Tu prends le risque ?

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La semaine fut très éprouvante. Non seulement nous devions passer nos journées entières dans la rue à refiler des dépliants aux gens tout en sachant qu'ils les jetteraient à la première poubelle qu'ils croiseraient, mais en plus nous devions expliquer en quelques mots notre projet dans un haut-parleur, et le répéter toutes les deux minutes. Il y eût aussi deux conventions officielles auxquelles nous avons assisté, dont celle de Jessica Romanova. Notre projet avait très plu dans son ensemble, mais les questions que l'on nous posait portaient majoritairement sur le couple que nous étions censé former, Jennifer et moi, plutôt que sur des détails techniques. A plusieurs reprises, lorsque nous avions un moment de pause, Delging entrelaçait nos doigts tout en discutant, ou me remettait mes cheveux en place, me caressait la joue... Tout cela pour qu'on ne doute pas de notre relation. Quant à moi, je ne savais pas prendre de telles initiatives, j'avais beaucoup trop peur d'y prendre goût. Vraiment. Cette fille me rendait dingue !

Nous sommes samedi, j'ai la voix complètement déchirée, le corps épuisé et voilà que Delging tire les rideaux avec un grand sourire sur les lèvres. Je regarde le réveil : il est neuf heures. J'enfonce ma tête sous le coussin pour me rendormir et je sens le matelas s'affaisser juste à côté de moi. Jennifer prend possession de ma main et joue distraitement avec mes doigts, qui sont posés sur mon oreiller. Pourquoi fait-elle ça ? Nous ne sommes pas assez célèbres pour être suivies jusque dans la chambre à ce que je sache.

⸺ Allez, lève-toi s'il te plait, j'ai envie de passer une bonne journée.

Elle utilise une voix d'enfant pour m'attendrir. Je roule des yeux, sachant qu'elle ne peut pas me voir.

⸺ Cool, va t'amuser et reviens vers midi.

⸺ Elé, s'il te plait !

⸺ Elé ?

Je dégage ma tête de mon coussin pour la regarder. Elle soutient mon regard mais j'ai l'impression qu'elle est mal à l'aise.

⸺ S'il te plait, me supplie-t-elle avec une moue.

Je grogne en me redressant. Il n'aurait pas fallu que je la regarde. Impossible de résister à une chose aussi adorable. Tandis qu'on se lève d'un même mouvement pour se préparer, je lui lance d'un air morose :

⸺ Il était donc vrai que tu allais me faire vivre un enfer.

Elle s'arrête et me regarde. Mon visage exprime l'air le plus sérieux qui puisse exister. Elle fronce les sourcils et répond simplement :

⸺ Ok, tu n'as qu'à rester ici.

Son ton froid me fait l'effet d'une douche glaciale. Elle me tourne le dos, l'air d'être en colère, et je l'attrape par le bras pour la tirer vers moi.

⸺ Je plaisantais ! je lui affirme.

Elle se prend les pieds dans un tas de fringues qui trainent au sol et s'envole quasiment, me percutant au passage, et je l'attrape aux épaules pour nous stabiliser toutes les deux. Durant l'action, nos visages se sont dangereusement rapprochés, et mon cœur ne manque pas de me faire savoir qu'il a très très envie de s'en approcher davantage. Ni elle ni moi n'osons faire un mouvement, nos expressions sont figées et je ne parviens pas à décrypter la sienne. J'aurais donné n'importe quoi pour avoir le cran de l'embrasser. Je me rends compte que je la tiens toujours fermement par les épaules et que cela doit être la cause de son mutisme. Je la lâche brutalement et recule, bouleversée. Ses yeux bleus sont vides de toute émotion tandis que mon corps entier est sous le choc. Je la contourne sans rien dire et m'enferme dans la salle de bains pour prendre ma douche. L'eau se mêle à mes larmes et je mets un temps pour me calmer. J'ai vraiment besoin de dormir, je ne peux pas continuer de la sorte. Je sors de la douche et m'enrobe d'une serviette pour me rendre compte que je n'ai pas pensé à prendre mes vêtements. Je sors donc de la salle de bains, serrant le tissu spongieux contre moi. Comme je m'en doutais, Jennifer est partie. Un peu déçue tout de même, j'enfile des vêtements propres pour retourner ensuite dans le lit récupérer mes heures de sommeil.