Chapitre IX

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"Le destin, c'est le carractère". Novalis

Qu'allait-il se passer à 18 heures au gymnase ?

Au fur et à mesure que la colère quittait mon corps, les questions et les doutes commençaient à m'assaillir. Pourquoi diable avais-je accepté ce défi ?

Si j'avais eu l'intelligence de fermer mon clapet, j'aurais pu rester chez moi et jouer sur internet comme prévu !

Quelle mouche m'avait piquée ?

La mouche de l'orgueil, encore et toujours.

J'ai regardé l'heure sur mon cadran et j'ai caressé la tête de Scotty qui était venu se lover contre moi.

17 h. Bientôt le moment d'enfourcher mon vélo, de m'épuiser au moins une demi-heure pour me rendre au gymnase de l'école. Et pourquoi au juste ? Me prendre une raclée.

Pédaler sous la pluie, pour se prendre une volée... qui ferait ça ?

La porte de ma chambre s'est ouvert en grand ; c'était ma mère.

— Dis Clément, je dois aller faire quelques courses à la pharmacie. Ton père est un peu malade, sûrement un rhume, mais je le trouve vraiment fatigué. Ça t'embêterait de quitter ta chambre le temps que je revienne, tu sais pour le... surveiller, au cas où ? Tu pourras me joindre sur le cellulaire...

J'ai fait mine de protester. Cela tombait mal cette histoire.

— Il va vraiment si mal ? Je dois vraiment le surveiller ? Et tu seras revenue dans une demi-heure, Maman ?

Ma mère a accusé le coup. Son front s'est plissé.

— Pourquoi toutes ces questions ? Tu comptes aller quelque part, Clément ?

— Heu... Non, non, juste comme ça. C'est que je voulais rester dans ma chambre, pour parler, jouer, tout ça.

Elle a haussé les épaules.

— Je devrais être revenue normalement, oui, enfin, j'imagine. La pharmacie n'est pas très loin. Mais tu sais, si c'est pour t'amuser, tu peux prendre ta tablette et aller dans le salon. Ton père ne te dérangera pas, il est à moitié endormi.

J'ai opiné.

— D'accord Maman. À tantôt alors.

Là, je n'étais plus très sûr. Si jamais ma mère ne rentrait pas à l'heure, j'avais une excuse parfaite pour me défiler. C'était l'occasion rêvée pour une retraite. Mon père malade, ma mère absente : deux raisons tout à fait valables pour ne pas parcourir trente minutes en vélo et se faire marteler la tête par les poings d'un garçon bâti comme un éléphant.

Mais, aussi véridique soit-elle, ce sale type de Bartolli ne croirait jamais cette excuse et il en profiterait pour me rabaisser une fois de plus. J'aurais été le couard de l'histoire ! Et encore une fois, Thomas aurait gagné.

Et ça... c'était hors de question, la retraite n'était pas une option.

D'ailleurs, Sire Langemelle n'aurait pas abandonné. Il se serait battu jusqu'au bout. Pour l'honneur, pour la justice. Et la justice triomphe toujours !

Oui, ça sonnait bien, mais c'était dans les livres. La réalité était bien plus compliquée et cruelle.

Je suis descendu dans le salon, comme l'avait demandé ma mère. J'ai jeté un rapide coup d'œil à la vieille horloge en cuivre qui dominait le toit de la cheminée. Il ne s'était passé que dix minutes depuis que la porte d'entrée avait claqué et que ma mère avait pris le chemin du Jean Coutu du coin. Mon père était allongé sur le canapé. Il était recouvert d'une vieille couverture sur laquelle Scotty avait dû dormir des milliers de fois.

Je me suis approché. Il avait les yeux fermés et semblait plongé dans un sommeil profond, sa respiration était lente et son visage d'une pâleur spectrale.

— Bonne nuit, Papa, je t'aime, lui ai-je soufflé à l'oreille.

Au même moment, Scotty a bondi sur le canapé et s'est lové contre ses gros pieds.

Il restait peu de temps avant que ma maman ne rentre. Juste assez pour se faire une tartine ou un sandwich. Après tout, je n'allais pas partir le ventre vide pour aller me battre.

Deux toasts au beurre de cacahuètes plus tard, il était 17 h 30.

Et ma mère n'était toujours pas là...

Je ne peux pas me permettre d'être en retard, il va falloir que j'y aille !

J'ai hésité. Soit j'obéissais et je restais à veiller sur mon père, soit je partais en vélo affronter Bartolli.

J'ai regardé Papa qui venait de se retourner dans le canapé.

— Désolé, mais je dois vraiment y aller. T'inquiètes, Maman va arriver sous peu.

J'ai enfilé mon vieux K-Way rouge et j'ai quitté la maison.

Et c'est comme cela que sans le savoir, j'ai pris la décision qui allait à jamais changer ma vie.

AU-DELÀ DU CERCLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant