Malgré que cette vive obsession se soit ravivée dans le cœur de Seiji, il restait néanmoins un détail, et pas des moindres.
Il regagna son appartement sans faire de détour cette fois. Il n'avait pas croisé son inconnu, cela se faisait rare que ce dernier soit absent. Seiji poussa la porte d'entrée, déposa ses affaires et retira ses chaussures sans prendre le temps de les ranger. Il jeta un rapide regard vers le sol, une seconde paire de chaussure en cuir noir avait été soigneusement mise à sa place. Seiji soupira.
« Je suis rentré.
- Ah, Seiji. Tu rentres tôt pour une fois, tu avais envie de moi ?
- Épargne-moi ce genre de remarque.»
En effet, il y avait une seconde chose qui pouvait s'interposer entre l'inconnu et Seiji : l'amant de notre chasseur. Cela ne faisait que six mois qu'ils se fréquentaient, mais déjà la lassitude se faisait sentir. Les quatre premiers mois furent le signe d'un bonheur complet, jusqu'au jour où l'amant reçut une nouvelle offre d'emploi, l'obligeant à être absent assez souvent. Il s'était endurci et affichait sans remord sa véritable personnalité. Un individu odieux et arrogant, obsédé par le sexe par dessus le marché, avait remplacé le prince qui avait fait succombé Seiji. Leur relation se résumait, à ce jour, à une vulgaire attirance physique. Seiji n'aimait plus que le corps et le visage de son amant, quant à ce dernier, lui, tout ce qui lui importait, c'était une présence dans son lit en cas de besoin, ou plutôt d'envie. Non loin d'ignorer que, ce qu'il ressentait pour son inconnu ne valait guère plus que cette même passion basée sur le physique, Seiji voyait en cette nouvelle proie, une chance de se séparer de la vieille deux chevaux rouillée qui partageait son appartement. Le plus dur restait cependant à faire, il devait encore lui annoncer la nouvelle. Le caractère possessif et impulsif de l'amant faisait craindre plus que tout à Seiji le moment fatidique, le jour où la vérité devra sortir de sa cage. Rien que d'y songer, cela lui procurait d'affreux frissons glacials.Les deux s'installèrent à table, le début du repas se passa en silence, et aucun regard amoureux ne passa de l'un à l'autre. Ce genre de scène était leur quotidien, Seiji s'était accommodé à cette ambiance pesante, ou disons qu'il ne s'en préoccupait pas vraiment. Ses pensées étaient toujours tournées vers autre chose ; ce soir, c'était le problème de son entreprise qui lui torturait l'esprit. Mais ce manque total d'intérêt avait frappé son amant, qui lui, semblait s'en soucier bien plus.
« Dis-moi si je me trompe, Seiji, mais je ne te plais plus.
Seiji fut tiré de ses pensées et interloqué par le constat.
- Quoi ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Tu ne me regardes plus. Quand tu vas te coucher, c'est à peine si tu me souhaites bonne nuit, sans parler de la distance que tu entretiens entre nous.
- Tu as vraiment envie de parler de ça maintenant...
- Oui. Pourquoi tu ne veux plus coucher, j'ai fait quelque chose de mal ?
- Non, non, soupira Seiji.
- Alors explique-toi !
- Ca suffit, j'ai pas à me justifier ! Je ne suis pas d'humeur ces temps-ci, voilà tout.
- Tu crois vraiment que je vais me contenter de ça, souffla l'amant.
- Tu ferais mieux. Je n'ai pas envie d'entendre parler de ça maintenant.
Une main puissante attrapa brutalement le bras de Seiji tandis qu'il quittait la table. Il se fit plaquer sur le mur, sentant la force de son conjoint le maintenir fermement les bras en l'air.
- Lâche moi ! Je t'ai dit de me lâcher !
- Je vais te reprendre, tu es à moi, tu m'entends Seiji ! A moi !
- Je ne suis pas un objet ! Si tu penses pouvoir abuser de moi aussi facilement, tu te trompes !
- Ah oui ? »
L'amant lâcha un petit rire et commença à tripoter aisément le corps de Seiji, qui se débattait tant bien que mal. Ce n'était pas un homme qu'il affrontait, dans son regard, il ne voyait plus qu'un monstre, une bête enragée, et visiblement en manque. Sa force ne parvenait pas à égaler la puissance de l'animal, il tentait de frapper mais ses coups finissaient dans le vide. Il avait perdu d'avance, pourtant, il refusait de se laisser faire encore une fois. Il releva brutalement le genou qui vint taper au bon endroit. L'amant lâcha prise et grogna de douleur, Seiji en profita pour fuir. Il s'enferma dans sa chambre et commença à préparer une valise en y fourrant toutes les affaires de son conjoint. Il réalisa enfin la situation dans laquelle il était, ce n'était plus une affaire de cœur, l'homme qui, jusque-là, l'avait chéri n'était aujourd'hui plus qu'une énergumène dangereuse et violente. Seiji referma la valise en tremblant et se posta devant la porte fermée. Il prit une grande inspiration et tourna la clé, il tira la poignée et prit son courage à deux mains.
« Voilà tes affaires, maintenant sors de chez moi.
- Pardon ? Tu me vires ? Tu oses me vi-
- Va-t'en ! Je ne te le dirai pas deux fois. Je ne veux plus jamais te voir.»
La bête n'ajouta rien et quitta l'appartement en grognant. Lorsque la porte d'entrée claqua, un poids immense se libéra du cœur de Seiji, il se sentit plus soulagé. Lui qui n'avait pas l'habitude d'être autant ébranlé, ne put retenir des flots de larmes s'écouler le long de ses joues rosies.Le pire avait l'air d'être passé, c'était du moins ce qu'espérait Seiji. Mais ce problème n'en était qu'un parmi tant d'autres, la frustration ne voulait pas s'amoindrir. Bien qu'il ait réussi à se séparer de son amant, il sentait sur ses épaules, une masse qui l'écrasait tout entier. Venait de s'écouler une de ses craintes, les représailles d'un homme agressif, mais persistait malgré tout la peur d'un nouvel incident problématique. Seiji n'avait plus qu'à espérer et laisser le temps faire son affaire.

VOUS LISEZ
Agapé
RomanceSeiji est un homme lambda, à peine âgé de la trentaine et cadre dans le monde de la mode féminine. Il mène une vie simple, jusqu'au jour où il rencontre un mystérieux inconnu, dont le charme ne le laissera pas indifférent. Entre une vie privée agité...