Trois de carreau

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H E N L E Y

" Troisième coup "

La jeune femme était plongée dans ses pensées mais, l'oeil toujours alerte, elle observait en même temps qu'elle avançait son environnement proche. Un réflexe pour empêcher le détournement d'attention propre à la magie, qu'elle possédait encore, et sans doute définitivement, même si elle avait quitté l'Oeil.

Son sac à dos calé sur les épaules, elle avait pris le soin de dissimuler son téléphone, sa carte d'identité, et les papiers liés à Adeline dans des poches à double fond, inatteignables même pour le meilleur des pickpockets. Elle avait déjà eu quelques déconvenues depuis qu'elle s'était éloigné des Cavaliers et du Fou qui les menait.

La jeune femme poussa le petit portail qui séparait la route du perron de sa maison. Elle remarqua d'abord l'herbe légèrement foulée, et la trace de pas dans la petite allée boueuse. Une chaussure qui n'était pas à elle. Henley releva brusquement la tête et observa le jeune homme assis sur les marches.

Ce dernier arqua légèrement les sourcils, et s'esquissa du sourire en coin qu'Henley lui connaissait bien. Des cheveux en bataille et un beau visage qu'elle n'aurait espéré revoir qu'après qu'elle et Adeline n'aient achevé leur plan.
Le prénom s'échappa de sa bouche un peu contre son gré.

- Daniel ?

Le brun se releva et planta ses yeux dans ceux de Henley. Ils se fixèrent dans les yeux un moment. Le cerveau de la rouquine tournait à toute vitesse, tandis que le coeur du jeune homme accélérait un peu plus dans sa poitrine.

- Ça faisait un bail, souffla-t-il après quelques secondes.
- Qu'est ce que tu fais là ? Vous étiez sensés disparaître de ma vie. Tous.

La rousse insista fortement sur le dernier mot, même si elle était plus surprise que mécontente de revoir celui dont elle était tombée amoureuse par le passé. Il fallait bien qu'elle tienne son rôle jusqu'au bout. Si ce n'était pas pour elle, c'était au moins pour Adeline.

Atlas reçut le coup porté verbalement sans trop broncher. Il désigna la porte d'un bref geste du menton, avant d'ouvrir la bouche :

- On peut en parler à l'intérieur ?

Henley fronça quelques secondes les sourcils, et alla ouvrir la porte sans lui jeter un regard de plus. Il paraissait nerveux, le beau brun, malgré sa capacité naturelle à le cacher.

Elle posa son sac à l'intérieur avec nonchalance. Les lieux étaient impeccables, dans les tons bleu-gris et blanc, et le tout rendait très clair, malgré les espaces plutôt resserrés. Deux tasses de café traînaient néanmoins sur la table à manger, à moitié vides seulement, et le canapé lit laissait voir que la nuit avait été agitée.

Le jeune homme sentit son coeur et son esprit se fermer. Il lança un regard de biais à Henley, n'osant poser la question qui voulait s'échapper de ses lèvres, et finit par reprendre son air confiant. Le petit manège n'avait pas échappé à la rouquine qui sourit, un peu contrariée.

- Assieds toi, proposa-t-elle en désignant une chaise.

Henley se plaça en face de lui, sur une deuxième chaise. D'un côté et de l'autre de la table, elle se sentait plus en sécurité.

- Explique moi, maintenant, Atlas. Je n'attendrais pas plus longtemps.
- Il y a un gros problème, avec l'Oeil.
- Et alors ? C'est pas la première fois, vous êtes quatre... cinq en comptant Dylan, vous vous en sortirez. Et puis tu sais aussi bien que moi que l'Oeil obtient toujours ce qu'il veut. C'est bien pour ça que je ne voulais plus en entendre parler d'ailleurs.
- C'est sérieux, Henley, bien plus sérieux que ça ne l'a jamais été. On ne peut pas s'en sortir. C'est Dylan qui m'envoie. Je ne voulais pas venir mais...
- Mais tu l'as fait malgré tout, le coupa-t-elle. Depuis quand est-ce que tu suis les ordres, Daniel ?
- Mais je n'avais pas le choix, continua-t-il sans relever. C'est toute la magie, tout ce que nous avons construit, tous les escrocs que nous avons fait tomber, tout ça va s'écrouler si on ne fait rien.
- Qu'est ce qui peut vous mettre dans tous vos états ?

