Chapitre XVII

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 "Les despotes eux-mêmes ne nient pas que la liberté ne soit excellente seulement ils ne la veulent que pour eux-mêmes, et ils soutiennent que tous les autres en sont indignes tout à fait". Alexis de Tocqueville

C'est à la lueur d'une simple torche que Syllid nous a guidés à travers un dédale de couloirs humides. Au terme de ce périple peu rassurant, au cours duquel j'ai senti quelques rats passer entre mes jambes, Syllid s'est arrêtée devant une porte scellée par un cadenas. Encore plus qu'à la surface, j'avais l'impression d'avoir affaire à la face cachée de la ville, sa face terne. Cela était encore plus vrai alors que derrière cette porte j'entendais s'échapper quelques gémissements et plaintes lugubres.

— Qu'est ce que c'est ? Ai-je demandé.
— Nous avons aménagé cette partie de l'hôtel de ville. Nous y mettons à l'écart des sujets. Nous tentons de comprendre comment guérir les victimes des créatures créées par Elistar.
Créatures...
Un frisson est parti de mon coccyx et remonté vers ma nuque
Syllid a enfoncé la clé dans le cadenas, puis elle s'est tournée vers moi.
— Sache que ce que tu t'apprêtes à voir ne doit pas être connu de nos sujets. Il y a des rumeurs qui courent, mais nous tentons de les contenir. Tu vois Clément, la peur est une arme plus puissante qu'une épée.
La peur ? Que voulait-elle dire ? Je m'attendais au pire.
— Tu vas comprendre.
Et la Dryade a tourné la clé en fer et la porte s'est ouverte dans un couinement métallique.
Je m'étais préparé à un choc.
Mais la vision m'a quand même saisi d'épouvante.
La salle en question était une cellule, une prison. Dans le centre de la pièce, il y avait juste une table, sur laquelle étaient posées quelque potions et flasques. Juste à côté, un grimoire reposait sur un pupitre, ouvert sur des pages qui illustraient des parties de l'anatomie humaine.
Mais c'est... cette chose qui était recroquevillée derrière les lourds barreaux en fer de la cellule qui a capté mon regard.
Cette créature humanoïde se tenait recourbée au fond de la geôle, en état de catatonie. Elle était si maigre qu'on ne voyait qu'un mince filet de peau recouvrir un squelette dont les os saillaient presque au point de transpercer l'épiderme. Elle était totalement glabre, hormis les quelques touffes éparses qui jaillissaient sur le haut de son crâne. Le pauvre était juste habillé d'un linge au niveau du bas ventre.
Mais le plus horrible ce n'était pas la maigreur.
Niché à la base de sa nuque, ce qui ressemblait à une araignée noire et velue, semblait enchâssé dans son corps et étendait ses longues pattes, véritables pompes, autour de sa cage thoracique... en dessous de la peau.
J'étais sans voix. Le corps et les pattes de la bête pulsaient et se coordonnaient à la rauque respiration de la chose.
Et j'ai compris l'horreur de ce que j'avais devant les yeux.
L'araignée devait être un parasite greffé à son hôte, un humain.
Syllid a rompu le silence.
— C'est un contrôlé, c'est comme cela qu'on les appelle. Il y en a de plus en plus. Ces parasites sont fréquents dans les zones sous l'influence d'Elistar. Une fois la bête logée dans le cou, elle prend le contrôle de la personne qui obéit alors à la volonté d'Elistar. Malheureusement, si on tente de la retirer... son hôte meurt. Tout ce que nous pouvons faire, c'est trouver des calmants. Celui-ci est inoffensif... pour le moment.
Je n'arrivais pas à détacher les yeux de ce pauvre homme dans sa cellule.
Syllid s'est tourné vers moi. Ses yeux étaient humides.

— Elistar en a de plus en plus dans ses rangs et nous ne pouvons pas contrer cette magie. Écoute, je suis désolée de t'avoir imposé ce spectacle, Clément. Mais c'était pour te faire prendre conscience que sans un puissant Arpenteur, nous sommes tous condamnés. Ceci est le sort que nous réserve Elistar s'il parvient à briser Stelle. Nous serons ses esclaves... et subirons le même sort que ce pauvre bougre que tu vois là.
Le désespoir a empli les yeux de Syllid. Tout en restant digne, elle m'implorait de rester, de les aider.
Les aider comment ?
J'ai soupiré.
— Qu'attendez-vous de moi ?
— Que tu prêtes serment à la stèle ! Que tu sois notre Champion.
Puis elle a ajouté :
— Une fois ce serment prêté, tu devras passer un rite, une série d'épreuves qui évalueront si tu es digne de nous représenter. Et si jamais tu remportes ces épreuves et que tu deviens champion.. Alors tu pourras représenter Stelle et les Clans. Elistar n'aura plus le choix ! Pour briser le sort qui protège Stelle, il devra envoyer un des Arpenteurs te défier. Cela sera son unique moyen de mettre la main sur Stelle !
J'étais confus. Cette histoire de duel et de champion me paraissait illogique et insensée.
— Pourquoi ne pas attendre. Stelle est sous un sort qui la protège non ?
— Parce que le sort va bientôt prendre fin, a répondu la dryade.
— Et que se passera-t-il après ? Une fois que j'aurai prêté serment et que le défi sera lancé ?
Syllid a levé les yeux et a marqué une pause. Puis elle a souri.

— Vous serez liés par la stèle et vous subirez son challenge. Si tu gagnes, nous aurons alors l'occasion de repousser Elistar et ses sbires...
— Et si je perds ?
Elle pointa la cellule.
— Alors c'est ce qui nous attend tous...

Que devais-je faire ? Devenir un champion ? Affronter un autre Arpenteur ? En étais-je capable ? Qu'est ce que j'avais à y gagner ? Avais-je un intérêt à sauver ces gens que je ne connaissais même pas, dans un monde éloigné, qui après tout pouvait être le fruit de mon délire.
— Clément, ce n'est pas tout, a ajouté Syllid. En devenant Champion, ton jeu sera plus puissant et tu seras capable d'utiliser tes pouvoirs sans contrainte dans ton propre monde.
— Comment ça, même dans mon monde ?
— Si tu acceptes et que tu deviens un champion, l'épreuve te rendra plus fort, plus puissant.
Ça, cela changeait tout.
— Je pourrais par exemple guérir des gens et des animaux ?
Syllid a hoché la tête.
— Oui, et bien plus encore.
Une pensée sinistre m'a effleuré l'esprit. Je voyais bien Thomas tâter de la puissance de mon jeu...
— L'Arpenteur que choisira Elistar, ce sera Misclane n'est-ce pas ?
Le visage de Syllid s'est rembruni.
— C'est fort probable, mais d'ici là tu seras prêt.
Aspiration !
— Écoutes, va donc rejoindre Léopard, il te guidera et saura te conseiller. Le choix de devenir ou non un champion t'appartient. Mais décide-toi vite. Pense que tu as le pouvoir de sauver des vies. De sauver des gens innocents d'un sort pire que la mort. Je...
Elle a braqué ses yeux clairs sur moi.
— Je compte sur toi.
Je me suis senti mal à l'aise. J'avais peur de faire le mauvais choix, surtout que je ne savais pas encore ce qui m'attendait et ce qu'il adviendrait de mon corps d'enfant si je devais rester prisonnier ici.
Mais l'idée de pouvoir guérir mon père et Scotty...
— Je vais parler à Léopard.
Syllid m'a posé la main sur la tête.
— Merci, je suis sûre que tu prendras la bonne décision.
Mais quelle est la bonne décision ? 

AU-DELÀ DU CERCLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant