l'autorisation d'entrer, pourtant personne ne pousse la porte. Je me demande si je n'ai pas rêvé, si je n'espérais pas voir Nathalie apparaître sur le pas de la porte pour venir me remonter le moral. Elle trouverait sûrement un moyen de la faire, même si je ne suis pas vraiment réceptive aujourd'hui. Après tout, Nathalie arrive à ce qu'elle veut avec moi. On remercie sa légèreté et son soutien inconditionnel envers moi. Parfois, je me demande ce que je deviendrais si elle n'était pas là.

Je soupire et me remets à frapper les touches de l'ordinateur quand la porte se met à grincer. Je relève les yeux, et mes sourcils se froncent instantanément lorsque je vois Jennifer dos à moi qui referme la porte en silence. Elle reste un instant tournée pour ne pas affronter mon regard. Je m'apprête à lui redemander de partir – elle n'a pas l'air d'avoir compris que je ne veux plus entendre parler d'elle. Prise de colère, je croise mes bras sur ma poitrine, la fixe d'un regard peu amène, et elle pivote lentement sur ses talons. Elle garde ses beaux yeux bleus au sol, tant mieux. Je ne serai pas attendrie par leur beauté.

⸺ Ecoute, Eléna, je...

⸺ Je ne veux plus t'entendre, je la coupe. Je ne veux plus te voir.

Elle garde ses yeux fixés sur le sol, mais incline un peu plus la tête. Ma voix était ferme et j'en suis fière : je ne veux pas qu'elle sache combien j'ai peur qu'elle exécute ce que je lui demande. Sa voix à elle, en revanche, était toute petite et tremblante, mais j'essaye de ne pas m'arrêter sur ce détail.

⸺ Laisse-moi maintenant, je reprends d'une voix dure.

Elle fait non de la tête. J'en suis la première surprise. Je me demande ce qui peut bien lui passer par la tête. D'habitude, elle a bien trop de dignité pour rester après avoir été chassée. Elle devrait déjà être sortie, elle devrait déjà m'avoir fusillée du regard, mais rien. Cette fois-ci, elle reste campée sur ses deux jambes, au milieu de mon bureau, les yeux baissés. Elle est mal à l'aise, c'est flagrant, et même si un rictus vient s'emparer de ma bouche en remarquant ce détail, je ne m'autorise pas à le lui faire remarquer. J'ai peur que cela la convainque de faire demi-tour. Je ne veux pas qu'elle parte, je veux seulement qu'elle arrête ses allers-retours. C'est tout ou rien, ça me paraît évident, ça m'a toujours paru évident.

Elle approche son pouce de sa bouche et mord la peau qui l'entoure, signe qu'elle est nerveuse. J'ai envie de lui abaisser son bras pour qu'elle arrête mais n'en fais rien et reste droite sur ma chaise de bureau, à attendre qu'elle se décide à ouvrir la bouche. Elle n'est quand même pas venue pour rien, si ?

⸺ Je... Camille..., murmure-t-elle.

Je me crispe. J'espère qu'elle ne va pas m'annoncer que Camille n'est pas sa sœur, mais sa compagne. Ou même pire, Camille étant un prénom mixte, que c'est celui de son conjoint et père de Mathis. Je replie mes doigts sur la table pour les serrer autour de ma paume. Autant qu'elle m'achève maintenant, que je puisse arracher cette page par la suite et la brûler en même temps que ce qui me sert de cœur.

⸺ J'ai parlé à Camille de notre séparation... Et de fil en aiguille, j'ai dû parler à Mathis de toi... Je...

Elle prend une grande inspiration et lève la tête pour plonger son regard dans le mien. Je me sens déstabilisée, mais je garde mon air méfiant et distant alors qu'elle affiche clairement sa peine. Cela me déconcerte. Ce n'est pas que je préférais son masque de froideur, mais ce changement radical me perturbe. J'ai presque l'impression qu'elle joue un rôle, mais je me raisonne. C'est la vraie Jennifer qui se trouve en face de moi.

⸺ Eléna, tu sais pourquoi je suis partie. J'avais peur que ces deux morceaux de ma vie ne puissent pas se mélanger – Mathis, et toi. Et Mathis est mon fils, tu comprends ? Je le ferai toujours passer en premier, même s'il me ramène à de mauvais souvenirs, il me rappelle aussi qu'on peut tirer du bon de n'importe quelle situation... J'étais effrayée à Florence, effrayée parce que ce qu'on avait vécu là-bas ne pourrait jamais se produire ici. J'avais peur de nous faire souffrir, mais surtout, j'avais peur de faire souffrir Mathis.

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