Agapé

XV

Mercredi matin, gueule de bois et surtout une vive impression de déjà-vu. Cette fois en revanche, ses souvenirs n'étaient pas brumeux, il se souvenait parfaitement de la descente de cannettes de bière dans son œsophage, de beaucoup trop de cannettes. Combien de trop ? Aucune idée.
Le bruit de son réveil avait décuplé de façon drastique, que ce ne soit qu'une impression ou une augmentation réelle du nombre de décibels qu'émettait cette chose, ce réveil était une machine de torture assourdissante que Seiji avait certainement cassé pour de bon en le jetant à travers la pièce. Aux grands maux, les grands moyens. Peut-être un peu trop radical, mais son crâne lui en était au moins reconnaissant.

Son appartement était calme, il faisait encore nuit dehors et son salon dormait paisiblement.

Pour une fois.

Riko était partie aux alentours de deux ou trois heures du matin, si Seiji payait fortement le manque d'heures de sommeil, ce démon en tailleur en paierait les frais de façon plus violente encore. Ce qui était une habitude, presque une routine pour le jeune homme, était tout sauf régulier dans le quotidien de Riko. Elle était toujours beaucoup trop rayonnante pour ce que fut le cas.

Il était parti en retard de chez lui et avait dû user de ses dernières réserves d'énergie, assez moindres, pour courir jusqu'à la gare. Il s'était glissé de justesse dans le train qui était bondé, de quoi bien commencer sa journée déjà catastrophique. Il se maudissait d'être parti en retard, retard qui lui infligeait maintenant la souffrance du métro à l'heure de pointe. Il prenait toujours le train d'avant, beaucoup plus tôt, mais nettement moins encombré. Il se maudissait lui-même autant qu'il maudissait Riko.

Un peu plus loin dans le wagon, il aperçu une tête qu'il reconnaissait bien, ces lunettes parfaitement mises, cette coiffure impeccable et ce charisme débordant, même plutôt effrayant, pas de doute, c'était Tsukauchi. Il avait au moins la chance d'avoir assez de présence pour qu'un cercle de presque un mètre de diamètre se trace autour de lui, un cercle vide où les gens osaient à peine passer le nez. En comparaison, Seiji était étouffé entre les travailleurs et avait péniblement tracer son chemin jusqu'à une poignée, qui n'était même pas entièrement à lui, puisqu'il la partageait avec une autre personne beaucoup plus imposante. Quelque part, bien qu'il se serait refusé à l'admettre, il aurait fortement apprécié avoir la présence et l'aura menaçante de Tsukauchi à côté de lui pour respirer un peu. Même dans le métro, il avait l'air d'un démon.

Enfin sorti de cette infernale boîte à sardines, l'air et le grand espace de la gare ne lui avaient jamais paru aussi agréables. Dix minutes de plus à l'intérieur et il aurait développé une claustrophobie aiguë. En cherchant ses affaires, il ne trouvait son sac nulle part. Plus il se tournait et tâtonnait autour de lui, plus il paniquait. Quand est-ce qu'il l'avait lâché ? Il voulu se précipiter une dernière fois dans le train pour le récupérer, mais la porte se ferma juste à cet instant, et le métro s'engouffra dans l'obscurité du tunnel.
Un véritable cauchemar, cette journée était un véritable cauchemar. Il s'écroula sur un banc, décidé à ne plus bouger pour éviter de faire la moindre bêtise ou de mourir de façon minable.

  « J'imagine que c'est ça que vous cherchez.
Devant son nez s'agitait une sacoche brune qu'il reconnut être la sienne. Le bras qui la secouait appartenait à Tsukauchi. Seiji se précipita dessus et se retint presque de serrer son sac dans ses bras.
  - Tsukauchi ! Je n'ai jamais été autant soulagé de vous voir ! Merci !
Il tiqua.
  - Toujours le mot pour être agréable.
  - Excusez-moi, rit Seiji. Je ne voulais pas être vexant.
Il se pencha légèrement en signe d'excuse et de remerciement.
  - Au point où on en est, on peut aller au bureau ensemble, proposa Tsukauchi. Je m'assurerais que vous restiez en vie. »
Seiji acquiesça en passant sa sacoche sur son épaule.