Joker

1.1K 82 14
                                    

"La vie est joueuse, puisqu'elle sait compter les cartes."

Lâchant à la volée les cartes qu'elle tenait dans sa main, elle n'en conserva qu'une seule tandis que des gamins, des étoiles dans les yeux, tâchaient d'attraper les autres. Un sourire étira ses lèvres et elle demanda, d'une voix forte :

"Était-ce votre carte ?"

Le jeune homme, à qui elle faisait visiblement de l'effet, hocha la tête en apercevant l'as de coeur.
Elle sourit, sûre d'elle à la limite de l'arrogance. Elle fit mine de noter quelque chose au marqueur sur la carte, avec lenteur et nonchalance, et tendit l'as à l'homme qui écarquilla les yeux. La rousse s'écria alors :

"Merci à tous. Et salutations aux Quatre Cavaliers. Je suis Althaia."

Quand elle s'abaissa en une révérence, la jeune femme disparut sous les yeux ébahis du public.
Elle n'avait laissé que quelques mots sur la carte. Des mots. Pas les nombres que le jeune homme attendait. Tu veux mon numéro, mais là, je demande un joker.

La capuche de sa cape, rouge vif, n'était à aucun moment tombée sur ses épaules. Elle ne laissait jamais apercevoir son visage, de toute manière en partie caché par un masque. Le monde entier cherchait alors un petit chaperon rouge à la longue chevelure rousse et aux yeux qu'on percevait verts.

Lorsqu'elle retomba souplement dans les souterrains new-yorkais, bien sur ses pieds, elle sourit, et quitta les lieux en courant. Elle atteignit bien vite le passage secret qui l'amènerait chez elle, malgré une ou deux belles glissades. Chez elle. Une petite maison coincée entre deux autres, où hausser un peu la voix, en se cognant par exemple, se faisait entendre des voisins.

Une petite rue perdue au milieu de New York, d'une telle banalité que le quotidien aurait été déprimant et affligeant si elle n'avait pas été ce qu'elle était.
Mais heureusement, elle était Althaia.
Enfin c'était le nom qu'elle s'était donnée.
Cela revenait à peu près au même.

A la cave, une pièce étonnamment lumineuse grâce à une rangée de spots encastrés dans le plafond, elle laissa sa cape rouge sur une chaise. La maison était peu large, ainsi, il y avait peu de meubles dans les pièces, et tout était agencé au millimètre. Elle ferma le passage secret en tapant du talon sur une pierre qui était sortie du sol. Toute la cave était en pierre, mais elle avait tout nettoyé et repeint, en blanc, si bien qu'avec la lumière artificielle, il devenait bien plus agréable d'y passer du temps. Une table, en bois clair, et deux chaises, voilà ce qu'il y avait au centre de la pièce, et deux commodes de chaque côté, qui contenaient ses accessoires de magie. A côté de l'une des commodes se trouvait également un miroir.

Ce fut devant ce dernier qu'Althaia s'arrêta, observant son reflet, tout en retirant son attirail. Elle décrocha délicatement de sa gorge son modulateur de voix, qui ne la changeait pas totalement, seulement quelques paramètres, et le posa à sa droite sur la commode. Elle retira le morceau de tissu qui lui couvrait le nez et une partie de la bouche, avant d'ôter d'un geste fluide sa perruque rousse. Un sourire presque soulagé étira ses lèvres rouges lorsqu'elle vit ses mèches brunes tomber en une courte masse ondulée sur ses épaules. Elle redevenait elle-même, petit à petit. Elle se lava les mains, car un petit lavabo était l'élément qui terminait le décor de la pièce, et ôta avec délicatesse ses deux lentilles de contact qui paraient d'une belle teinte verte ses prunelles.

Pas qu'elle n'aimait pas ses yeux, non, mais plutôt qu'elle cachait son véritable profil pour conserver encore un peu plus l'anonymat face à l'Oeil. Elle jeta un coup d'oeil à la silhouette en X dans le miroir, tout en muscles, mais à la peau qui refusait de bronzer. Quand elle restait longtemps dehors, elle s'assombrissait parfois un peu, mais rien de vraiment notable. Elle ferma les yeux une seconde, cachant ses prunelles noisettes, et s'étira, avant de retrouver l'étage.

En remontant le minuscule escalier, elle se trouvait dans un salon, toujours aussi étroit, mais relativement long. La pièce était donc rectangulaire, et lumineuse, et comptait pour mobilier une télé écran plat, un poste de radio et un tourne disque ancien, un canapé en cuir sombre deux places, et une table basse en verre, aux pieds métalliques. Althaia posa d'ailleurs ses clés sur cette dernière, et se dirigea à l'opposé de l'endroit d'où elle venait, dans la cuisine qui lui faisait office de salle à manger, claire comme tout le reste de la maison. Elle s'approcha du plan de travail au revêtement sombre, le frôla du bout des doigts, évita souplement l'îlot central qui servait de table, et ouvrit la porte du frigo d'un geste des milliers de fois répété.
Elle attrapa un tupperwear, souleva le couvercle et le déposa dans le micro-ondes.

Althaia mit environ dix minutes à avaler la totalité de son repas. Un plat de pâtes bolognaises, une belle dose de haricots verts en conserve, et une pomme.
Elle allait vite. Trop vite, comme toujours. Elle attrapa sa veste en toile, car le printemps était encore frais, et sortit en passant en bandoulière sa sacoche. Les clés reprises sur la table, elle verrouilla les trois serrures, enclencha le système d'alarme, et se fondit dans la masse des passants new-yorkais.

Une direction bien précise en tête.
Central Park.
Elle savait que ce serait leur point de fuite.

"Mais dans ma manche se cache un cinquième as."

Ils sont peut-être les Quatre Cavaliers, mais je ne suis pas le Fou. Cette piètre Excuse. Je suis la seule carte qu'on n'utilise pas au Tarot. La seule carte qui n'existe pas dans ce jeu. Je suis Insaisissable, car pour l'Oeil, je n'existe pas.
Je suis le Joker.
Je suis Althaia.

Althaia | InsaisissablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant