Chapitre VIII

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 " Celui qui sème l'injustice moissonne le malheur ". Proverbe 

Impossible de me concentrer. La sélection des joueurs pour l'équipe de Soccer était programmée pour aujourd'hui.

Et pendant que monsieur Gagnon dispensait son cours sur la résolution d'équations à une inconnue avec son habituel ton monocorde, je me voyais tirer dans le ballon, dribbler, marquer des buts et me faire porter aux nues par une équipe persuadée de tenir son champion.
J'avais mis au point une technique pour leurrer le regard scrutateur du Rapace.
À chaque fois qu'il braquait sur moi ses yeux noirs, je hochais la tête et je lui adressais ma plus belle face d'élève concentré.
Ainsi, je donnais tous les signes d'intérêt qu'exigeait son cours, alors que mon esprit était libre.
Du moins, c'est ce que je croyais.
Car son haut front plissé et dégarni dissimulait un esprit rusé et retors.
J'étais dans un scénario où Lise se précipitait les bras tendus vers moi après le match lorsque la voix détachée du professeur a formulé la phrase
— ... Une question à laquelle je suis sûr que Monsieur Ledoux pourra répondre facilement. N'est-ce pas monsieur Ledoux ?
Panique. Le Busard m'avait piégé. Ma simulation ne m'y avait pas préparé.
Je me suis raclé la gorge.
— Hé bien... oui, heu... une question bien. Heu légitime, Monsieur Gagnon, ai-je dit pour gagné du temps.
La classe a ri en cœur.
J'ai cru voir le nez busqué du professeur s'étendre lorsqu'il a froncé les sourcils.
— Vous me prenez donc pour un imbécile, monsieur Ledoux... vous pensez que votre subterfuge qui consiste à adopter une posture d'écoute pendant que vous pelletez les nuages marche avec moi ?
— Sortez de la classe ! a-t-il ajouté, et je vais m'arranger pour que vous ayez une punition. Encore un devoir supplémentaire, et pas le dernier, j'imagine...
(A+b2)
— A+b2.
La réponse avait jailli de ma bouche.
Le Rapace s'est retourné. Il n'aurait pas été plus surpris s'il avait croisé un chien à deux têtes.
— Répétez, monsieur Ledoux ?
— A+b2.
— Hé bien. C'est exact... je... vous pouvez rester en classe. Reprenons.
M.Rapace a repris le cours sans s'interrompre ni s'excuser d'ailleurs.
Et là, je me suis posé la question. Se pouvait qu'une partie de mon cerveau ai pu écoute et assimiler le cours pendant que l'autre se perdait dans les méandres de mon imaginaire ?
L'instinct peut-être ? Où avais-je perçu une voix à l'intérieur de ma tête ?
J'ai senti le regard de Thomas sur moi. Il me fixait d'un air furieux.
Et je lui ai rendu. Je devais lui faire comprendre que je n'avais pas peur.

***

J'étais dégouté.
J'ai dû rejoindre le gymnase sous une pluie battante. Je préférais de loin le gazon d'un terrain de Soccer, à la surface lisse et glissante d'un gymnase.
Tous les élèves sont arrivés détrempés. Premier constat : ils étaient nombreux. Pas loin d'une trentaine.
Je n'avais plus qu'à espérer qu'ils ne soient pas tous des as du ballon.
Monsieur Bellamy a trotté vers nous depuis les vestiaires. Ce petit homme sec, aux moustaches proéminentes et au verbe acide, nous a accueillis avec sa finesse habituelle :
— Bon les jeunes, on ne va pas rester ici comme des glands à mouiller le parquet ! Allez au plus vite vous changer, vous avez cinq minutes, on a assez perdu de temps. Hop hop hop, on bouge les mollusques !

Et cinq minutes plus tard, les trente élèves investissaient le gymnase, en riant, hurlant, chahutant.
C'est là que j'ai aperçu Thomas, Ray et Paolo.
Ils recrutaient déjà leur équipe chez les autres élèves. C'était facile pour Thomas. Il avait beau être détestable, il était populaire. Je pouvais le voir parader comme un coq dans une basse court, et exhiber son ensemble Nike flambant neuf.
Je faisais pâle figure avec le trou dans le haut de mon jogging et mes baskets abîmées.
J'avais vraiment la poisse ! Il ne pouvait pas jouer au Hockey ? Non ; il avait fallu qu'il aime le Soccer ! Et puis j'ai réalisé. Bartolli, il devait être italien d'origine.

AU-DELÀ DU CERCLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant