Par procuration

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Après cet événement douloureux et les mois de silence qui ont suivi, ils ont donc continué cette relation. C'est devenu leur normalité pendant plusieurs années. Son cœur bat alors toujours aussi fort pour cet homme qui ne cesse de jongler entre mystification et sincérité. Elle se donne sans compter, et devient celle qui simplifie la relation même si elle doit en souffrir. Elle finit par devenir spectatrice de la vie qu'il mène au final avec cette autre fille qui a pris sa place. Entre déceptions professionnelles et sentimentales, elle vit leurs crises – pendant lesquelles égoïstement elle revit, les cris, les insultes. Elle vit même en direct avec lui sa fausse tentative de suicide. Comme si elle assistait à un scénario déjà joué auparavant. Elle a certes pris la place de l'amante. Mais cette autre fille a pris sa place à elle. Celle d'une femme amoureusement perdue d'un homme mystérieux qui n'est pas capable de s'ancrer. Elle se surprit à la plaindre un instant. Avant que l'indifférence ne reprenne le dessus. Puisqu'à côté de cela, cette femme sera devenue la sienne. Et rien que pour cela, elle n'arrivait à éprouver de la compassion. Elle devint alors aussi spectatrice de leurs fiançailles, leurs voyages, leur mariage, la lune de miel...la naissance de leur fille. Tout cela l'a en fait détruit beaucoup plus qu'elle ne le s'était avouée. Il lui a fallu attendre qu'il soit papa pour se rendre compte de sa douleur.


- A quoi tu penses ?

- A nous.

- Hmmm ...je peux t'aider à te rappeler si tu veux, lui dit-il en se penchant vers elle.

- A nous, avant ton mariage, précisa-t-elle un peu sèchement.

- Je vois que tu as toujours l'art de détendre l'atmosphère...


Détendre l'atmosphère. Et puis quoi encore ? Elle se dit qu'elle aurait pu gérer tout cela si elle avait été juste son amie parce que c'est ce que les amis font. Partager le bon et le mauvais. Mais elle n'avait pas choisi ce rôle-là, parce qu'elle avait préféré cette place douloureuse plutôt que rien du tout. Parce qu'elle l'aime. Elle l'aime à lui donner sa vie. Il lui aura pris cet amour incommensurable qu'on ne donne qu'une fois dans sa vie. Certes l'être humain est capable d'aimer à plusieurs reprises et de différentes façons. Mais cet amour-là...il est unique. Sans doute pas raisonnable. Trop passionné. Il vous fait vivre tant d'émotions simultanément ! Elle sait qu'il restera toujours le père de son premier enfant. Son premier amour. Mais aussi son premier véritable échec et sa plus grande déception.

Elle devait avancer sans lui. Au summum de ses tourments il y a quelques mois elle a donc tenté de mettre fin à son instable stabilité. Pour la première fois, elle a trouvé le courage qui lui manquait tout ce temps. Pour la première fois c'est elle qui l'a ébranlé. C'est lui qui a éprouvé de la tristesse. Perturbant pour elle. Car durant ces douze années, elle ne sait même pas s'il l'a vraiment aimée. C'est peut-être cela le plus dur. Ne pas savoir ce que l'on a été pour l'autre. Elle pourrait au moins se dire qu'elle n'a pas tout perdu, qu'elle n'a pas bêtement gâché tout ce temps. Avant c'était plus facile, c'est lui qui finissait étrangement par la consoler. Ce qui la rassurait parce que s'il était là, c'est que cela signifiait quelque chose au fond.

Elle s'imagine que chaque nouveau réveil est un peu moins difficile, et que chaque jour est un pansement de plus. Elle se persuade, se laisse vivre, avance tant qu'elle peu, à son rythme, ne voulant pas trop bousculer ces vieilles blessures. Elle prend soin de sourire parce que, paraît-il, cela amène à sourire vraiment... Un sourire franc, sincère, véritablement heureux et débordant d'envies. Elle laisse la porte entrouverte à certains fantômes, rongée de culpabilité pour certains actes du passé. Elle se persuade que c'est un peu sa pénitence, comme un acte masochiste au fond. Et, se mentant à elle-même, parce qu'au fond du fond, elle en éprouve un besoin inexplicable...


- Je suis venu pour passer un bon moment avec toi, pas pour déprimer.

- C'est ce que tu dis toujours. Excuse moi de ne pas être de bonne composition à chacune de tes visites. Surtout quand elles ne sont pas prévues. Encore moins après autant de temps...

- Qu'est ce que tu as ?

- Rien. Ca me fait chier c'est tout. On est même pas capable de se tenir à nos décisions. Tu fais toujours le gars qui en a rien à foutre et qui peut tourner la page en une seconde mais au final tu es ici.

- Je ne passais pas loin et j'ai eu envie de m'arrêter. Arrête de croire que je suis sans cœur. Je pense encore à toi parfois.

- Bien sûr...

- Tu veux que je m'en aille ?


Voilà ! C'est à elle de décider de la suite de la soirée. Elle n'a rien demandé à personne, elle était tranquillement posée chez elle, et il a fallu qu'il chamboule tout, comme d'habitude ! Elle sait pertinemment ce qu'elle doit lui répondre. Par contre, elle est moins sûre d'y arriver. Elle se mord la lèvre, elle n'ose même pas soutenir son regard...

DéchiréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant