Chapitre 7

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   La grande place lui sembla encore plus bondée que la première fois et Blandine ne tarda pas à se faire bousculer de tous les côtés. Elle marcha en regardant ses pieds, tenant toujours le précieux gâteau contre elle. Tout le monde passait à côté d'elle mais personne ne la remarquait. Excepté quelques enfants qui se moquèrent de son allure.

   Elle avait de la boue jusqu'aux bras et de la pâte à gâteau dans les cheveux. Cheveux qui d'ailleurs ne ressemblaient plus qu'à un tas de paille. Ses yeux étaient rouges et bouffis, et elle marchait en boitant car elle s'était tordu la cheville dans sa course poursuite après le carrosse. Et comme si cela ne suffisait pas, le groupe d'enfant se mit à la suivre. Ils lui lancèrent des cailloux en faisant retentir leurs rires moqueurs.

   Blandine les ignora, comme elle avait ignoré le fait qu'on ne s'approche pas de plus de cinq mètres de sa maison ou qu'on la traite de sorcière. Tout ce qu'elle voulait, c'était rentrer chez elle pour être enfin en paix. Seule avec sa honte.

   Gaston atteignit à son tour la place qui grouillait de monde, comme à son habitude. Il désespéra un peu de retrouver Blandine dans cette foule. Mais Belleville restait un petit village où tous les habitants se connaissaient et repérer une étrangère ne pouvait pas être bien compliqué.

   Il demanda donc à tous ceux qui croisèrent son chemin : poissonniers, bouchers, passants, dames, couturières. Certains avaient aperçu la jeune femme mais aucun n'étaient formels quant à la direction qu'elle avait emprunté.

   Gaston jeta des regards tout autour de lui, commençant sérieusement à perdre espoir, quand il capta la discussion de deux jeunes à quelques pas de lui.

« Tristan m'a dit que la bande à Richard s'est trouvé une nouvelle victime, dit l'un d'eux.

— Ouais, une cinglée qui se trimballait couverte de boue en tenant un gâteau comme si c'était son bébé. Au lieu de s'en servir comme d'un bouclier contre les pierres, elle a tout fait pour le protéger. Tu l'aurais vu, c'était vraiment hilarant !

— Je me demande d'où elle sort celle-là, rit-il avec son ami. »

   Gaston n'en supporta pas plus et se dirigea vers eux d'un pas assuré. Il s'abaissa à leur taille pour les regarder dans les yeux. Tous deux reconnurent aussitôt Le Gaston et se turent.

« Où est-elle ? demanda-t-il calmement. »

   Voyant qu'ils ne comprenaient pas il répéta :

« La jeune femme dont vous parliez, par où est-elle partie ? »

   Les deux garçons échangèrent un regard surpris puis sourirent.

« Ils vont l'emmener vers le piège qu'on a construit dans les champs.

— Où ça ? s'impatienta Gaston.

— Suis-nous ! » s'exclamèrent-ils ensemble, heureux qu'un grand si populaire se joigne à leur petit jeu.

   Gaston les suivit en direction des collines sans rien dire. Il pressa le pas, le cœur battant. Qu'est-ce que ses petits monstres avaient l'intention de faire à la pauvre Blandine ?

   Ils traversèrent un sentier boisé et, alors qu'ils se rapprochaient de plus en plus de la forêt, des masses en mouvement accoururent vers eux. C'était les autres enfants qui fuyaient. Mais aucun signe de Blandine à l'horizon.

« Qu'est-ce qui se passe les gars ?

— C'est ce fichu vieillard avec son tracteur qui nous a surpris. Et qu'est-ce qu'il fait ici celui-là ? »

   Les regards se tournèrent sur Gaston mais il ne prit pas la peine de répondre. Il se mit à courir vers là où devait se trouver la pauvre Blandine.



   Jamais Blandine ne s'était sentie aussi faible, humiliée et inutile. Elle savait bien qu'elle n'était pas des plus intelligente ni des plus jolies. Mais ça ne l'avait jamais dérangé auparavant. Elle n'avait cherché à plaire à personne et personne n'avait cherché à l'approcher. Tout était très bien.

   Seulement voilà, elle était sortie de son cocon protecteur et la vie à l'extérieur avait un goût beaucoup plus amer que ce qu'elle avait imaginé. Elle s'était préparé à être ignorée, invisible, mais elle n'aurait jamais, au grand jamais, pensé qu'on la pointerait du doigt et qu'on se moquerait d'elle ouvertement. Qu'on la pousserait, la bousculerait, la ferait tomber à terre, qu'on lui lancerait des pierres et tout cela volontairement. Etait-elle si horrible que ça ? Méritait-elle qu'on la traite ainsi ?

   Certainement. Sinon pourquoi le ferait-on ? Il devait bien y avoir une raison. Personne n'agirait de cette manière par pure méchanceté. Cette pensée ne la réconforta pas pour autant. La naïve jeune femme était à bout.

   Recroquevillée sur son œuvre, le front contre la terre humide, elle ferma son visage dans l'espoir de retenir les larmes qui menaçaient de sortir à chaque caillou qui la heurtait. Impuissante et blessée face à tant de haine, elle était sur le point de lâcher prise quand un bruit de ferraille parvint à elle. Les projectiles cessèrent de l'atteindre puis un vieil homme cria, menaçant les enfants qui prirent immédiatement leurs jambes à leur cou.

   L'homme s'approcha de Blandine qui tremblait encore malgré elle. Elle reconnut la voix rassurante de celui qui l'avait conduite jusqu'à la ville un peu plus tôt dans la journée.

« Regardez qui voilà ! Ces petits-là sont de vrais diables. Rien de cassé ?

— Je- je vais bien, merci. »

   Ses yeux étaient encore humides et sa voix faible. L'agriculteur eut un sourire de compassion puis aida la pâtissière à se relever.

   Gaston s'arrêta soudainement dans sa course. Le chemin était brutalement coupé par un ruisseau et là, à ses pieds, un nombre important de pierres jonchait le sentier. C'était là. C'était certainement là que ces petits monstres l'avaient bloquée pour l'assaillir de coups de pierres et de bâtons. Mais alors, où était-elle passée ?

   L'inquiétude prit place dans l'esprit de Gaston. Et si elle était blessée ? Il fallait à tout prix qu'il la retrouve ! Si Tim l'avait trouvée, il l'avait sûrement ramenée quelque part au village. Le seul moyen de le savoir était de le lui demander en personne.

   Il fit donc demi-tour sans perdre de temps et partit vers les fermes. Il trouva son chemin avec aise, ayant l'habitude de venir aider les agriculteurs dans leurs récoltes.

   Quand il arriva dans la grange où travaillait Tim, celui-ci était absent.

« Je l'ai vu passé tout à l'heure dans son engin, l'informa un de ses collègues. Il était avec une petite qui avait l'air dans un sale état. Il ne devrait pas tarder à revenir. »

   Justement, son tracteur vert fit son entrée dans la grange et le vieil homme descendit tout de suite en voyant Gaston. Étonné, il se gratta l'arrière du crâne.

« Ça alors, Gaston ! Tu n'es pas parti pour la ville ?

— Je l'étais, mais j'ai sauté de ma voiture au dernier moment.

— Et cette petite qui te cherchait pour t'offrir un gâteau. Tu ne l'as pas vue ?

— Blandine ? Alors c'est vraiment elle ? J'ai voulu la rattraper mais je l'ai manquée à chaque fois.

— Blandine, oui, c'est ça, c'est elle.

— Où est-ce qu'elle est maintenant ? s'empressa-t-il de demander.

— Je l'ai ramenée à l'entrée du village ma foi. Si tu veux la rattraper, tu ferais mieux de te dépêcher. Je t'aurais bien conduit mais j'ai déjà pris du retard sur mon travail d'aujourd'hui et puis cet engin n'est plus tout jeune, dit-il en se tournant vers son petit tracteur, tu iras plus vite en courant. »

   Et sur ces bons conseils, Gaston remercia l'homme puis fila comme le vent.

« Bonne chance ! » s'écria Tim avant qu'il ne disparaisse au loin.

Le gâteau parfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant