Dix de coeur

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"If I told you, this was only gonna hurt..."

Adeline ôta sa veste, et la posa délicatement sur une chaise. Elle souffla, alla rapidement enlever sa robe et enfiler un jean, avant de filer à la cave. Presque vingt-et-une heure... Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas discuté pendant une telle durée avec des quasi-inconnus. Enfin, pour Jack, c'était faux. Il avait beau avoir grandi, mûri, ou quoiqu'elle ait pu lui dire, elle le connaissait encore suffisamment bien.
Suffisamment pour le berner, du moins.

Elle se remit à l'ordinateur, et finit par réussir à faire sauter le codage. Cela lui avait pris des heures avant la sortie de l'après-midi, et quand elle jeta un coup d'oeil à l'heure en bas de son écran, elle vit qu'il était cinq heures du matin. Un bâillement lui échappa. Ce ne fut qu'à ce moment là qu'Althaia percuta à quel point la journée l'avait fatiguée.

Elle monta à l'étage, se faufilant comme à son habitude entre les meubles et les murs, et s'écroula presque immédiatement dans son lit, dans lequel elle dormit de longues heures.

"Adeline ? Adeline, lève-toi !"

On la secouait. Elle se leva brusquement et se plaça en position de défense, prête à donner le premier coup. Le poing droit parti tout seul. Une main, solide, l'arrêta.

"Damien ? Qu'est-ce que...
- Chut, ma belle, tout va bien.
- Ne m'appelle pas comme ça ! Et qu'est-ce que tu fais chez moi ? En plein milieu de la nuit ? Comment t'es entré ?
- J'ai toujours la clé, tu te souviens, Adeline ? Et puis, il y a urgence, il faut que je te parle. Absolument. Et, en plus, tu devais faire un cauchemar."

Adeline souffla bruyamment, et se leva, tout de même inquiète et vaguement dans le coaltar. Quelque chose n'allait pas. Elle le sentait. Elle descendit dans le salon où Damien était déjà installé, assis dans le canapé.
Elle s'assit à côté de lui, et le regarda.

"Raconte moi.
- Tu te trompes, Adeline. Tu ne pourras pas toujours jouer ainsi. Tu es en danger.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?
- Tu es en danger. Un danger pour toi-même. T-t-t-o-o-i-i-i m-mê-ê-ême."

Il buguait. Littéralement. On aurait dit un ordinateur qui marchait mal. Adeline le fixait, ressentant quelque chose qu'elle mit du temps à reconnaître, et pour cause, cela faisait bien longtemps qu'elle ne l'avait pas ressenti.
La peur.

"Ne laisse pas ton coeur s'emp-p-a-a-a-r-r-e-e-er de ce que tu-u-u-u e-e-e-es.
- Sors de chez moi ! Laisse-moi !"

Elle hurla.

Adeline ouvrit brutalement les yeux. Le réveil affichait treize heures douze. Elle mit presqu'une minute à reprendre le contrôle de son souffle, et cinq à apaiser les battements effrénés de son coeur. Qu'est-ce que c'était que ce cauchemar, bon dieu ? Elle n'avait jamais rien rêvé de tel, et ça n'avait strictement aucun sens.
Et pourquoi lui ?

"Qu'est-ce que t'as voulu me dire, Damien ?"

Adeline se leva brusquement, secoua la tête et rabattit ses cheveux châtains en arrière d'un geste vif de la main. Elle attrapa simplement un tee-shirt et un jean propres dans son placard, et des sous-vêtements. Une douche lui ferait le plus grand bien.

Elle se déshabilla rapidement après s'être glissée dans la salle de bain, ou plutôt salle de douche, et entra rapidement dans la cabine.
La jeune femme mit un temps étonnamment long, en comparaison avec ses habitudes, à s'acclimater à la température de l'eau. Elle la garda volontairement froide, histoire de se réveiller pleinement et de se remettre les idées en place.

Elle devait regarder les fichiers décodés, aujourd'hui, parce que les informations qu'ils contenaient étaient précieuses.
Enfin, la journée, avec le temps qu'elle avait passé sur ce codage dans la nuit, il ne lui restait pour dire vrai que l'après-midi. Mais elle se débrouillerait. Comme toujours.

De plus, si elle voulait réfléchir sereinement à ce rêve-cauchemar, elle devait absolument se permettre une sortie en tant qu'Althaia.

Elle descendit d'un étage, avala des tartines de pain grillé couvertes de confiture de fraise, et descendit d'un étage de plus. Adeline récupéra tout son équipement, repassa ses lentilles, sa cape et sa perruque, et se glissa dans les souterrains de New York. La jeune brune reprit brièvement sa carte avant de décider rapidement de l'endroit où elle allait faire sa prochaine démonstration.

Ce fut vite décidé. Une rue huppée de Manhattan. Un plateau tournant donnait sur les souterrains. Elle chercha rapidement une petite boule grise, qui, d'une pression, exploserait en fumée au contact de l'air. Arrivée en dessous de l'espèce de trappe, elle la fit pivoter et lança la bille après l'avoir pressée entre ses doigts. Un nuage de fumée se déclencha à l'extérieur sur le trottoir, et la jeune femme, d'une impulsion forte sur le barreau de l'échelle qu'elle avait grimpée, se retrouva elle aussi dehors.

Lorsque la fumée se dissipa elle put observer, le visage masqué derrière sa capuche rouge, le visage surpris des passants. Ils s'arrêtèrent presque tous pour l'observer, et une petite fille tira sur le bras de sa mère. Elle n'entendit pas ce qu'elle dit mais supposa que ça avait un rapport avec sa tenue.
D'une voix claire, que son modificateur de voix avait légèrement changée et amplifiée, elle lança à la foule :

"Bonjour à tous, et pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Althaia !"

Des applaudissements et des murmures montèrent de la foule, et quelques jeunes, un peu moins chics que le reste de la population du quartier, commencèrent à filmer. Elle sortit de sa manche un jeu de tarot, et fit s'approcher la petite fille d'un peu plus tôt sous le regard méfiant de sa mère.

"Dis-moi ma jolie, tu crois à la magie ?
- Je... oui."

Elle devait avoir dix ans, pas plus.

"Tu peux tirer une carte ?"

La fillette le fit.

"Montre là à tous ces gens."

Elle montra la carte au public en prenant garde à ce que la magicienne ne la voit pas.

"Remets la dans le paquet, maintenant."

La petite fille le fit, et Althaia mélangea le paquet. Elle en sortit, elle le savait, l'Excuse.

"Était-ce ta carte ?"

La fillette parut perplexe.

"Non..."

La jeune femme sourit jusqu'aux dents, et lança un regard faussement surpris. Elle lança le jeu en l'air et en profitant pour lancer une nouvelle boule de fumée. Lorsqu'elle disparut sur la plaque, elle lança une dernière phrase sous les acclamations des passants :

"Alors c'est celle là. Salutations aux Quatre Cavaliers. Je suis Althaia."

Elle retomba dans les égouts, referma le passage, et sourit. Elle rangea son jeu, savant ce qu'elle avait laissé au dessus d'elle.
La carte tirée par la jeune fille.

Cette dernière, le regard ébahi, comme le reste des passants, se pencha pour ramasser la carte. Elle ouvrit encore plus grand les yeux. Un dix de coeur, sa carte, signée. Quelques mots seulement, inscrits d'une belle écriture.

Crois-y toujours. Seule la magie est vraie.

La gamine serra la carte entre ses doigts, esquissant un grand sourire.

Althaia, elle, était retournée chez elle. Même rituel qu'habituellement, même changement de tenue, et cette fois, elle se plaça devant son ordinateur et consulta les informations recueillies dans la puce, qu'elle avait mis si longtemps à décoder.
C'était une véritable mine d'or pour elle.
Soudain, elle lâcha sa souris en fonçant les sourcils. Ça, les Cavaliers ne devaient sûrement pas le savoir.

Ça devenait intéressant.

"If I warned you, that the fire's gonna burn... "

Il m'aura fallu du temps pour obtenir ces informations. Elles seront capitales dans mon oeuvre contre l'Oeil. Une belle bande d'amateurs, ils ne se sont méfiés de moi que le temps d'un après-midi. Ils doivent toujours courir, sans mauvais jeu de mot, après leur joggeur, à l'heure qu'il est. Mais je ne suis pas étonnée. Après tout,
Je suis Althaia.

Althaia | InsaisissablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant