Colonisation

Transition

Mon monde venait de s'écrouler. Ma mère allait devoir se remarier. Les gens qui dirigeaient le pays estimaient qu'une femme ne pouvait pas vivre seule trop longtemps. On lui avait donc désigné un mari. Elle ne l'avait pas encore rencontré, mais elle voulait me l'annoncer. Je compris que je posais problème. Comment allait-elle pouvoir expliquer ma présence si elle se remariait ? Aux yeux de la loi, elle était une veuve célibataire et sans enfant. Mais moi j'étais là, le fruit du péché.

—Je connais quelqu'un au ministère, qui peut...créer des papiers en échange d'argent.

—Que pourrait-il faire ? demandai-je innocemment.

Ma mère n'aimait pas que je l'interrompe. Mais tant pis ! J'étais trop inquiète pour me taire. Elle me regarda fixement un moment, pour me faire comprendre que je n'avais pas à prendre la parole comme ça.

—Il peut te créer une identité. Tu serais ma nièce, la fille de ma défunte sur imaginaire. C'est risqué, mais c'est jouable. Tu serais orpheline, et c'est à moi que l'on t'aurait confiée. Le point positif, poursuivit-elle, c'est que tu pourrais enfin sortir, aller à l'école. Tu aurais enfin une existence.

Je n'avais pas pensé à ça. Tout à coup, je compris toutes les possibilités qui s'offraient à moi. J'existerai !

—Quand ce mariage doit-il avoir lieu ? me risquai-je à demander.

—Ce n'est pas encore officiel, mais peut-être d'ici quelques mois ou semaines. Il faudra que l'on orchestre ton arrivée rapidement, et que je te déclare.

—Que va-t-il se passer si on découvre la vérité ?

Ma mère se tut. Je détestais quand elle faisait ça.

Muette !

Muette !

Muette !

Je ne savais jamais ce qu'elle pouvait penser, ou ressentir. J'attendis une réponse, mais elle ne vint jamais. À la place, elle m'intima l'ordre d'aller me coucher.

Toute la nuit, je rêvassai. Il était impossible pour moi de trouver le sommeil. Je me demandais comment allait être notre nouvelle vie, MA nouvelle vie.

*****

Les nouvelles du ministère arrivèrent plus tôt que prévu. Un de ses hommes vint frapper à la porte au bout de deux semaines.

Ma mère m'avait rapidement cachée, et priée de ne faire aucun bruit. J'étais donc enfermée dans le placard de ma chambre, et j'attendais. Tout ce que je pouvais entendre, c'étaient des voix étouffées. Ça me sembla durer une éternité.

À un moment donné, les voix se turent. Je n'entendis plus rien. Ma mère vint quelques minutes plus tard m'ouvrir la porte. Elle avait le visage un peu rouge.

—Tu peux sortir, me dit-elle simplement.

J'étais terriblement curieuse. Je voulais savoir ! Mais elle ne disait rien. Son visage était dur et fermé. Je ne devais rien lui demander. On prépara le repas comme d'habitude, puis on s'installa au salon.

Je lisais, sans vraiment lire. Mon cerveau était toujours en ébullition, et je me posais mille questions. Qui était cette voix ? Que voulait-elle ? Pourquoi est-ce quelle ne me disait rien ? J'allais bientôt avoir douze ans, et elle ne me parlait pas. Je n'étais pas une enfant, je ne me considérais pas comme tel. J'étais comme une grande personne.

—Ça va se passer demain, m'informa-t-elle soudainement.

Je sortis de ma rêverie.

—Tout est prêt. J'ai les papiers officiels. Tu dois arriver par la gare demain à 10 heures précises. Une personne a été payée pour te faire descendre du train, à la vue de tous. Tu auras une valise avec toi, que je vais préparer. À partir de là, tu seras officiellement ma nièce, ce qui veut dire que tu ne m'appelleras plus maman. Je serai ta tante désormais.