Je sens qu'on me secoue et je me retourne en intensifiant la pression de mes paupières sur mes globes oculaires. J'entends un léger rire qui semble flotter dans l'air, et mes lèvres s'étirent naturellement en un sourire que je ne peux réprimer. J'entrouvre les yeux et je vois Jennifer, assise sur ses talons, en plein milieu du lit. Je suis étonnée qu'elle soit restée en pyjama pour me réveiller, d'habitude elle met un point d'honneur à s'habiller directement pour que je ne la voie pas dans un tel accoutrement. J'imagine néanmoins que sa « déclaration » d'hier soir est une raison suffisante à ce qu'elle n'essaye plus de dresser des murs de trois mètre cinquante d'épaisseur. Ou alors elle est carrément stupide, mais apparemment elle ne l'est pas tant que ça, et je compte bien profiter de sa bonne humeur avant qu'elle ne redevienne ma collègue de bureau.
⸺ T'es sûre que t'as pas loupé un stade dans ton développement ? me demande-t-elle.
Je lève un sourcil, surprise qu'elle me salue de cette façon-là. Comme je viens de me réveiller, mon cerveau n'est toujours pas en marche et je la fixe avec étonnement en espérant qu'elle daigne m'expliquer cette phrase d'approche on ne peut plus originale. Elle me regarde un instant avec cet air hautain installé sur son visage, mais je vois dans ses yeux que pour une fois ça n'a rien de méchant – elle bluffe.
⸺ Je sais pas, normalement c'est pas les ado qui dorment vingt heures par jour et qui sont grognons au réveil ?
Elle parle le plus sérieusement du monde, comme si c'était une question qui valait le détour et qu'elle attendait un exposé argumentatif en retour. Je me contente de lever les yeux au ciel avant de replonger ma tête dans l'oreiller. Je peux presque la voir sourire derrière mon dos, et elle passe sa main près de mon visage pour retirer des mèches qui m'empêchent de respirer.
⸺ Allez, il est dix heures et je m'ennuie, me supplie-t-elle d'une voix enfantine.
Je soupire, me sachant trop faible pour résister à cette attendrissante enfant qui se fait légèrement rebondir sur le matelas. Je tourne la tête vers elle, et la regarde d'un air affligé. Instantanément, elle sait qu'elle a gagné : un immense sourire vient éclairer tout son visage et je dois me concentrer pour ne pas oublier de respirer tant sa beauté me coupe le souffle.
Je me redresse enfin, montrant clairement que j'ai décidé d'abandonner la bataille, et Jennifer fait une chose qui me surprend bien plus encore que la façon dont elle m'a réveillée. Elle prend une impulsion sur le lit et vient m'entourer de ses bras. Je manque de tomber du lit, mais elle resserre sa prise autour de mon cou et me maintient en équilibre. J'avoue que je suis rassurée qu'elle se comporte de la sorte : ça me confirme que je n'ai pas rêvé ce qu'il s'est passé hier, mais je me demande comment ses barrières ont pu céder aussi facilement. Je viens mettre mes bras autour d'elle pour lui rendre son étreinte, et pose ma tête sur son épaule en fermant les yeux. Son odeur est toujours aussi enivrante, et je hume son parfum en profitant de cet instant de douceur auquel elle ne m'avait pas habituée.
Au bout d'un petit moment, on se relâche. J'ai cependant oublié un léger détail : le fait que ce soit elle qui me retenait en équilibre, et je vacille en arrière pour tomber sur le lino, complètement désorientée. J'entends le rire de Jennifer qui explose comme un feu d'artifice dans la pièce, elle est courbée en deux en train de se foutre de moi, n'arrivant même pas à aligner deux mots pour me charrier. Bizarrement, ça m'arrange. Etrange, n'est-ce pas ?
Elle finit par se calmer, tandis que je boude, assise contre le lit, dos à elle. Elle vient entourer mon cou de ses bras en s'allongeant en travers du lit, et reste immobile une bonne quinzaine de secondes, jusqu'à ce que je cède.
⸺ Bon. Si t'as fini de rire, tu peux bien me dire ce qu'on peut faire ce matin ?
Et c'est reparti : elle explose de rire et je me lève, désespérée, réprimant un sourire. Je la regarde quelques secondes, debout près de l'armoire, et secoue la tête, attendrie.
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Tu prends le risque ?
RomanceElena en a toujours pincé pour sa collègue impitoyable, Jennifer. Elles vont être amenées à partager une chambre pendant quinze jours...