Visite inopinée

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Minuit passé, elle entend la sonnette de son appartement retentir. Une seule personne se permettrait ce genre de visite impromptue. La seule personne qui arrive à faire battre son cœur de haine et de désir à la même seconde Elle ne peut s'empêcher de souhaiter avoir raison. Un coup d'œil dans le miroir de sa chambre lui fait frôler la crise cardiaque. Vous avez déjà vu un zombie bronzé, décoiffé, avec du chocolat encore plein la bouche (et autour) , un sourcil épilé et pas l'autre, en training XXL, transpirant légèrement suite à des chorégraphies improvisées  dans sa chambre... ? Non. Dans ce cas, imaginez n'importe laquelle de vos copines trentenaires et célibataires, chez elle, en mode « je n'attends personne ». C'est elle. Cette grande adolescente à ces heures intimes de solitaire. Elle hésite à décrocher le parlophone puis se souvient de sa voiture parfaitement garée devant l'entrée de l'immeuble. Grillée.

   -     Oui ?

   -     C'est moi.

   -     Allôô.. ?? (le fameux allô bien appuyé comme si elle ne reconnaissait pas cette voix)

   -     C'est moi. Ouvre.

   -     Qu'est-ce que tu veux ?

   -     Tu n'es pas seule ?

   -     Si.

   -     Ouvre-moi...

C'était bien lui. La fameuse relation longue et malsaine, faite de passion et de haine. L'homme qui avait à jamais marqué son cœur.

Elle balaye l'appartement d'un regard catastrophé mais cède et le laisse monter. Telle un pilote de Formule 1, elle ramasse ses piles de vêtements, planque ce qu'elle peut dans les placards, en dessous du lit. Dans l'intervalle, défait son chignon qui ne ressemble plus à rien, se débarrasse de son vieux sweat, enfile un soutien gorge et un tee cool mais sexy, se passe de l'eau gelée sur le visage, se pince les joues.  Elle secoue d'un grand geste la couette de son lit. Pas le temps pour une retouche make up, elle entend toquer à sa porte. Une touche de son parfum préféré et elle se trouve devant ce sourire qu'elle connaît par cœur. Ces fossettes qui n'ont pas bougées. Et ce regard rieur qui la charme, encore à cette seconde. Même si elle le déteste d'avoir débarqué sans prévenir, après des mois d'absence.

   -     Salut ! lui lance-t-il.

   -     Salut...

   -     Ca roule ?

   -     On fait aller. Et toi ?

   -     Comme d'hab ! T'es bronzée. Tu reviens de vacances ?

   -     Bien vu Sherlock !...

Il est là. Comme s'ils s'étaient quittés la semaine passée. Comme si de rien était. Il entre et se dirige droit vers la chambre. Elle referme la porte et le suit, sans un mot. Il enlève sa veste et se déchausse avant de sauter sur le lit. Elle reste plantée là à l'entrée de la chambre. Elle sait pourquoi il est là. Elle n'est pas d'accord. Bien sûr que non. Elle s'en veut déjà. Evidemment. Se dirigeant vers l'ordinateur, elle feint l'indifférence, diminue la musique, surfe sur le web, et rallume son joint. Il croit quoi. Qu'elle va probablement lui grimper dessus et lui dire combien il avait manqué à sa chair. Il peut se brosser. Elle décide de résister. Tant qu'elle peut du moins...

-       Alors t'es partie où et avec qui ?

-       Au soleil avec des potes.

-       Cool.

-       Ouais ca l'était jusqu'au retour ici. Et toi quoi de neuf ?

-       Rien de spécial. La routine. On boulotte. Je t'ai manqué ?

Elle a bien entendu... ?  Mais est-elle vraiment étonnée au fond ? C'est juste là sa marque de fabrique. Son accroche. Sa façon de revenir. Parce qu'il est incapable de discuter. Incapable de communiquer autrement que par des boutades. Il sait qu'en lui décrochant un sourire, elle sera à nouveau "elle" avec lui. Elle, comme à l'époque de leur insouciance. L'époque de leur complicité inégalable, des fous rires en cascade. Oui, cette époque lui manque à elle aussi. Mais il ne peut pas revenir impunément quand il veut sous prétexte qu'il aime ce qu'ils partagent alors qu'il est incapable de grandir.

Elle a décidé, il y a plusieurs mois, de prendre un tournant dans sa vie. Elle a du faire des choix difficiles à tous les niveaux, et il en fait partie. Elle recommença alors sa vie en différée. Fuyant le jour et la réalité d'un quotidien dont elle ne veut plus. Se protégeant dans son sommeil, attendant que le soleil se couche. Elle aurait voulu avoir un endroit où aller. Où se cacher. Où elle ne devrait plus chercher des excuses à son absence. Elle coupait même la sonnerie de son téléphone. Sa façon à elle de lutter contre l'envie de l'appeler. De l'entendre. Tenter d'oublier son numéro. Mais le manque était trop présent, elle l'a cherché par moment. Elle est passée devant chez lui. Et elle l'a même appelé en cachant son numéro juste pour entendre sa voix.

Oui c'est vrai, il lui a manqué. Mais elle n'a jamais prétendu que tout serait simple ni que son cœur s'accorderait rapidement avec son esprit. Ils sont d'ailleurs toujours en guerre... Parce que quoiqu'elle décide pour son bien-être, ses fichues émotions viennent toujours prendre le dessus et tout bousculer.  Elle ne lui avait rien demandé. Enfin si. Une seule chose. La laisser tranquille. Et c'est la seule chose pour laquelle il n'est pas doué. Elle a du signer un pacte avec le diable dans une autre vie pour être aussi nulle dans sa vie sentimentale. Elle est dévouée à l'amour. L'amour satyrique, malicieux, sauvage, capricieux. Celui qui s'enflamme jusqu'à vous brûler l'âme.

   -     Non, répondit-elle sans le regarder.

   -     Sympa !

   -     Comme si moi je t'avais manqué !

   -     Peut-être...

DéchiréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant