Ma mère a appelé pile au moment où j'enfournais mes toasts dans le grille-pain.
J'ai su que c'était elle avant même de décrocher.
— Clément c'est maman, a-t-elle dit d'une voix étranglée.
Je suis resté silencieux, la bouche ouverte.
— Ton père... c'est un peu plus grave que ce qu'on pense et... il doit rester en observation.
Ça aussi, je l'avais senti.
— Il.. Il est conscient ? Tu peux lui parler ?
— Oui... enfin... non. Il dort beaucoup... il est faible, j'ai quand même réussi à lui glisser quelques mots, mais ce qui m'inquiète c'est qu'il semble délirer et a eu du mal à s'exprimer, il semblait totalement ailleurs, j'ai même eu l'impression qu'il ne me comprenait pas. Elle s'est interrompue, un sanglot dans la voix.
— Ça va maman ?
Je l'ai entendu renifler à l'autre bout du combiné.
— Désolé chéri. C'est dur, surtout que les médecins ne comprennent pas trop son état. Mais ne t'inquiète pas. Va à l'école, prends soin de toi et pense à nourrir le chien...
— Oui maman, je suis plus un enfant. Tu peux me faire confiance, tu sais.
Je ne la voyais pas, mais j'ai perçu son sourire.
— Bisous Clément.
— Bisous maman, je suis désolé maman.
— Ne sois pas désolé trésor, tu ne pouvais pas prévoir cela... personne ne le pouvait.
— Je sais... bye... à bientôt.
Je suis resté immobile plusieurs secondes avant de raccrocher.
Si. J'aurais pu le sauver. Si j'étais resté ici plutôt que d'aller voir cet abruti de Bartolli.
Comment ne pas m'en vouloir
Les toasts ont sauté et une odeur de brûlé a envahi la cuisine.
Bon c'était les derniers, je n'avais plus qu'à gratter le dessus.
Pour une fois, j'ai pris tout mon temps pour déjeuner. La nouvelle m'avait coupé l'appétit. La moitié d'un toast a d'ailleurs fini dans le gosier de Scotty, qui avait reniflé l'opportunité de glaner un petit extra matinal.
Un coup d'œil sur l'horloge de la cuisine a confirmé que j'étais en retard. J'allais bientôt manquer le bus scolaire.
Qu'importe, je n'avais pas du tout envie d'aller à l'école. La seule chose que je voulais faire, c'était de prendre un taxi et d'aller voir mon père.
— Mais tu vas être sage et faire plaisir à tes parents... ai-je dit à haute voix. Scotty est venu me lécher la main. Sûrement un signe que je faisais le bon choix, ou bien que le chien avait repéré les traces de beurre de cacahuète sur mes doigts.
J'ai accéléré la cadence, débarrassé la table et déposé le tout dans l'évier déjà surchargé. J'ai expédié le lavage de dents, et bourré les affaires dans mon sac.
J'ai hésité, mais j'ai aussi embarqué le jeu. Ce coup-ci, je voulais en parler à Belle. Enfin peut-être ne pas tout lui raconter non plus, pour ne pas passer pour un fou à lier. Mais au moins, lui montrer les illustrations.
Je me suis assuré de bien caler mon jeu entre les livres scolaires.
Lorsque je suis arrivé, j'ai été surpris de ne pas voir Belle dans la cour, et encore plus en regardant la place vide pendant le cours de Français. J'étais frustré ; c'était la seule personne avec qui je pouvais partager mon histoire. Et puis surtout, après toutes ses épreuves j'avais besoin de soutien, d'une épaule et d'une oreille attentive.
J'ai réalisé que Belle était la personne qui se rapprochait le plus d'une amie pour moi.
La concentration a été plus difficile que les autres jours, entre mon incroyable aventure, l'absence de Belle et la voix qui avait fait irruption dans mon crâne, il y avait peu de place dans mon esprit pour la « subordonnée interrogative indirecte ».
C'était un bon professeur, calme et patient, mais tout me semblait futile et sans intérêt.
J'ai découvert plus tard pourquoi Belle n'était pas venue.
Et j'avoue que pendant le cours d'histoire, mon cœur faillit s'arrêter alors que la porte s'est ouverte et que l'épopée d'Alexandre le Grand fut interrompue par l'entrée du proviseur. Elle fit taire les élèves, avant de se racler la gorge.
— Vous avez peut-être appris la nouvelle, mais une élève n'est pas rentrée chez ses parents hier.
Belle ! Non pas Belle !
— Certains le savent peut-être, mais c'est de Lise Savard qu'il est question. Son petit frère n'a pas encore été retrouvé et elle-même manque à l'appel désormais.
Lise Savard ! J'étais tellement occupé à penser à Belle que je ne n'avait pas remarqué l'absence de Lise.
Mon Dieu ses parents ! Quelle tragédie ! Le frère, puis la sœur... disparus, enlevés !
— Nous allons organiser une battue, conjointement avec les forces de police. Il se peut que certains des professeurs y participent et que la programmation des cours soit perturbée.
Après la sortie du Proviseur, un silence de plomb s'est abattu sur la classe
Le professeur d'histoire a relancé son récit sur les batailles d'Alexandre, mais sans enthousiasme. L'espiègle Madame Cécile avait le cœur lourd et ne parvenait plus à capter l'attention de ses élèves.
J'étais en train de ranger mon livre lorsque Louis est venu me voir. Il était à son habitude, un œil fixé sur son cellulaire, prêt à saisir du texte au moindre signal sonore.
— Salut, Clément, j'ai eu des nouvelles de Belle, elle voudrait qu'on se voie ce soir. Moi je suis ok et toi tu es partant ?
— Ha oui ? Tu sais pourquoi elle n'est pas venue aujourd'hui ?
Louis a haussé les épaules sans que son regard quitte son cellulaire sur lequel il tapotait avec son pouce.
— Aucune idée, j'ai pas demandé, mais ce soir elle voudrait qu'on parle de la maison. Elle a fait des recherches et a quelques révélations à nous faire. Enfin c'est ce qu'elle prétend en tout cas.
— Cool, bien sûr que je suis partant. Et puis, en plus j'ai besoin de me changer les idées.
— Ha oui, au fait désolé pour ton père.
J'ai sursauté. Personne ne savait pour mon père ! Comment Louis était-il au courant ?
Louis a dû remarquer ma grimace.
— Mon père est médecin à l'hôpital, il m'a dit que ton père était le bas. Au cas où tu demanderais...
— Ah, fit Clément. Oui, il a eu... une attaque.
— J'ai appris oui. Sincèrement désolé. Si tu veux en parler... je suis là.
Le ton employé était dénué d'émotion. Sa proposition était plus pour la forme. Louis n'avait pas vraiment la fibre empathique.
— Merci, ça devrait aller. Pour ce soir, c'est possible que vous veniez chez moi ?
— Pas de problème, mon père me déposera, je texte Belle pour la prévenir.
— Merci, on se voit ce soir alors !
Sacrée Belle ! Qu'avait-elle bien pu découvrir sur la maison ?
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AU-DELÀ DU CERCLE
FantasyClément a douze ans lorsqu'il emménage dans une petite ville canadienne. C'est un garçon rêveur et précoce souvent perdu dans ses pensées. À l'école, il est victime de harcèlement et peine à trouver sa place. Alors qu'il commence enfin à se faire de...