Elle le fixa quelques secondes, faisant mine de réfléchir, avant d'écarquiller les yeux.

- Attends attends attends. Ne me dis pas que c'est la magicienne de boulevard ? Celle qui se fait appeler Althaia ? C'est rien que du blabla, tout ça...
- C'est bien plus important que ce qu'on croyait. Il y a une histoire derrière tout ça. Peut-être de la vengeance, et là, ça rend le tout très périlleux. On a besoin de tous les dons. Y compris des tiens, Henley.
- Je ne veux plus tremper là dedans, Daniel, et tu le sais.
- Mais pourquoi ? T'es partie du jour au lendemain, tu n'as parlé qu'à Dylan, et pas assez pour qu'on connaisse la raison exacte de ton départ. Tu ne m'as même pas dit au revoir. Je pensais qu'il y avait quelque chose d'un minimum important entre nous deux.

Henley hocha la tête. Elle comprenait parfaitement ce qui avait poussé Daniel à accepter la mission confiée par Dylan, celle de la ramener. C'était beaucoup plus personnel que ce qu'il voulait avouer.

- Et bien dis le.
- Hein ?
- Dis le. Pourquoi tu es vraiment là. Pourquoi Dylan t'a envoyé toi, et ne s'est pas déplacé lui-même, ou envoyer n'importe qui d'autre.
- Je... Il pense que je suis le seul à être en capacité de te convaincre, hésita le jeune homme.

Henley se leva, fit le tour de la table, et s'accroupit un peu, pour se retrouver les yeux dans les yeux avec le Cavalier. Elle ouvrit à nouveau la bouche.

- Dis le.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise, bon sang ? Que je n'ai pas digéré ton départ ? Que j'ai besoin de sentir que je peux contrôler les évènements alors que tout m'échappe ? Que Jack flippe, et qu'on flippe tous à cause de cette magicienne qui échappe à tous nos radars ? Oui, elle nous échappe. On ne sait rien d'elle. On ne connait que son apparence en tant qu'Althaia, et rien ne matche avec nos recherches. On ne sait pas pourquoi elle nous en veut, on ne sait pas qui elle est. On est cinq, on est des milliers, on ne sait même pas combien on est exactement au sein de l'Oeil, mais on ne peut pas agir. On a besoin de toi. J'ai besoin de toi. Et tu sais très bien pourquoi.

A quelques centimètres de son visage, la rousse souffla, encore plus bas.

- Dis le.
- J'ai encore des sentiments pour toi.

Henley sourit, et leurs lèvres entrèrent en contact. Le baiser fut presque violent, et la rousse se décolla, le visage empreint d'une fausse tristesse.

- Je suis désolée. J'aurais pas du faire ça. J'ai quelqu'un dans ma vie et elle est merveilleuse. Je ne voudrais pas tout gâcher...

Atlas s'apprêtait à répondre, de la surprise nettement visible sur ses traits à la mention du pronom féminin, mais son téléphone sonna. Il se leva de la chaise et observa l'écran. Le contact s'afficha. Fool.

"Avance un Cavalier."

Ce n'est pas aussi facile que ce que je croyais. Mais ça va le faire, parce que moi aussi, je sais tenir mon rôle. J'ai été une Cavalière après tout. Il va falloir la jouer serrée. Mais je suis prête. Je l'ai toujours été.
Je suis Henley. La grande prêtresse. Et ce n'est que le début.

Althaia | InsaisissablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant