Chapitre V

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"Ecrire des lettres, c'est se mettre nu devant les fantômes ; ils attendent ce moment avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route." F.Kafka

J'étais seul désormais, la main crispée sur ma lampe de poche, guidé par son seul faisceau. J'ai balayé la maglite à travers la pièce. Malgré l'état de délabrement des lieux, je pouvais discerner des étagères fixées au mur ainsi que l'îlot central de la cuisine, qui était demeuré intact.

L'endroit était particulièrement lugubre. Ce n'était tant l'obscurité ambiante ; je sentais une  noirceur poisseuse m'engloutir sous son manteau malveillant. 

Mes mains se sont couvertes de moiteur et j'ai senti ma circulation s'embraser.

À ce moment précis, mon instinct m'ordonnait  de prendre mes jambes à mon cou, de fuir loin de cet endroit sordide, mais mon orgueil me dictait de rester.

Pour conjurer l'angoisse qui me gagnait, j'ai fermé les yeux et j'ai fait appel à mon imagination. Je  tentais de visualiser la vie qui avait habité la maison. La famille réunie autour du déjeuner matinal, l'odeur des œufs dans la poêle, des toasts sortis du grille-pain, du bacon grillé. Je me représentais la mère de famille, souriante et attentionnée, préparant les tartines et bols de céréales sur l'îlot central. Puis enfin, j'ai vu le père dans un parfait costume tiré à quatre épingles, qui embrasse ses enfants sur le front avant de partir en trombe au travail. J'ai poussé fort pour que la maison prenne vie dans mon esprit et pour que la lumière que j'y créais déchire les voiles d'ombre qui m'enveloppaient. 

J'ai inspiré et ouvert les yeux. L'obscurité avait baissé en intensité. Le mécanisme mental avait fonctionné... Ou alors était-ce moi qui m'habituais à la pénombre ?

En dehors des images que j'y avait implanté, la cuisine ne contenait rien d'intéressant, alors j'ai repris mon exploration...et j'ai heurté une vieille planche.  Un nuage s'est échappé de l'épaisse couche de poussière qui recouvrait le sol. J'ai toussé en respirant les particules. Un goût âpre m'a envahi le palais, mélange d'humidité et saleté.

J'ai progressé ensuite vers le salon, où je n'ai rien trouvé d'autre que des planches à terre et des marques sur les murs. J'ai donc avancé vers le vestibule, l'entrée principale de la maison. J'ai été  tout de suite attiré par un porte manteau ; une vieille veste miteuse y était encore suspendue. Puis, j'ai porté mon regard sur un double escalier qui menait à l'étage. 

Je me suis figé. L'espace d'un instant, j'ai cru reconnaître l'endroit. Un sentiment de déjà vu peut-être ?

J'ai avancé vers les larges escaliers ; les marches portaient encore la trace de la moquette qui avait dû les recouvrir des années auparavant.

J'ai mis un pied sur la première marche.

Bam !

Mes poils se sont hérissés.  

Le son d'une porte qui claque. Le bruit était venu de l'étage. 

Avais-je  entendu ce claquement ou était-ce le fruit de mon imagination ?

Bam !

Le même bruit, plus fort cette fois-ci.

Pas de doute. Quelque chose ou quelqu'un était à l'étage.

Je suis resté paralysé un moment au pied du large escalier.

Que devais-je faire ? Et si cette maison était hantée ?

J'étais tenté de rebrousser chemin et déclarer forfait. Après tout, avais-je vraiment envie d'être ami avec ces types ? Belle était vraiment une fille sympa, mais les autres... pas tant que ça.

AU-DELÀ DU CERCLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant