Chapitre XVI

83 18 21
                                    

"L'imagination gouverne le monde" N. Bonaparte

J'ai hésité avant de toquer. Je ne savais pas à quoi m'attendre et surtout quoi dire !

La seule question qui me brulait les lèvres était : comment rentrer chez moi !
Loyd a perçu mon hésitation et a posé sa main sur mon épaule.
— Allez !  vas- y Clément, c'est ton entrevue, pas la mienne. Ne t'inquiète pas.
Facile à dire. Qu'avait voulu dire Léopard par... Dame Syllid va t'évaluer. Évaluer pour quoi ?
Mais puisque c'était peut-être ma seule chance de pouvoir revoir mon monde...
— Tu peux entrer, jeune Arpenteur.
La voix était douce, mais empreinte d'autorité.
Et c'est ce que j'ai fait, suivi par un Loyd souriant.
Je n'ai pas vu tout de suite le bureau, aménagé avec gout, empli de fleurs et de plantes, ni le lierre qui courrait sur les murs.
Je l'ai vu, elle. Cette femme d'une beauté éblouissante.
Syllid avait une peau d'une blancheur de lune, de grands yeux verts en amandes et une chevelure rousse flamboyante tressée en une longue natte. Elle était vêtue d'une simple tenue de cuir, mais semblait la porter comme une seconde peau. Ses oreilles étaient longues et effilées.
Était-ce donc une elfe que j'avais devant les yeux ?
— Je suis une dryade, m'a-t-elle dit.
J'ai ouvert la bouche et l'ai refermée sans un mot. Avait-elle lu dans mes pensées ?
Syllid a souri.
— Tu n'es pas le premier Arpenteur... ou prétendu Arpenteur à être venu ici. Ta réaction est tout à fait normale... je veux dire, la surprise en me voyant.
Elle eut un petit rire.
— Je... c'est que je n'avais jamais vu de Dryade avant...
— Peu de gens de ton monde doivent en voir... il n'y en a presque plus, je pense, là d'ou tu viens...
Aie. J'avais envie de dire que les Dryades n'existaient pas, mais à quoi bon la vexer ou la peiner ?
— Tu te demandes pourquoi tu es là jeune homme, non ?
Et surtout comment je peux rentrer !
Mais, j'ai répondu autre chose :
— Oui je voudrais comprendre pourquoi je suis dans ce village et ici dans... ce monde.
— Deux questions qui amènent deux réponses. Premièrement, tu es ici dans ce village comme tu l'appelles, car Léopard, Loyd et un groupe de guerriers t'ont sauvé des griffes de Misclane.
Elle a marqué une pause
— Mais nous avons perdu beaucoup d'hommes dans l'attaque... a-t-elle ajouté sur un ton grave.
Je suis resté silencieux. Que répondre ? Devais-je me sentir coupable ?
— Mais tout ceci, cette intervention de notre part ainsi que ta capture par Misclane, est lié à ta deuxième question : au pourquoi tu es ici... dans ce monde. Mais avant que je ne te donne réponse, peut-être en as-tu déjà une vague idée ?
Oui. Vague était bien le mot.
— Misclane a l'air de croire que je suis un Arpenteur, et vous avez l'air de le penser aussi. Sauf que cela ne me dit rien, je ne sais pas ce que c'est.
Syllid s'est rapprochée de moi. Elle n'avait pas fait de bruit en marchant, j'aurais cru la voir flotter. De prés, elle était aussi superbe qu'intimidante. Un feu intense brillait dans ses yeux.
— Tu as trouvé un jeu. Tu as réussi à activer une des cartes et tu es venu ici. Est-ce correct jeune homme ?
— Oui, c'est tout à fait ça.
J'ai dégluti. Elle me fixait sans ciller.
— Où l'as-tu trouvé ?... As-tu entendu une voix, as tu été guidé vers lui ?
Elle continuait à avancer. J'étais captivé par l'intensité de sa voix, par le feu dans son regard, par sa beauté et son odeur presque sucrée. Étais-je envoûté ? Sous un charme ?
J'ai hésité et dit :
— Dans la maison, il m'a semblé que j'étais guidé vers le jeu...
Syllid a hoché la tête. Son regard était si intense qu'il était impossible de s'en détacher.
— Pourquoi... pourquoi ces questions ? Suis-je parvenu à balbutier, en m'arrachant un court instant à l'emprise de ses yeux.
— Il existe plusieurs jeux... certains plus puissants que d'autres. Le jeu que tu avais était l'un des jeux fondateurs... d'une extrême puissance. On dit qu'il choisit son utilisateur. Et s'il t'a choisi, c'est pour des qualités que tu possèdes.
Le jeu... Je ne l'avais même plus ! Et si Misclane l'avait trouvé ?
Encore une fois, il semblait que Syllid était capable de lire dans mes pensées.
— Ne t'inquiète pas pour ton jeu, Clément. Misclane ne l'a pas. Il est entre nos mains.
J'ai soupiré de soulagement. C'était la meilleure nouvelle que j'avais entendu depuis que j'avais repris connaissance dans le lit du vieux Silas.
Le visage de Syllid s'est radouci. Elle m'a paru triste et nostalgique.
— Mais nous avons besoin de cette puissance pour lutter contre Elistar et ses troupes. Nous ne sommes plus qu'une poignée face à ses forces. Et sans la protection que Stelle nous procure... nous serions déjà vaincus.
— Cet Elistar, il est aussi un Arpenteur ? Et pourquoi voudrait-il détruire ce village ?
Elle m'a regardé avec curiosité.
— Hé bien, disons qu'il était un Arpenteur... Désormais, il est bien plus que cela... il est si puissant que son imagination et ses pouvoirs sont capables d'altérer les règles et l'équilibre de notre monde ; à un point qu'aucun n'aurait pu imaginer avant lui. Tu vois Clément, les grands Arpenteurs ont la capacité de changer les choses, de créer, de modeler, d'imposer leur réalité. Face à lui, nous nous contentons de résister... mais pour combien de temps. Et quant à ses motivations, j'aimerais vraiment les connaître. Il n'était pas comme cela avant. Quelque chose lui est arrivé. Peut-être la folie ? Mais crois-moi, il est impossible de le raisonner. Pas plus qu'il n'est possible d'empêcher les vagues de s'échouer sur les plages.
Sylid paraissait perdue et la tristesse du ton de sa voix suggérait que l'histoire était plus complexe que cette simple explication.
Pour moi c'était beaucoup plus simple. Ils avaient besoin du jeu de cartes pour lutter contre cet Elistar, et je voulais rentrer chez moi.
— Si vous voulez le jeu, pas de problème. Je veux juste rentrer à la maison. Depuis que je l'ai découvert... Il ne m'est arrivé que des ennuis. Je vous le rends.
Syllid m'a souri, son visage avait recouvré sa pétulance.
— Nous avons effectivement besoin de cette puissance, Clément... mais sans son utilisateur, il ne nous sert à rien.
Je m'attendais à ce qu'elle me dise ça, j'avais juste espéré qu'elle ne le fasse pas.
— Il n'y a pas d'autres Arpenteurs à qui je pourrais le donner ?
Syllid a secoué la tête.
— Non, le jeu t'a désigné, et pour répondre à ta question, les seuls arpenteurs qui restent sont du côté d'Elistar. Ils ne sont pas tous aussi puissants que Misclane, mais restent redoutables. L'équilibre semble brisé pour une raison que j'ignore. Mais pour une autre raison te voilà toi. Un Arpenteur, de notre côté et en possession d'un des jeux les plus puissants qui plus est. Alors, nous avons besoin de toi... Clément. Nous avons besoin que tu nous aides. Mais tu ne le sais peut-être pas encore, tu as aussi besoin de nous.
C'était la meilleure.
— Comment-ça j'ai besoin de vous ? Je ne comprends pas. Tout ce que je veux, c'est rentrer chez moi et vivre en paix avec ma famille.

Sylid est restée silencieuse quelques secondes, puis s'est levé et s'est approché de la fenêtre. Elle a regardé dehors.
— Vois-tu Clément, avant qu'Elistar ne sombre dans sa folie, notre monde était harmonieux et en paix. Stelle, ce village, était la capitale d'un univers bien plus joyeux et coloré qui n'existe presque plus maintenant... il a été corrompu en grande partie. Et notre monde obéit aux lois du jeu. Le jeu et certains des possesseurs des cartes de pouvoir ont la capacité de le modeler, de le transformer. Leur imaginaire est leur force créatrice, et celui qui est capable de maitriser son imaginaire peut en faire une réalité.
Elle avait éludé la question.
La dryade se détourna de la fenêtre et m'a fixé.

— Au cours de notre histoire, il y eut plusieurs Arpenteurs très puissants. Tous étaient les possesseurs d'un jeu au pouvoir presque sans limites... et tous n'étaient pas d'accord sur la manière de transformer notre monde. Lors d'un désaccord majeur, la stèle qui a donné le nom à notre ville a émergé, issue de l'affrontement entre les arpenteurs. Avec elle est née une loi, immuable. Si deux arpenteurs sont en désaccord, celui qui remporte les épreuves de la stèle... choisit l'avenir de notre monde. Elistar s'est arrangé pour qu'aucun Arpenteur se s'oppose à ses plans et n'utilise la stèle. Il n'y a personne pour venir le défier et infléchir le cours des évènements.
Son regard s'est intensifié et ses traits se sont durcis.
— Nous allons perdre. La durée de protection s'achève... et sans un champion pour relever le défi de la stèle, elle aussi tombera. Nous avons besoin d'un champion. Je crois que tu as deviné de qui je veux parler maintenant non ?
— Mais je suis... jeune. Comment pourrais-je être un champion Dame Syllid ? Et puis vous avez dit que j'avais besoin de vous, pourquoi ?
Elle ne m'a pas répondu.
— Viens Clément ! je voudrais te montrer quelque chose. Quelque chose que seuls ceux qui affrontent Elistar doivent voir.
Puis elle s'est adressée à Loyd.
— Peux-tu prévenir Léopard que je lui enverrai Clément sous peu s'il te plait ?
Le jeune homme a exécuté une belle révérence.
— Comme il vous plaira, Dame Syllid.
Puis, il est sorti de la pièce sans se retourner.

Une fois la porte fermée, Syllid a soulevé un lourd tapis qui jouxtait son bureau. Puis elle a agrippé la poignée en fer d'une trappe qui était cachée en-dessous.
— Viens, n'aie pas peur.
— Où allons-nous ? ai-je demandé, surpris de la tournure que prenaient les événements.
Syllid a levé la trappe.
— Je vais t'emmener dans les sous-sols de l'hôtel de ville. Puis, elle a descendu l'escalier et s'est engouffrée dans l'obscurité.
J'ai dégluti, et je l'ai suivi.

AU-DELÀ DU CERCLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant