"L'enseignement devrait être ainsi : celui qui le reçoit le recueille comme un don inestimable mais jamais comme une contrainte pénible." A.Einstein
Le projectile m'a heurté le front. J'ai relevé la tête.
La voix de monsieur Gagnon a fouetté l'air comme un éclair d'été.
— Clément Ledoux ! Vous êtes encore dans la lune !
Le professeur de mathématique me fixait, ainsi que toute la classe.
J'ai saisi le bout de craie qui avait atterri sur ma feuille et j'ai bafouillé :
— Désolé m'sieur.
— Monsieur Ledoux, je suis sûr que depuis les hauteurs où votre esprit virevoltait vous deviez avoir une vision claire du tableau, n'est-ce pas ?
Avec ses yeux plissés et son grand nez aquilin surplombé par de courtes lunettes rondes, monsieur Gagnon ressemblait à un rapace savant.
Je n'ai pas répondu. Le professeur a fait claquer sa langue entre ses dents.
— Vous croyez que votre imagination débordante va résoudre pour vous les problèmes d'algèbre ? Voyons voir si vous nous avez écoutés : est-ce que 3x1/2 + 2x - 4, est un polynôme ?
Je n'en avais pas la moindre idée. Dans ma tête, je chevauchais encore une licorne ailée et je cherchais des fées dans les nuages moutonneux.
— Je ne sais pas monsieur, ai-je avoué.
- Ah non ? Comme c'est étrange..., a répondu monsieur Gagnon, un sourire moqueur dessiné sur ses lèvres pincées.
Quelques rires ont fusé dans la classe.
— Monsieur Bartolli, pouvez-vous répondre ?
Thomas Bartolli était le préféré des professeurs. Normal, il était grand, sportif et instruit. Il était l'ami que tout le monde voulait et le genre de type qui attirait les filles.
— Non, monsieur, ce n'est pas un polynôme, car les exposants ne sont pas tous naturels, a dit Thomas, un sourire aux lèvres.
— Bien, vous voyez Monsieur Ledoux, ce n'est pas très compliqué, il suffit... d'écouter. Bien sûr, vous aurez un devoir supplémentaire que je vous donnerai à la fin de ce cours. Merci bien monsieur Bartolli. Allez, reprenez et ouvrez vos livres au...
Je ne l'entendais déjà plus. Sa voix n'était qu'un bruit de fond et je reprenais le cours de mes rêves.
La sonnerie a retenti et m'a délivré de ce calvaire. L'heure de maths était la dernière de la journée et, malgré la punition du Rapace, j'étais soulagé.
Quelle plaie cette classe ! Entre les remarques des professeurs et les railleries des élèves, je me demandais comment j'allais m'en sortir cette fois.
Clément le bizarre, Clément le rêveur. Le petit nouveau et son accent étrange. J'étais mis de côté.
Alors que je sortais de la classe, j'ai aperçu Belle Tremblay qui m'attendait. Ses cheveux roux étaient noués en une longue natte .
— Hey Clément, désolée pour ce qui t'es arrivé avec monsieur Gagnon ! Moi je n'ai pas ri en tout cas.
Elle me fixait à travers des lunettes si épaisses que ses yeux paraissaient énormes et globuleux.
— Merci Belle. Ce n'est pas grave, tu sais, j'ai l'habitude.
— N'oublie pas que je peux t'aider au besoin, si jamais... pour les devoirs ou bien...
— Non, vraiment c'est gentil, mais ce n'est pas la peine, je vais m'en sortir tout seul, l'ai-je coupé.
— Ho... hé bien, c'est noté, je proposais c'est tout ! m'a-t-elle répondu avec un soupçon d'agacement dans la voix.
J'ai regretté la sécheresse de mon ton. C'était une gentille fille. J'ai voulu m'excuser, mais elle était déjà partie.
Thomas m'attendait à l'arrêt de bus. Il était entouré de ses deux acolytes, Raymond, que tout le monde appelait Ray, un garçon blond habillé avec des chandails de sports trop grands et Paolo, qui était fier d'avoir déjà de la moustache.
Ce type m'avait déplu dès le premier jour, avec son air suffisant et ses habits de marques hors de prix. Et la réciproque était vraie. Thomas Bartolli me détestait.
— Hey le bizarre ! Tu comptes apprendre les maths sur la lune ?
Ray a émit un horrible rire étranglé de cochon. Paolo riait en petites saccades nerveuses.
J'ai serré les poings.
Thomas s'est approché de moi. Il avait le regard mauvais.
— Hey, je t'ai parlé microbe !
— Je m'appelle Clément, ai-je rétorqué.
— Je t'appelle comme je veux microbe, tu n'es pas chez toi ici !
— Pas plus que toi, nous sommes tous des locataires sur terre.
J'avais lu cette phrase dans un livre. J'étais fier de pouvoir la replacer.
Thomas m'a poussé et je suis tombé le cul à terre.
— Considère-toi locataire et moi propriétaire alors. Je te demanderais bien de me donner ton argent de poche, mais je suis sûr que t'en as pas, tellement t'es pauvre et minable.
Quel crétin ! Comment pouvait-il être aussi instruit et bête en même temps ?
Je me suis remis debout en silence et j'ai dépoussiéré mes habits. Mon jean était égratigné au niveau du genou.
J'ai soufflé.
Et dire que l'année ne faisait que commencer...
***
J'ai toujours été et je suis encore un rêveur. J'étais tête en l'air au point de tout oublier et des fois de paraître absent. Et vous, comment êtes-vous ou étiez-vous lorsque vous étiez enfant ?
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AU-DELÀ DU CERCLE
FantasiClément a douze ans lorsqu'il emménage dans une petite ville canadienne. C'est un garçon rêveur et précoce souvent perdu dans ses pensées. À l'école, il est victime de harcèlement et peine à trouver sa place. Alors qu'il commence enfin à se faire de...