chapitre 1

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Je restai silencieuse pendant tout le trajet. Je regardai par la fenêtre en profitant du maximum que je pouvais avant d'entrer en enfer. Quand ma mère s'arrêta devant le cabinet, j'avais les larmes aux yeux mais je le cachai.
Pendant qu'elle donnait mon nom à la secrétaire, je restais derrière, les yeux dans le vague, à regarder une peinture représentant un grand manoir sombre et peu accueillant.
Ma mère me sorti de ma torpeur:
"- Allez viens, dépêche-toi !"
En entrant dans la salle d'attente, je m'assis en silence. Une petite fille était assise en face de moi et me regardait fixement avec ses grands yeux bleus. Quand la secrétaire entra pour l'appeler, elle serra fort sa peluche ( lapin je crois ) et suivit sa mère jusqu'au bureau du psy .
On était seules dans la salle. Je me levai et commençai à arpenter la pièce, quand je m'arrêtai devant un grand miroir. C'est vrai que j'avais changé: mes cheveux, châtains auparavant, étaient désormais rose vif sans que je sache pourquoi.
"- Linda Chauffrar, annonça la secrétaire 30 minutes plus tard."
Je lâchai mon reflet des yeux et me dirigeai vers la petite pièce qu'elle m'indiquait, suivie de près par ma mère. En entrant, je m'arrêtai un instant pour examiner ce drôle d'endroit:
C'était une petite pièce circulaire rouge dépourvue de fenêtre. La seule lumière provenait d'une lampe posée sur le bureau. Sur les murs, des masques africains et des poupées vaudoues étaient accrochés.
"- Asseyez-vous, je vous en prie."
Sa voix me fit sursauter et je m'assis timidement face au psychologue. C'était un petit homme frêle à lunettes et au crâne dégarni. Il fouilla un instant dans ses papiers en grommelant avant de sortir un dossier à mon nom.
"- Alors... Linda, c'est ça ? Que vous arrive-t-il ?"
Comme je restai muette, ma mère prit les choses en main:
"- Elle a commencé à perdre la tête, il y a une semaine environ. Sa principale nous a contactés en disant qu'elle créait des embrouilles partout où elle passait. On l'a avertie plusieurs fois, mais rien n'y fait. Et puis un soir, hier plus précisément, elle est rentrée du lycée les cheveux dans cet état ! Roses ! Non mais, et puis quoi encore !
- C'est pas de ma faute si Marco a largué Léa pour Ophélie ! Marmonnais-je vexée.
- Pardon ?
- Non rien ...
- Bon, très bien, répondit le psychologue. Pourquoi avez-vous teint vos cheveux, mademoiselle Chauffrar ?
- Ce n'est pas moi ! Ils ont changé de couleur tout seul ! Comme par magie !
À cet instant, je suis persuadée d'avoir vu une lueur passer dans ses yeux, et j'eus encore plus peur. Puis il se mit à me fixer intensément, comme s'il voulait pénétrer en moi.
" Ce n'est pas un psychologue, pensais-je. C'est un psychopathe! "
Enfin, au bout d'un moment qui me parut interminable, il reprit la parole:
- Il est vrai que j'ai déjà eu affaire à un cas comme cela auparavant...
- Ah bon ? répondit ma mère, surprise. Et qu'avez-vous fait ?
- C'est un comportement particulier mais...  Je lui ai conseillé un lycée spécial, et depuis tout va bien.
- Alors je veux envoyer ma fille dans cet établissement.
A ces mots, mon coeur rata un battement et je regardai ma mère, effarée.
- T'es pas sérieuse ???
- Si. Absolument. Répondit ma mère, avec le plus grand calme.
- Hum ... dans ce cas, veillez remplir le dossier d'inscription dès maintenant.
Et, sur ces mots, le psychologue sortit un deuxième dossier, cette fois-ci beaucoup plus gros que le mien. Cette histoire me paraissait beaucoup trop étrange.... Comment se faisait - il que ce monsieur avait justement un dossier d'inscription pour une école pour les fous ? Ma mère tendit la main pour le prendre, mais, au lieu de lâcher le dossier, le psychologue se leva et se rapprocha à quelques centimètres du visage de ma mère. Il prit une voix étrange et sombre et murmura, plein de défi :
- Avant de l'ouvrir, promettez-moi de dire à toute personne un peu trop curieuse, que l'école de votre fille à une sale réputation, que les élèves sont tous perturbateurs et que vous ne leur recommandez absolument pas !!!
- Euh ... je ... oui, si vous y tenez. Mais pourquoi tous ces mensonges ? Enfin j'espère ...
- Oui oui, bien sûr ... C'est juste que c'est une école assez privée, alors il ne faut pas que tout le monde y aille comme ça. Il avait reprit sa voix normal et arborait un petit sourire.
- Oui, je comprends.
- Et toi jeune fille, tu devras aussi promettre la même chose.
- TU PEUX TOUJOURS COURIR !!!
Je n'en pouvais plus ! Je sortis de la pièce en claquant la porte derrière moi. La secrétaire sursauta à mon passage et me rappella, mais je l'ignorais, retournant le plus vite possible à la voiture. Après avoir verrouillé la portière, je mis ma ceinture, et me laissai aller à ma crise.
De violentes convulsions arrivèrent comme je l'avais senti et je m'abandonnai à cet état de folie. Je suis épileptique depuis l'âge de 5 ans, et mes crises arrivent quand je panique, je stresse ou quand j'éprouve une émotion importante. Et là, j'étais folle de rage.
Quand mes spasmes se calmèrent enfin, je me redressai en haletant et essuyai la sueur qui me coulait sur le visage. Je suis toujours confuse après une crise, et souvent, j'en oublie les conséquences. Je regardai autour de moi un peu perdue et en voyant ma mère revenir, je me suis souvenue ce pourquoi j'étais là. Je détournai le regard quand elle entra dans la voiture, et démarra sans rien dire.
C'est seulement au bout de cinq minutes de route, qu'elle se décida à me parler:
- Ecoute ma puce, je sais que c'est difficile pour toi de quitter ton lycée, mais l'année est à peine commencée que je reçois déjà des messages de ta directrice en disant que cela ne va plus. Je ne sais pas ce qui a changé chez toi, mais tu n'es plus la même... et cette école est faite pour t'aider.
- Mais... et mes amis ? Ma classe? Mes profs? .... et ... Nina ??? Je ...
- Je sais que c'est dur, et c'est pour ça que je veux que tu partes le plus tôt possible pour te réintégrer dans une classe assez facilement.
On était arrivées mais ni l'une ni l'autre n'était décidée à sortir.
- ... Et j'ai pensé que ... Linda ? Tu m'écoutes ???
- Hum ... moui ...
- Bah, peu importe! Va faire tes valises, tu pars demain.
- QUOI ?!! Déjà que tu m'enlèves ma vie, mais tu ne me laisses même pas le temps de l'accepter???
- Tu n'as pas besoin de temps ... tu as besoin de ...
- Ouais, t'as raison, j'ai pas besoin de temps pour l'accepter, je ne l'accepterai JAMAIS !!!
Et une fois de plus, je sortis en courant et allai m'enfermer dans ma chambre. Je ne descendis pas manger ce soir-là. Et je ne dormis pas de la nuit non plus. Je n'arrêtais pas d'arpenter ma chambre de long en large, en prenant de temps à autre une affaire ou deux et les fourrant dans mon gros sac. 4h00 du matin. J'arrêtai enfin de marcher et m'effondrai sur mon lit, exténuée. Mais je refusais de dormir. "Je dois profiter un maximum des moindres recoins de ma chambre". 5h00... 6h00... 7h10... "j'entends des pas dans la maison"... 7h18: la bouilloire est en route... 7h30: ma mère monte les escaliers... 7h31: elle frappe à ma porte:
- Allez, habille-toi. On mange dans 10min.
J'ouvre mon armoire, attrape les vêtements qu'il me reste, les enfile et me mets une bonne couche d'anti-cernes pour cacher ma tête horrible.
Puis j'attrape mon sac et regarde une dernière fois ma chambre que j'aime tant. Enfin je sors, referme doucement ma porte et me dirige vers le rez-de-chaussée, toujours en refusant de croire que j'allais partir.

La Meneuse De Sentiments Où les histoires vivent. Découvrez maintenant