À l'École du gouvernement

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Le reste de mon trajet s'était déroulé sans encombre. J'avais encore dans le nez l'odeur suave et délicatement sucrée des roses fraîchement coupées qui emplissaient les étals des fleuristes du marché, des pivoines, coquelicots, et autres jasmins. Mon nez n'arrivait cependant pas à se débarrasser de cette odeur de chou. Pourtant, je ne l'avais pas sentie depuis ce fameux jour. Ce fameux jour de ma naissance. D'abord nauséabonde, cette odeur m'avait inspiré la peur et le dégoût. Et puis maintenant, elle m'inspirait ce garçon qui m'avait sauvée.

Je hâtai un peu le pas alors que le carillon de la sonnerie venait de retentir. Un tintement léger et clair, mais tout de même assez fort pour nous pousser à respecter les horaires.

Une nuée d'élèves en uniforme peuplait déjà le grand jardin qui nous servait de lieu de rencontre. C'était le seul moment où nous pouvions tous nous mélanger. J'imagine qu'aménager une entrée par sexe, âge et niveau, aurait été beaucoup trop contraignant.

La bâtisse était immense. Je pense que pas moins de mille élèves de tout âge, sexes, couleurs de peau, origines sociales, devaient se mélanger dans cet immense jardin dont l'entrée était farouchement gardée par une haute grille en fer forgé, qu'il était impossible d'escalader, avais-je entendu dire par les élèves de dernière année. Ils avaient sûrement déjà dû tenter l'escalade, tentative qui s'était révélée vaine.

Le jardin était propice à la détente. Des arbres immenses fournissaient de l'ombre à l'heure du déjeuner. Les massifs de fleurs ornaient le jardin d'autant de couleurs que de parfums subtils. Les oiseaux se promenaient librement, essayant de becqueter quelques miettes qui pouvaient tomber de la bouche d'un imprudent, entre deux piaillements. On aurait pu croire que ce lieu était un vrai petit paradis.

Ici, pas de distinction entre les élèves. L'uniforme y veille. Pas de bijoux, ni de signes distinctifs, si ce n'est le petit écusson apposé sur nos poitrines qui indique notre grade d'études.

L'École du gouvernement a comme idéal de forger les meilleurs serviteurs possibles du régime des Terriens, dont une des devises est l'uniformité. Il ne fallait surtout pas que l'on se distingue en quoi que ce soit. Comme ils le disaient si bien, le fils de l'ambassadeur et le fils de l'éboueur, devaient pouvoir se retrouver assis côte à côte. Pas de distinction à l'école, surtout pas !

Ça y est ! C'est le signal ! Nous nous rangeons bien sagement sans un mot. Car oui, au son de ce tintement, de ces trois coups sourds comme de grands coups frappés sur un gong, toutes les voix doivent se taire. Les têtes se baissent en signe de respect. Pour moi, il s'agit plus d'obéissance que de respect. Le respect n'a pas besoin d'être contraint.

Mais je m'incline. Je baisse ma tête.

Filles et garçons sont maintenant farouchement séparés en autant de lignes que de grades. J'ai la sensation, avec cet uniforme, d'assister à une parade.

Et puis, comme chaque jour, le directeur de l'école s'avance sur la grande estrade. Il est toujours vêtu de doré, car tel un soleil, il doit illuminer nos esprits et guider nos pas. Sa robe satinée longue, aux manches très larges, le fait apparaître tel un astre brûlant. Lorsqu'il n'y a pas de soleil pour éclairer sa personne, on fait usage de lampes. Le Guide de l'école doit toujours apparaître étincelant, même par mauvais temps.

Sa personne est quasiment sacrée. C'est la première chose que l'on m'a apprise lors de mon arrivée. Enfin, apprise est un bien grand mot, puisque je suis censée savoir toutes ces choses. Plutôt dire qu'on me l'a rappelé.

En bref, le Guide doit être craint et respecté. On ne doit jamais lui parler directement. Même les enseignants ne peuvent pas s'adresser à lui, à moins d'y être expressément invités.

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