Leur histoire

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Ils ont rompu pour la première fois, il y a à peu près douze ans, mais ne sachant se quitter, avaient repris une histoire disons plus officieuse. Un peu trop de son côté à lui... Quelques mois avant cette visite impromptue, elle avait décidé de tout arrêter, de le quitter définitivement. Du moins c'est ce qu'elle s'était imaginée après plusieurs allers-retours dans cette relation tordue. Il n'était plus là et pourtant tant de questions la torturaient encore. Aucune rupture n'est évidente. Qu'elles soient officieuses ou officielles, elles font mal. C'est dur de finir par détester celui qui vous manque. De le détester pour avoir cette vie dont vous rêviez et dont il ne voulait pas. C'est dur de penser que vous ne manquez peut-être pas à cette personne... Elle n'avait alors pas seulement perdu celui qu'elle croyait être l'homme de sa vie. Il était tellement plus. Son meilleur ami, son confident, celui devant qui elle pouvait pleurer. Des bras réconfortant. Un sourire. Une complicité inébranlable. Malgré toutes les autres. Malgré les mensonges, les trahisons, les mots durs, les coups bas, les coups tout court. Malgré l'échec de leur relation, une affection certaine les reliait. Une tendresse de doux moments partagés quand l'insouciance les dominait.

A l'époque, elle s'était laissée convaincre que cette insouciance pouvait la dominer toute sa vie. Suite à cette première rupture, elle s'est accrochée longtemps non pas à l'espoir qu'il lui revienne un jour mais à l'espoir qu'il lui laisse à jamais cette place particulière dans son cœur et dans sa vie. Elle a cru désespérément qu'elle pouvait s'en sortir sans écorchure. Parce qu'elle avait tellement besoin de lui. Il a été ce pilier quand sa vie a basculé. Il ne l'a jamais abandonnée. Même quand elle est devenue une autre à force de chercher sa place dans sa propre famille. Elle s'est oubliée à vouloir s'ancrer chez d'autres. Personne ne pouvait voir qui elle était alors. Personne ne pouvait voir les larmes derrière ces sourires. Personne sauf lui. Il savait la bousculer, il savait à quel point elle l'aimait aussi. Il l'a probablement sauvée. Juste avant de participer à sa chute.

Aujourd'hui elle doit faire face aux échecs de sa vie. Ils ne sont sans doute pas nombreux. A son âge. Dans son milieu. Comment même oser se lamenter pensa-t-elle. Pourtant les douleurs sont là, les nuits d'insomnie aussi. Et ces larmes qui n'en finissent plus. Elle ne veut pas se plaindre. Mais elle ne peut pas dire qu'elle s'en soit sortie indemne. Après son naufrage il y a quelques années, elle était persuadée d'avoir subi le pire. La chair de sa chair lui avait été retirée. Avec le recul, elle se dit que c'était juste un retour à la liberté pour lui. Et elle n'a rien vu venir. Ni cette deuxième rupture, ni les mensonges, ni les manipulations. Elle a sombré tellement fort dans les remords, la culpabilité et l'amour, qu'elle a voulu dormir et ne plus se réveiller. Encore un autre épisode raté de sa vie. Elle voulait tellement se sentir plus légère. Enlever ce poids qui l'empêchait de trouver l'air qui lui manquait non pas à chaque jour qui passe, mais à chaque heure. Trouver une échappatoire. Elle s'imaginait ne manquer à personne. L'idée même était déjà tellement délicieuse. Tellement apaisante. Un essai infructueux qui lui avait valu des dégâts physiques, une certaine inertie, et un cœur meurtri et vidé d'amour. Mais la pire des punitions allait arrivée. Sa porte de sortie à lui. Son excuse à une absence prolongée. Une non-acceptation de sa souffrance et du chemin qu'elle avait alors emprunté. Tellement facile... Elle se souvient encore de ses paroles :

- Je peux passer au-dessus de beaucoup de choses mais sache que ça, ce que tu as fait, je ne te le pardonnerai jamais. Dans ma religion, le suicide est interdit, c'est un péché. Ne m'entraîne pas dans tes faiblesses, tu as fait ça toute seule comme une grande. Bien. Continue toute seule. Ne me demande plus rien, ne me parle plus, ne m'appelle plus !

- Que j'ai voulu mettre fin à ma vie te met hors de toi, comme si j'étais une lâche, une moins que rien à qui tu ne voulais plus adresser la parole. Mais tuer ton enfant qui grandissait en moi, ça par contre ça ne te dérange pas toi et ta religion !? Non bien sûr, la première chose que tu m'aies dit le lendemain de l'intervention c'est que tout cela était un signe de Dieu, et qu'il fallait qu'on arrête tout. La belle affaire... Tes pseudo principes de merde tu peux bien te les garder. Va sauter ta nouvelle pute sans remords !

Une douleur de plus au tableau, après tout elle n'était plus à ça près. Comment pouvait- il lui reprocher d'avoir essayé de disparaître à jamais de sa vie de la sorte, lui qui n'avait pas sourcillé à la blesser jusque dans son sang ? Il n'y avait pas de demi-mesure dans son comportement. C'était tout lui. Impulsif. En amour comme en mensonge. En tendresse comme en trahison. Le bluff est sa plus grande spécialité.

Malgré le temps, son absence fut plus douloureuse pour elle qu'elle ne l'avait imaginé. Elle flancha évidemment. Sa douleur était trop grande pour perdre en même temps deux êtres qu'elle aimait. C'est là qu'est sa faute sans nul doute. Cette reprise de contact comme une bouée dans l'océan. Toutes ces nuits à vouloir oublier, non pas dans un verre mais dans plus d'une bouteille. Pour que finalement elle ait eu ce courage de l'affronter. Non. De s'effondrer dans ses bras. Ceux qu'elle avait toujours connus. Tendres. Mais pas trop... Elle savait que sa place ne serait plus jamais la même. Elle n'était plus la femme trompée. Elle était devenue l'amante. Celle qui garde l'espoir d'un retour. L'espoir d'un amour.

DéchiréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant