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Un certain laps de temps s'est écoulé depuis le voyage à Florence. Mon retour en France a certes été chaotique, mais les quelques jours de repos m'ont fait le plus grand bien. Les quelques jours passés au boulot m'ont permis de revoir mes collègues, et c'est avec stupeur que je me suis rendue compte qu'aucun d'entre eux ne m'a posé de question sur mon couple avec Jennifer, ni sur notre cohabitation. Rien. Silence radio. Nathalie doit y être pour quelque chose, et je lui en suis éternellement reconnaissante.

Je me souviens d'une soirée alcoolisée durant la semaine précédente. J'ai appelé Jennifer et suis tombée sur le répondeur. J'ai laissé un message en pleurs, dépitée que tout ce qu'elle m'avait offert ces derniers jours ait laissé en son absence un trou béant dans ma poitrine. Elle n'a jamais rappelé. Peut-être est-ce mieux ainsi.

Je suis dans mon bureau, je remplis des feuilles de compte en tapotant sur le clavier de l'ordinateur. J'aime ce genre de moments qui ne consistent qu'à reporter des informations d'un endroit à un autre, je n'ai pas besoin de trop me concentrer. Cela m'arrange d'autant plus qu'aujourd'hui, je n'ai pas vraiment la tête à bosser. Je serai convoquée d'ici peu dans le bureau de Monsieur John pour qu'il fasse état de ses choix en ce qui concerne les partenariats à l'étranger. Il va sûrement s'interroger à propos de Jennifer et moi, et je ne saurai pas quoi répondre. Mon cerveau me propose « Elle ne veut pas de moi dans sa vie » mais je soupire et tente de chasser cette idée. Je suspends mes doigts au-dessus du clavier, jette un regard par la fenêtre. La vue est imprenable, la hauteur vertigineuse me donne envie de m'approcher. Je saute quasiment de ma chaise, m'approche de la vitre jusqu'à venir poser mon front sur sa surface lisse et froide. Instantanément, je sens mon estomac se terrer et ma peau se couvrir de frissons. Les yeux dirigés en contrebas, je ressens une sensation de vertige que je trouve délicieuse. J'ai l'impression de planer dans le ciel, loin de tous les soucis qui m'enchaînent actuellement. On frappe à mon bureau, je décide de ne pas répondre. Ça ne doit pas être important, sinon on entrerait. On toque une seconde fois, et en entendant la porte s'ouvrir en grinçant légèrement, je me retourne doucement. Et là, je me fige.

Sur le palier, Jennifer se tient droite, ses doigts serrés autour de la poignée de porte. Elle porte ses vêtements habituels : jean et chemise souple. Elle a opté pour celle bordeaux aujourd'hui. Je la fixe, elle se racle la gorge, mal à l'aise.

⸺ Monsieur John veut nous voir.

J'hoche la tête, jette un dernier coup d'œil au paysage que m'offre l'immense fenêtre de mon bureau. Je prends une inspiration et me décide à suivre ma collègue à travers les couloirs pour nous rendre au bureau du directeur de l'entreprise.

Jennifer toque, le dos droit, la tête haute, mais ses mains tremblent légèrement. Le fait de me trouver près d'elle me donne la nausée, et son parfum qui m'entoure et m'enivre me donne mal à la tête. Je sens les battements de mon cœur qui ne cessent d'accélérer, j'ai hâte qu'on en finisse.

Le directeur nous ouvre la porte, nous serre la main avec un large sourire et nous invite à nous asseoir. Son regard passe de Jennifer à moi, mais plus précisément englobe la distance qui nous sépare, tant physiquement que mentalement. Ce point ne lui échappe apparemment pas et, conscient qu'il empiète sur notre vie privée, il se risque quand même à demander :

⸺ Vous... Vous n'étiez pas en couple ?

⸺ On était, oui, répondis-je.

Je ne voulais pas courir le risque que Jennifer aille lui raconter que ce n'était qu'un mensonge à moitié vrai, ni qu'elle rentre dans les détails. Je n'aurais pas supporté. Monsieur John me regarde, je vois son regard perçant analyser la fatigue visible sur mon visage et il a l'air de soudain comprendre. Il s'éclaircit la gorge, ramasse un dossier, le survole rapidement et nous fait part de ses impressions au sujet des boîtes. Il nous laisse le choix final : nous devons prendre parti pour l'entreprise qui, selon nous, rapporterait le plus de bénéfices – quels qu'ils soient, à notre boîte. J'hausse les épaules, incapable de me prononcer. Jennifer, elle, entame une argumentation en dressant une liste complète de ses avantages par rapport aux autres. Monsieur John fait des signes de tête, indiquant qu'il suit son raisonnement, puis il se tourne vers moi et me demande mon avis. Je suis d'accord. Il nous serre la main, nous fait tout un discours en disant qu'il est heureux de nous avoir choisies pour ce contrat, que nous avons été parfaites dans l'exécution des différentes étapes, blablabla... Il va parler de nous, va embellir nos dossiers professionnels, va augmenter nos salaires. On le remercie, puis on sort. Jennifer hésite sur le pas de la porte, mais je ne m'attarde pas près d'elle plus longtemps et retourne aussi vite que je le peux à mon bureau. Pour me vider l'esprit, je remplis plusieurs dossiers numériques avec les fiches papiers qui y correspondent. Je travaille efficacement, plongée dans cet univers de néant qui m'absorbe et chasse mes pensées noires.

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